« HOUARI BOUMÉDIENE : ANGE OU DÉMON ? » *

Le 27 décembre 1978 disparaissait Dillali Cherridle président Houari Boumédiène. Toute l’Algérie a pleuré comme ce ne fut jamais le cas pour aucun autre chef d’état, à ce jour d’aujourd’hui et en hommage à notre chroniqueur Djillali Cherrid, qui aimait parlait de cet grand homme , nous reproduisons ci-dessous , un texte qu’il a publié le 16/11/2011 sur BAI.

Le 19 Juin 1965, je courais en compagnie de mon ami Benadji, acheter le journal « La République » pour voir si les résultats de l’examen d’entrée en 6ème sont parus ou pas. Eh ! Oui. Figurez-vous que de notre époque, les résultats de la Sixième étaient publiés dans les journaux ! D’autres temps, d’autres mœurs !

Mais au lieu des résultats, la Une du quotidien était monopolisée par un évènement politique, auquel nous les chérubins, ne comprenaient pas grande chose ! La photo –juste une photo d’identité agrandie – est restée dans ma mémoire jusqu’à aujourd’hui. Elle représentait Mohammed BOUKHARROUBA – alias HOUARI BOUMÉDIENE – dans son air taciturne devenu par la suite, habituel.

Mon ami Benadji était spécialement tout heureux, parce que d’après lui, le nouveau Président va tous nous faire passer en 6ème ce qui lui évitera le fouet avec lequel l’attend chaque jour, son Père !

Ce jour –pendant lequel se déroulait l’historique match ALGÉRIE-BRÉSIL au stade d’El Hamri devenu par l’évènement « Stade du 19 Juin » – marqua un changement fatidique dans l’histoire de l’Algérie contemporaine !

Le Pays aura vécu ses 3 premières années de l’indépendance dans des tergiversations politiques sur le plan de la diplomatie et des mesures populistes à l’intérieur. En effet, BENBELLA faisait suive un voyage aux USA par un crochet à la HAVANE, tout en gardant intactes ses relations libidinales avec les services secrets de NASSER. Il fit la Guerre au Maroc et au FFS. Il déclara ouvertement les hostilités envers la bourgeoisie naissante, réprima les cireurs de chaussures et failli nationaliser les Hammams et les cafés.

L’auto gestion des fermes des colons augura ce que finira plus tard la Révolution agraire.

Après le «  redressement révolutionnaire  » le Pays prendra une autre tournure : Boumédiène voyait grand. Un mégalomane ? Plutôt un visionnaire nationaliste jusqu’à la xénophobie ! Et commença la politique d’édification nationale, à travers les diverses révolutions : Industrielle, culturelle et agraire.

Sur le plan industriel, celle-ci sera caractérisée par le fameux concept de « l’industrie industrialisante » où le Pays servit de laboratoire à DE BERNIS pour tester ses différentes théories. Elle se résumait au fait qu’un Pays qui veut se développer doit d’abord développer une industrie lourde. Celle-ci à terme donnera naissance à une multitude de PME-PMI qui viendraient en appoint et en support en assurant la sous-traitance. Et on vit la naissance des super complexes, avec les qualificatifs qui conviennent : Le Plus Grand Complexe d’acier d’Afrique, le Plus grand complexe d’électronique, le Plus grand complexe de….etc… C’est devenu actuellement des zones moribondes.

Sur le plan culturel, c’est le retour aux sources : L’Afrique. En 1969, le premier festival panafricain est organisé en grandes pompes avec en vedette Meriem MAKEBA. Mais c’est aussi les chants patriotiques, le Cinéma engagé et le théâtre juste-juste ! Boumédiène aurait même dit à propos de Kateb Yacine en réplique à des conseillers qui proposaient sa liquidation physique : « un Kateb Yacine, d’accord, deux jamais de la vie ! » Il se contenta de l’exiler à Sidi-Bel-Abbès avec résidence à Ténira, où il devait s’occuper du Théâtre. L’Algérie perdit beaucoup, Bel-Abbès gagna au change puisqu’il permit l’émergence d’une culture de Théâtre préservée jusqu’à Aujourd’hui. Pour l’anecdote, je me souviens que lors d’une rencontre avec les Lycéens, Kateb Yacine m’a répondu à propos d’une question sur Nedjma : « S’il vous plaît, ne me posez pas de question sur Nedjma ! »

Culturellement, la censure sévissait, mais il faut dire qu’il y avait une politique de soutien au livre et au cinéma qui nous permettait de satisfaire nos besoins sans difficulté. Rien ne peut résumer la liberté de presse que cette blague qui circulait à l’époque : « Un citoyen se présente pour acheter son journal. Avez-vous La République ? Le libraire répond : Ah ! Mon fils, la « République » est épuisée depuis longtemps. « El Moudjahid » est mort ; “En Nasr* ” ça fait belle lurette qu’il a disparu ; il ne me reste plus que « ECHAAB. » * Il est (sus) pendu là devant toi ! »

La «  République  » seul journal « lisible » à l’époque paraissant à Oran et commençant à déranger, fut arabisé. C’était le seul moyen d’en venir à bout ! Il restait quand même «  Algérie-actualités » l’hebdomadaire engagé et à un degré moindre «  Revaf » (pour révolution africaine) Quant à « Parcours Maghrébin » un périodique dédié au cinéma et le théâtre, c’était « le bimensuel qui paraissait parfois par an  » pour paraphraser mon ami Slim.

