De nouvelles études montrent qu’une aspirine par jour permet d’accroître de 25% les chances de survie des patients de certains cancers

Atlantico : Des chercheurs de l’université de Cardiff (Royaume-Uni) ont analysé 71 études sur les effets de l’aspirine. Ils ont découvert qu’elle aurait des effets insoupçonnés sur le cancer. Les vertus de l’aspirine sont déjà connues pour prévenir certaines maladies cardiovasculaires. En quoi pourrait-elle aider les patients atteints d’un cancer ?

Stéphane Gayet : L’aspirine, médicament inventé à la fin du XIXe siècle, n’en finit pas de nous étonner. Initialement utilisé – à raison de 500 mg à un gramme chez l’adulte – afin de faire baisser une fièvre, soulager des céphalées (ou maux de tête), des douleurs articulaires (rhumatismes) ainsi que d’autres phénomènes douloureux, l’acide acétylsalicylique (son nom chimique) a plus tard révélé qu’il diminuait également l’agrégation des plaquettes sanguines. Cette dernière propriété a conduit à recommander couramment sa prise quotidienne à faible dose (moins de 100 mg par jour) pour prévenir les récidives de thrombose artérielle.

Car à la différence des anticoagulants vrais, l’aspirine s’oppose au processus initial de la coagulation sanguine qui est la formation d’un agrégat des plaquettes (cet agrégat, encore appelé clou plaquettaire, a pour but de stopper une hémorragie débutante en obturant une brèche dans une petite artériole qui saigne). Cette action permet ainsi de réduire le risque de thrombose artérielle, sans avoir les inconvénients des anticoagulants vrais. D’où son utilisation dans la prévention des récidives d’infarctus du myocarde et celles d’accident vasculaire cérébral par ischémie (obturation d’une branche artérielle).

L’inconvénient majeur de l’aspirine est de favoriser les saignements de l’estomac et du bulbe duodénal (première partie de l’intestin grêle se trouvant à la sortie de l’estomac).

Or, du fait de son utilisation large dans un but de prévention de thrombose artérielle, on a pu constater que l’aspirine avait de surcroît une action préventive vis-à-vis de certains cancers ainsi qu’inhibitrice sur le développement de certains cancers ayant déjà commencé.

Le professeur Peter Elwood, directeur de recherche au Royaume-Uni (Université de Cardiff, au Pays de Galles) a effectué une analyse d’une compilation de 71 études (donc, une méta-analyse) et ainsi a pu comparer la survie de 120 000 patients cancéreux prenant de façon régulière de l’aspirine – à faible dose – à celle de 400 000 patients cancéreux n’en prenant pas. Dans le groupe prenant de l’aspirine, le taux de survivants à long terme a été de 25% plus important que celui du groupe témoin. On précise aussi que très peu de personnes de cette étude ont fait une hémorragie digestive grave. De surcroît, Peter Elwood affirme que l’aspirine exerce aussi un effet préventif vis-à-vis de plusieurs cancers. Cette étude, qui en complète d’autres sur le même sujet, est donc une source d’espoir, à la fois pour les patients et pour les chercheurs. Il reste à préciser maintenant de quelle façon agit l’aspirine dans son action anti-cancéreuse.

Cette découverte va peut-être nous faire faire de nouveaux progrès dans la compréhension du mécanisme de la survenue et de la croissance des cancers, mais aussi de la façon dont notre système immunitaire lutte contre les cancers (car l’aspirine est considérée comme un anti-inflammatoire et l’inflammation est liée à la mise en œuvre du système immunitaire).

Quels types de cancers sont les plus concernés par cette action de l’aspirine ?

Parmi les 71 études compilées, près de la moitié d’entre elles concernait des patients ayant un cancer du côlon (gros intestin) ; la majeure partie des autres études concernait des sujets atteints d’un cancer du sein ou d’un cancer de la prostate.

Plus précisément, on a observé une réduction de 25% du nombre de décès dans les cas de cancer du côlon, de 20% dans les cas de cancer du sein et de 15 % dans les cas de cancer de la prostate.

Les auteurs de l’étude ont ajouté qu’il existait des preuves d’une diminution significative du risque de dissémination métastatique lors des cancers du côlon, du sein et de la prostate, et même des preuves en faveur d’une réduction de la mortalité dans tous les cancers, c’est-à-dire pas uniquement dans ces trois principaux.

Le professeur Peter Elwood a conclu en disant qu’il fallait informer tous les patients atteints de cancer de cette découverte, sachant que l’aspirine est un médicament en vente libre et d’usage courant. Il a également ajouté que les personnes concernées devaient connaître les avantages et les risques de la prise continue d’aspirine à faible dose, afin d’appréhender le rapport bénéfices sur risques d’une telle prise quotidienne. Il a aussi insisté sur le fait que, bien que s’agissant d’un médicament courant en vente libre, les patients devaient consulter leur médecin traitant avant de décider d’un tel traitement au long cours.

Cette méta-analyse qui donne un nouvel intérêt à l’aspirine, l’un des médicaments les plus anciens (feuille de saule), est publiée alors que les laboratoires européens qui la produisent évoquent la possibilité de cesser cette production au motif qu’elle n’est plus rentable. Cette éventualité déplacerait la fabrication de l’aspirine vers des laboratoires asiatiques qui de ce fait pourraient bénéficier d’un regain d’intérêt médical pour cette substance.

L’étude britannique se base sur plusieurs centaines de milliers de patients. Ce panel étendu suffit-il à rendre cette conclusion déterminante ?

Il s’agit d’une compilation d’études ou méta-analyse. Ce type d’étude, qui est permise grâce aux puissants logiciels d’analyse statistique dont nous disposons aujourd’hui, est toujours un peu critiquable, car elle consiste à agréger des données non homogènes. Néanmoins, il faut considérer ces résultats comme ayant une valeur scientifique digne d’intérêt.

Mais il faut rappeler que les analyses statistiques de bases de données – et quelle que soit leur taille – ne permettent que de conclure à des corrélations, et non pas à des relations de cause à effet. En d’autres termes, affirmer qu’il existe une corrélation entre la prise d’aspirine à faible dose au long cours et la réduction de la mortalité par cancer ne revient en aucun cas à affirmer que l’aspirine est la cause de cette réduction. La nuance est de taille.

Les études statistiques ne sont pas des analyses à visée explicative : elles ne sont que descriptives. Il est possible, par exemple, que les personnes qui prennent au long cours de l’aspirine aient par ailleurs une autre caractéristique comportementale non enregistrée dans l’étude, mais qui pourtant contribuerait à atténuer l’évolution de leur cancer.

Une fois de plus, le médicament dont il est question est directement dérivé d’un produit qui est naturel puisque venant de plantes (l’acide acétylsalicylique n’est en quelque sorte que le résultat d’une amélioration d’un produit naturel mal supporté). C’est dire que l’arsenal formé des substances d’origine végétale reste d’un intérêt capital. Les plantes restent l’origine de très nombreux médicaments avec les microorganismes.

Stéphane Gayet, Atlantico.fr, D. 30 septembre 2018