Chroniques du Palais: NESMA OU LE DENI D’UN PERE! (1ère Partie)

BAI enregistre avec plaisir la venue d’un nouveau collaborateur qui enrichira la teneur avec des histoires vraies, des énigmes et tout ce qui peut se dérouler dans l’ambiance solennelle et lourde d’un Tribunal. Le docteur Mekidèche entame l’expérience par l’histoire de ce jeune couple assez atypique, emporté par la tempête infernale des rapports sociaux au sein de la famille algérienne. Le récit romancé, donne plus de piment à l’histoire. Au lecteur d’en juger à travers cette nouvelle rubrique: “Chroniques du Palais”

Elle s’appelait Nesma. Elle était belle et fragile. Produit d’un mariage entre un vautour et une colombe. Il sautait aux yeux de celui qui regardait les siens que, pareil à un pauvre petit oiseau tombé de son nid, elle avait besoin d’être prise sous les ailes. Sur son âme meurtrie paraissaient les coups de griffe donnés par une vilaine vie qui n’a pas eu pitié d’elle. Le jour où les jeunes filles de son âge passaient leur BAC, pour son malheur, elle transitait par le bureau du procurer de la république.
Lui, il avait l’aire pubère. La crinière à la James Dean. Il avait l’âge des beaux rêves. Les rêves entravés par l’indigence et le désespoir. Il était plein de rage. Pas grand, à peine s’il sortait de terre. Il était agressif, pugnace, les dents pourris et noircis par l’amertume qu’il buvait, qu’il fumait et snifait au quotidien, pour ce sentir un être. A chaque regard de travers il montrait les dents, pareil à un chien trop souvent battu qui en voulait à la terre entière. Il s’appelait Miloud. C’est le mari de Nesma.
Contre la volonté de son père il a pris, par la force, Nesma pour épouse. Pas par la force physique, il en avait si peu, mais surtout par la force de l’amour qu’il avait pour elle et qui jaillissait avec les larmes qui roulaient de ses yeux quand ils croisèrent, à la sortie des geôles, ceux de sa jeune épouse. Son mari coincé entre deux policiers elle en bouscula un, s’assit prés de lui et nargua du regard pendant deux heures, ce jour de la présentation, un père qui était assis en face, à la place des victimes.
Leur mésaventure judiciaire commença par un mensonge. Celui de la grand-mère. Prétextant la brusque dégradation de l’état de santé qui risque d’emporter la mère elle conseilla à sa petite fille de se rendre sur le champ à son chevet. Il était minuit. La pauvre ne pouvait ne pas y croire, elle savait sa mère malade. Alors, elle pria Miloud de la conduire sans tarder auprès de sa mère. De Témouchent à Sidi Bel Abbes, le trajet ne dura, parait-il, qu’une demi-heure.
Sentant le guet-apens, il appréhendait que son épouse, sa fortune, risque de lui être ravies, il fit un détour par Sidi-Amar pour demander l’assistance de trois amis : Deux jeunes “carnassiers” à peines sortis de cage et un novice, délinquant en devenir, de bas âge. Le couple, protégé par la garde prétorienne, se rendit pleurer la mourante !!!
C’est le père qui ouvrit la porte au premier coup porté pour annoncer l’arrivée des visiteurs. D’un geste rapide il tira à l’intérieur la fille d’une main, frappa de l’autre la salle gueule du beau fils et tenta de fermer la porte. C’était l’accueil que le couple prévoyait, auquel la garde s’était préparée et que le père devait, surtout éviter.
C’est alors de la main gauche que le beau père composa, gémissant de douleur, le numéro de téléphone pour demander l’aide de la police, la main droite étant impropre à l’usage pour cause de bras doublement fracturé.
Qui était l’auteur de la frappe qui a causé un tel dégât ? Les présents sur le champ de guerre étant trois : le beau fils et les deux carnassiers ? Quant au novice il faisait office de chauffeur. Il était resté en bas, au volant de la voiture, n’étant pas suffisamment aguerri ni capable de casser le bras d’un adulte en deux temps trois mouvements et échapper à la vengeance.
À la vengeance du père ils échappèrent, mais pas à la vigilance policière. La panique et l’inexpérience du novice au volant aidant, les fuyards foncèrent droit sur leur destin : un crève-pneu tendu à quelques encablures plus loin et une paire de menottes pour chacun.
Nesma y était elle aussi. Elle aussi eut droit aux menottes. Elle aussi avait couru pour fuir la maison maternelle. Même plus vite que les agresseurs. Arrivée la première, c’est elle qui pressa le novice de démarrer vite la voiture, jurant de ne plus revenir en arrière et qu’elle ne verra sa mère qu’à l’hôpital ou au cimetière, maudissant ce père qui voulait la retenir malgré elle.
Vingt quatre heures plus tard, tout ce joli monde fut présenté devant le procureur de la république ; le père, la fille et les maudits esprits.
Ce qui me frappa, n’ayant pas encore droit à l’accès au dossier tant que le procureur n’a pas entendu les parties, c’était la sympathie que les policiers de la cinquième, chargés de l’enquête, montraient à l’égard des coupables et le peu d’égard qu’ils accordaient au père au bras cassé, à l’épaule et le cuire chevelu tailladés. Ce n’est pas habituel.
J’ai compris pourquoi une telle sympathie quand j’ai entendu Nesma vider son cœur aux oreilles du procureur et son père son venin. Je fus sonné quand j’ai appris qu’avant le procès, ce père avait transigé et s’était montré prêt à troquer son honneur, le bras cassé et la perte de sa fille contre cinquante mille dinars et qu’il accepterait une avance sur déshonneur avec promesse de disculper le premier à payer avant l’audience.

(A suivre …)
M.A