Aujourd’hui, il y a peut-être profusion de titres, mais les cinémas ont disparu.

Sur le plan agricole, la révolution agraire aura été sûrement ce qu’il ne fallait pas faire. Il serait inutile de revenir sur les implications fatales sur l’agriculture, tant les effets continuent jusqu’à aujourd’hui. L’influence de Kolkhozes bolchéviks sur Boumédiène aura été destructrice !

Étudiants, nous étions subjugués d’avoir la chance de participer aux campagnes de volontariat afin d’expliquer à nos paysans, les bienfaits de la Révolution et les méfaits des gros propriétaires fonciers. Nous attendions avec impatience le séminaire national de la Révolution agraire qui se déroulait chaque année à la Salle Harcha sous l’égide de Son Excellence HOUARI BOUMEDIENE. Je me souviens de celui de 1975, lorsque – malgré toutes les dispositions prises par le Protocole (questions vérifiées, les « poseurs de questions » identifiés…) badges différenciés, – un étudiant prend le micro et se met à critiquer le Gouvernement. Le Président fit une réponse historique qu’on ne verra jamais à la télévision pourtant présente en force lors de ce séminaire ! Il nous parla de son séjour au Caire (El Azhar) en 1954 où il fut contacté par les Frères Musulmans de H. EL BENNA, de ses déboires avec les blocages dont se rendaient responsables certains membres de ce Gouvernement. Sa conclusion est toujours en mémoire : «  tout un chacun qui a lu une page du Capital, se prend pour un marxiste, tout un chacun qui a appris une demi-sourate du Coran se prend pour un Uléma, lisez votre Histoire plutôt, lisez Ibn Khaldoun. Si maintenant, le Pouvoir ne vous plaît pas, prenez les armes et montez au Djebel ! Faites- alors comme moi ! »

Le lancement de la révolution agraire coïncida avec la promulgation de la GSE (Gestion Socialistes des Entreprises) et…. La nationalisation historique des hydrocarbures le 24 février 1971, avec le fameux : KARARNA ! (Nous avons décidé !)

La période Boumédième aura été marquée aussi par, en vrac :

-  La nationalisation de la base stratégique de Mers El Kebir ;

-  La tentative avortée du coup d’état de Zbiri ;

-  Son intervention à l’assemblée générale des Nations Unies où l’arabe fut reconnu pour la première fois comme langue officielle et où il présenta sa vision du « nouvel ordre économique mondial » qui prévoyait (déjà ?) la mondialisation ;

-  Le règlement du conflit Irako-Iranien en réussissant une réconciliation entre le Chah et le jeune Saddam Hossein ;

-  Sa prise de position dans la guerre d’octobre et le fameux chèque à blanc ;

-  En 1975, il lâchera : « Le Peuple Algérien n’ira pas, affamé, au Paradis  ! » en direction des « Frères Musulmans » et en prévision de la Conférence Islamique de Lahorre.

A l’intérieur, l’Algérie aura été marquée paradoxalement par une dignité recouvrée par rapport à l’étranger. Faut-il rappeler qu’à l’époque de Boumédiène, on ne cherchait pas de visa auprès des consulats étrangers, mais des visas de sortie auprès des Chef de Daïra et Walis. Le passeport était un document délivré au compte-goutte ! Le dinar est arrivé presque à une valeur double du franc français ! Mais en parallèle, la SM (Sécurité Militaire) était omniprésente. Les liquidations des opposants, les détentions arbitraires étaient monnaie courante et quand on croisait la PM (police militaire) on changeait de trottoir ! Un Capitaine de l’ANP voire un Lieutenant, (le plus haut grade était Colonel !) se contentait juste de poser sa casquette sur la lunette arrière de son véhicule Mazda de service, pour intimider tout le monde ! Gare à celui qui oserait se mettre au travers de son chemin !

Le 27 Décembre 1978, disparut BOUMÉDIENE après 13 ans de règne sans partage et ce, suite à une longue maladie. Ses funérailles furent un délire. Tout le Peuple y participa. Il y eut des syncopes, des évanouissements, des évacuations d’urgence…. C’était l’hystérie.

En voyant la retransmission de ces funérailles à la Télévision à partir du Maroc où il résidait, Feu BOUDIAF décida de dissoudre son parti d’opposition le PRS. « Je ne peux lutter contre quelqu’un autant aimé par son Peuple ! » disait-il.

Alors, BOUMEDIENE, Grand Homme d’Etat ? Sûrement. Mais ANGE ou DEMON ?

Pour le chérubin que j’étais, il restera Ange, ne serait-ce que parce que mon nom a figuré quelques jours plus tard dans le quotidien « la République » au même titre que celui de Benadji qui aura eu un cadeau à la place du fouet. Nous venons tous les deux, de franchir un pas dans notre vie : A nous l’adolescence, adieu l’enfance !

Il restera Ange pour l’Etudiant que j’étais malgré mes origines paysanne et modeste, grâce à la démocratisation de l’enseignement et sa haute qualité. C’est du temps de BOUMEDIENE que le portefeuille de l’enseignement supérieur était confié à des Monstres, genre Mohammed ESSEDIK BENYAHIA et Abdellatif RAHAL.

Pour l’adulte que je suis, la critique est aisée. Surtout à postériori ! Alors je préfère m’abstenir, laissant chacun se faire un jugement par lui-même !

* trad. EN NASR : La victoire ; ECHAAB : Le peuple

*Article publié le 16 juin 2011 par Djillali Cherrid