LEÇON DE TAXI

Hier, pour le retour chez moi après la marche du vendredi, j’ai pris un taxi. Lors de la marche j’étais en compagnie de mes collègues enseignants. Tous anciens, aux cheveux grisonnants, aux cheveux absents pour certains. Ils étaient de spécialités différentes ( scientifiques surtout, les autres absents comme toujours), tous de bonne foi, mais pas tous de bonne volonté, ou plus exactement certains de meilleur volonté que d’autres.

Chemin faisant, nous avons parlé longuement du sujet qui réunit tous ces gens: de quoi sera fait demain? Qui l’emportera sur l’autre: LA RUE ou AGS? Les élections auront-elles lieu selon ses injonctions ou cédera t-il à la pression de LA RUE? Quelle est la part du réalisable et de l’utopique dans les revendications de LA RUE? Le mouvement peut -il durer longtemps sans faiblir? Restera t-il toujours pacifique? Et tant d’autres questions?

De mon coté j’ai exposé la théorie du cygne noir de Nassim Nicholas Taleb qui porte sur l’impact de l’imprévisible, pour démontrer que ce que nous vivons actuellement relève effectivement du Cygne Noir; c’est à dire de ces évènement rares, imprévisibles, et qui, quand ils adviennent, ont des conséquences énormes.

Dans mon idée, à la veille du 22 février personne, (surtout nos intellectuels, nos politologues, journalistes ou constitutionnalistes) ne prévoyait ce qui allait se passer le lendemain: le soulèvement aussi massif du peuple, sa passivité, la chute du clan Bouteflika et tous les actions extraordinaires qui s’ en sont suivis. Tous les officiels préparaient encore leurs cadres, et le peuple regardait insatisfait mais, apparemment, résigné. Et subitement l’après 22 février ne ressemble plus à l’avant.

Mon collègue et ami m’a renvoyé aux écrits, nombreux, de Lhouari Addi, de Ghazi Hidouci et de tant d’autres, faisant remarquer au passage le silence suspect de Kamel Daoud, qui se tait après avoir bien et tant parler au début. Je ne l’ai pas fait, mais je souhaitais casser un peu de sucre sur le dos de ce genre d’INTELLECTUELS, qui n’avaient rien vu venir, mais qui, maintenant, et de manière rétrospective, nous disent que tout cela était prévisible, et qui font des projections sur l’avenir! Du fait qu’ils se focalisent à l’excès sur ce qu’ils savent, ils leur échappe l’essentiel; les règles.

Ils ne se contentent que des faits, ils n’ont aucune prise sur l’abstrait. Or ce qui ce passera demain, et jusqu’à ce qu’il advienne, ne relève pas du factuel. Comment alors prendre vraiment au sérieux ce qu’ils avancent à propos de demain? En fait, nous tous, eux comme moi, nous ne savons pas plus de ce que demain sera fait que n’en sait le taxieur qui m’a ramené chez moi. Peut être que lui, au moins, n’a pas l’esprit pollué par tant d’écrits et de déclarations contradictoires et peu professionnels. Il a dit ceci en toute simplicité: AGS ne lâchera pas facilement, ykhaf 3la rohah, khraj lel3ayb, yahkame wella l’harrache.

Ma leçon de ce court trajet est que moi, mes amis universitaires, et autres intellectuels, personnes intelligentes et bien informées au demeurant, nous ne connaissons pas l’avenir mieux que le chauffeur de taxi. Mais à la différence de lui, qui ne croit pas connaître plus de choses que nous, nous nous croyons plus connaisseurs, simplement parce que nous faisons partie de l’élite. La conséquence est que si lui se trompe sa responsabilité n’est pas engagée, mais si nous nous tombons dans l’erreur notre responsabilité sera entière.

One thought on “LEÇON DE TAXI

  1. واما الغبن حتى الاوروبيين راهم مغبونين اكثر منا
    محنة و تفوت كما فاتو خياتها

    (139) إِن يَمْسَسْكُمْ قَرْحٌ فَقَدْ مَسَّ الْقَوْمَ قَرْحٌ مِّثْلُهُ ۚ وَتِلْكَ الْأَيَّامُ نُدَاوِلُهَا بَيْنَ النَّاسِ وَلِيَعْلَمَ اللَّهُ الَّذِينَ آمَنُوا وَيَتَّخِذَ مِنكُمْ شُهَدَاءَ ۗ وَاللَّهُ لَا يُحِبُّ الظَّالِمِينَ (140)

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