Le feuilleton scandaleux du pédophile irako-espagnol généré par la grâce royale accordée, ensuite retirée devant la forte pression de l’opinion publique, a mis en exergue toute l’incohérence qui préside à cette prérogative constitutionnelle conférée aux Chefs d’Etats qu’ils soient Présidents, Rois, Princes ou Emirs.
Dans son essence, cette prérogative – en somme toute symbolique – revêt un caractère exceptionnel répondant à des considérations tant particulières que rarissimes : maladies chroniques et incurables avec âge avancé, doute sur la culpabilité du prisonnier… Mais, la condition sine qua non sur laquelle se prononce le donneur de grâce est inévitablement, la nature du délit. Ainsi sont généralement exclus de la grâce la pédophilie, le viol, le trafic de drogue, les crimes économiques, la trahison….
Dans la réalité, la conception de cette disposition constitutionnelle et donc les modalités de son application, diffèrent d’un groupe de Pays à un autre.
En effet, si l’on constate que dans les Pays dits développés c’est-à-dire occidentaux, elle est régie avec une sévérité exemplaire, et c’est rare où l’on relève des cas de grâce accordées par les Présidents et Chefs d’Etat, malgré la très forte pression exercée par l’opinion publique de manière générale et de certains lobbies dans certains cas. L’on se souvient que le Président Chirac a refusé pendant longtemps d’accorder la grâce à Omar, ce jardinier Marocain accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, malgré la très forte pression nationale et internationale
Dans ces Pays, le respect de la Constitution et surtout la préservation de la crédibilité de la Justice sont sacrés, c’est pourquoi on se refuse de faire application intempestive de cette disposition, qui pourtant relève de la seule prérogative et du Pouvoir discrétionnaire.
Les Présidents qui ont fait serment de défendre les intérêts de leur Pays savent combien le recours jusqu’à banalisation de la disposition risque de générer des effets pervers qui porteront atteinte et à la crédibilité de la justice et à la Société dans son fonctionnement.
Dans les Pays fonctionnant à la démocratie de façade, on use et abuse de cette disposition jusqu’à lui conférer un statut de chambre “délibératrice” n’accordant que la relaxe.
A titre d’illustration, si un Président d’une république démocratique accorde une ou deux grâces durant la totalité de son mandat, chez nous c’est par millier de grâce à chaque occasion. Un petit calcul nous donnerait, à raison de deux mille par occasion, un total de 10 000 grâces (1er Novembre, 5 juillet, les 2 Aïd et le jour de sa réélection uniquement)
Donc, 10 000 délinquants condamnés par la Justice indépendante, parfois récidivistes, sont innocentés et libérés par le fait du Prince, chaque année.
Dans cette situation, comment voulez-vous moraliser la Société, comment voulez-vous réussir la réinsertion ? Combien de fois ne lit-on pas dans la presse, qu’un crime a été commis par un délinquant libéré le matin par la Grâce présidentielle?
Un ami m’a raconté l’histoire suivante : Quelqu’un vole un chargement de marchandises d’une valeur de 25 millions de dinars. Pris en flagrant délit, il écope de 3 ans ferme. Au cours de l’audience, le Président rappelle à l’inculpé qu’il est multirécidiviste et qu’il a été condamné 5 fois. Son employeur réagit et atteste qu’il a fourni un casier judiciaire vierge et dépose une seconde plainte pour faux et usage de faux. Quelques temps après, eut lieu l’audience pour la deuxième affaire. Surprise : l’accusé se présente librement à la barre. Après quelques interrogations, la défense apprend qu’il a bénéficié de la grâce pour la première affaire.
Ceci montre combien est banalisé le recours à la grâce, qui parfois prend même des formes électoralistes et populistes.
Ce recours intempestif engendre une autre dérive : Celle de la corruption et des falsifications au niveau des administrations chargées de la gestion pénitentiaire. C’est en effet, à ce niveau que sont confectionnées les listes des personnes condamnées, proposées à la Grâce. Le prix pour y figurer doit être astronomique. Parfois, la grâce est négociée avant même la condamnation. L’accusé négocie 5 ans ferme, à condition qu’il n’en fasse que 3, à charge pour ses protecteurs grassement payés, de prévoir son inscription dans la liste providentielle.
L’adage « à chaque chose, malheur est bon » vient d’être vérifié par le Peuple Marocain. Lui qui ne s’est pas trompé dans sa revendication essentielle : Refonte des modalités d’octroi de la grâce royale
Partout dans les Pays pauvres et Républiques de façade, les modalités d’application de cette disposition constitutionnelle et notamment en Algérie, doivent être impérativement revus. Il est temps que la grâce ne soit pas un cadeau offert « obligatoirement » à chaque occasion. Elle doit revêtir son caractère exceptionnel et préserver le pouvoir judiciaire. On ne peut appeler à une justice indépendante, incorruptible et user et abuser de la grâce au point où les services de sécurité se démobilisent, parce que constatant que tous les efforts qu’ils ont accomplis pour arrêter un délinquant parfois au péril de leur vie, se retrouve le lendemain face à face avec lui et supporte son ironie provocatrice.
« Garde-moi ma place, je reviens !» Cette réplique attribuée à un prisonnier qui vient de bénéficier de la grâce s’adressant à son compagnon de cellule, nous renseigne sur le degré de banalisation atteint par l’application de cette prérogative que le législateur a voulu noble de par son objectif, exceptionnel de par sa portée.