L’Amérique m’a accepté – Algérienne musulmane – d’une façon que la France ne m’a jamais faite! Melyssa Haffaf *

Bien que je maîtrisais la langue française et la plupart des codes culturels, les gens me rappelaient souvent que je n’étais pas exactement «française». Cela ne se fait pas ici.

Je suis né en Algérie au milieu des années 80 dans une classe moyenne et issue d’une famille séculaire profondément attachée aux valeurs démocratiques. J’ai grandi en parlant le français, l’arabe et parfois le berbère. Mon enfance a été remplie avec des étés dans la plage, de simples plaisirs comme manger des pastèques fraîches sur le sable, des visites au marché les vendredis avec mon père et un couscous traditionnel hebdomadaire assorti d’un verre de leben, une boisson dérivée de lait. Mais l’innocence de mon enfance fut bientôt perturbée par une guerre civile.

L’Algérie a connu un «automne arabe» en 1988, qui a conduit à une guerre entre les groupes islamistes armés et l’armée algérienne gouvernementale. Beaucoup de journalistes, des intellectuels, des artistes ont été parmi les 200 000 environ d’Algériens  morts sous les lames et les balles de ces meurtriers fanatiques. C’était presque du jour au lendemain que le visage de la société algérienne a changé et, est entré dans l’un des moments les plus sombres de son histoire.

Au paroxysme de la guerre au milieu des années 90, mes parents ont décidé qu’il était plus sûr de déménager temporairement en France et surtout suite aux menaces de morts que ma mère avait reçu. Ce fut un retour “à la maison” pour elle car elle était née et a grandi en France grâce à ses parents algériens .

Je me souviens de ces sentiments de reconnaissance que je ressentais lorsque je pouvais enfin marcher dans la rue sans avoir peur. Mais pourtant, je me sentais souvent étrangère. Je me suis retrouvée face au racisme pour la première fois et j’ai découvert ce que c’était d’être un étranger. Je fus surpris de découvrir que les Algériens ne sont pas complètement bien reçus et n’étaient pas la bienvenue. Je ne savais pas alors, compte tenu de mon âge, les subtilités complexes héritées de l’époque coloniale.

Bien que je maîtrisais la langue française et la plupart des codes culturels, les gens m’ont souvent rappelé que je n’étais pas exactement “française”. Je me souviens des gens me demandant toujours si je me sentais plus algérienne ou française ou quel pays je préférais et je ne savais pas de quel coté je devais me positionner .

J’ai alors commencé les études universitaires et basculé vers la gauche “typique”, féministe de conception , étudiante en philosophie et sociologie à la Sorbonne. Je désapprouvais beaucoup la politique étrangère américaine – en particulier la guerre en Irak. Mes opinions politiques n’ont pas changé radicalement depuis, mais sont devenus plus nuancées et pragmatiques.

À l’été 2007, je suis parti en Ohio pour participer à un programme d’échange. Tout est arrivé accidentellement lorsque j’ai raté la date butoir du  programme d’échange pour l’Angleterre et le seul pays anglophone qui restait , c’était les États-Unis. Il n’a jamais été de mon rêve de visiter l’Amérique et beaucoup moins vivre ici.

J’ai tout de suite découvert le privilège d’enseigner et d’apprendre dans un collège d’arts libéraux dans une communauté diversifiée. Je suis devenue consciente des multiples subcultures de cet immense pays qui est les États-Unis et je me souviens avoir été surpris par la façon dont les gens considéraient l’Amérique comme leur propre “chez-soi” tout en restant fiers de leur origine ethnique ou culturelle.

Cela n’a pas fait nier le racisme persistant et la présence de sombres nuages d’esclavage flottant sur l’Amérique. Pourtant, ces années ont fini par être parmi les plus enrichissantes de ma vie. Je suis tombé lentement amoureuse de cette société hétérogène. Je pouvais enfin dire que je suis algérienne sans être inquiète de la façon dont réagiraient les gens. L’Amérique m’a aussi permis d’apprécier et d’embrasser mon «francité» – jusque-là, je ne savais pas vraiment combien j’étais français. Je suis enfin en mesure d’articuler les complexités et les nombreuses couches de mon identité.

Maintenant, je suis à l’Université de Miami, préparant un doctorat. Ma recherche explore la littérature et le discours post-colonial de l’Afrique du Nord traitant des questions d’équilibre entre les genres, de la sexualité et de l’Islam. Mon séjour ici m’a aidé à forger une meilleure compréhension de toutes ces questions obsédantes et les angoisses que j’avais.

Après de nombreuses années, j’ai décidé de définir ma “maison” comme l’endroit où je me sentais heureuse et le plus à l’aise dans ma peau. Cet endroit est Miami. Ce n’est pas ici où je suis né, ni où j’ai passé le plus de temps. La plupart des gens ici, ne parle pas ma langue maternelle, ni pratique la même religion que la mienne. Mais, à bien des égards, je me sens aussi américaine que je me sens algérienne ou française. Je veux participer – avec chacune de mes parties de mon identité-  que ce pays m’a permis d’embrasser, en tant que femme ,une musulmane, une humanitaire, une féministe et une rêveuse , à rendre l’Amérique meilleure.

Traduit approximativement par A. Jabli

* Article paru dans “the guardian” le 30/08/2016