LE CŒUR A SES RAISONS

Installé au volant de sa grosse berline allemande, plus chère qu’un logement trois pièces,et qui attirait le regard de tous les passants, El Hadj Messaoud redressa les épaules pour bien se camper sur son siège. Il prit une grande respiration, redressa ses épaules et s’inspecta dans le petit rétroviseur intérieur. L’inspection sembla lui plaire: visage rubicond et non flétri, moustache rousse et lustrée et yeux bleu intense, mis en vitrine sous des verres loupe volumineux, qui signalaient une myopie forte et ancienne.

Si Messaoud tira sur le pli impeccable de son costume Armani et, pour faire bonne mesure, tapota sur son abdomen pour tester la fermeté de la ceinture abdominale.Il venait d’atteindre la soixantaine, et la mode des calvities, lancée par un acteur américain lui sauvait la mise pour ne plus avoir s’accrocher à quelques touffes éparses, comme il l’avait fait si longtemps.

À ses côtés, sur le siège passager, sa jeune épouse de vingt ans, Fériel, épousée en secondes noces, flattait son orgueil de mâle par le témoignage de sa vigoureuse jeunesse et la perfection de ses traits. Chaque fois qu’il levait les yeux sur elle, il ne pouvait s’empêcher de trouver merveilleux qu’elle se trouvât là devant ses yeux. Sa vénéneuse beauté brune agissait comme un poison funeste dont l’influence maligne, le poussait à négliger ses affaires, sa vieille et fidèle campagne Lalla Nadira, et ses trois enfants, tous plus âgés que leur nouvelle belle-mère et coépouse.

Les deux jumeaux Linda et Adel ne lui adressèrent plus la parole et seul l’aîné Fethi, associé aux affaires florissantes du père se faisait bon gré mal gré à la situation. Mon père a bon goût pensait-il in petto!

Lalla Nadira avait bien essayé de lutter et requis l’expertise d’un Raki quatre étoiles, renommé et qui officiait dans le beau monde. Une de ses amies qui séjournait à Paris la moitié de l’année lui avait parlé d’un vilain djinn, le démon de midi qui s’en prenait aux hommes mûrs sous ces latitudes. Elle avait précisé qu’il frappait souvent aux abords de la quarantaine.

Au début, Lalla Nadira était confiante surtout que les préparatifs de l’exorcisme étaient coûteux et impliquaient, le sacrifice d’un taureau noir, d’une poule rousse, l’achat de quarante kilos de semoule, de trois kilos de café, d’une offrande à faire à la zaouia et la récitation de quelques versets usités pour les rakias licites par quarante talebs. Bientôt, la malheureuse épouse commença par puiser dans les économies du ménage, pour ensuite vendre une partie de ses bijoux. “Si seulement, votre mari consentait à une hdjima pour faire partir le mauvais sang qui obstrue son jugement” plaidait souvent le raki.

À cette même période, des phénomènes étranges se produisirent au domicile de ce dernier. Des meubles commencèrent à bouger la nuit, et des bruits sourds qui effrayaient toute la maisonnée se faisaient entendre.
Puis un jour, sa propre femme lui présenta des griffures mystérieusement apparues sur le corps. Notre Raki, Si Belahouel, alla consulter plus savant et il se liquéfia quand il s’entendit dire que c’était un travail de
professionnel, au moins d’un marocain à moins qu’il ne s’agisse d’un juif ou pire encore d’un juif marocain de Fès.

Il prit la poudre d’escampette et Fériel régna sans partage sur le cœur fatigué de notre héro.

Elle semblait lui témoigner de beaucoup d’affection et sa lourde et charnelle odeur avait le pouvoir de galvaniser El Hadj Messaoud. Cela ne la rebutait pas de se lever matin et elle accomplissait les tâches domestiques avec enthousiasme.

Lalla Nadira se montra assez philosophe pour tirer le meilleur parti de l’incongruité de la situation et elle se surprenait souvent à admirer la perfection de l’ovale du visage de Fériel, et proposait parfois de peigner les longs cheveux ondulés, des cheveux de crinière, qui dénoués lui tombaient dans le bas du dos.

Chaque jour, El Hadj Messaoud se réjouissait de la félicité que le Seigneur lui avait octroyée et ne désespérait plus de retrouver l’affection de ses jumeaux. La patience est toujours récompensée disent nos anciens, en référence à un hadith. Le Tout-Puissant avait agrée la nouvelle union, et tuteur et témoins étaient allés au bout du mariage religieux, et de toute évidence, la crise avait passé.

Avec sa première épouse,si la passion s’était éteinte, ils continuaient à s’entendre avec la complémentarité biologique de deux organes voisins dans un même organisme. Avec Fériel, il avait sa part de paradis sur terre et dans les moments d’intimité, il l’appelait “ma petite houri”.

El Hadj Messaoud n’avait pas répondu aux appels du muezzin pour la prière du maghreb. Il s’en était allé par la faute de ce cœur qui avait trop aimé et qui s’était arrêté comme un mécanisme d’horloge qui se dérègle, fait des couacs pour s’arrêter indéfiniment.

Al-HANIF