Portait de ministre avec groupe
“Il faut sauver le soldat Benghebrit!”. La boutade a été lancée par un de nos lecteurs sur Facebook alors que la polémique n’en finit pas d’enfler dépassant son objet originel apparent et ranime les vieilles polarisations entre arabophones et francophones, entre “modernistes” et “conservateurs”. Dans les médias et les réseaux, les positions sont tranchées.

Des journalistes francophones – peu nombreux – qui expriment leur réserves à l’égard des projets de Benghebrit sont étrillés et pratiquement expulsé du label de la “modernité démocratique”. Les quelques intellectuels arabophones – rares aussi – qui soutiennent Benghebrit sont taxés de “larbins” des francophones.

Les bons bilingues – il en existe – censés être au-delà des a-priori idéologiques ou claniques préfèrent se taire. C’est dans leur rang qu’on rencontre la thèse qui monte et qui veut ce thème des langues maternelles a été lancé dans un but de diversion alors que le régime connait “au sommet, une de ces sombres batailles  qui peuvent avoir des effets collatéraux massifs”.

De nombreux enseignants, directement concernés, s’étonnent de ce boucan et ne comprennent pas pourquoi les “experts” de la Conférence sur l’éducation nationale ont décidé de faire d’une pratique qui existe depuis des lustres un thème de polémique.

“Les enseignants n’ont pas attendu les experts présumés pour utiliser la darija dans un but d’explication. Cela se pratique dans les premières années scolaires mais également dans le moyen et le secondaire. C’est la nécessité qui dicte à l’enseignant la manière de le faire. On n’avait pas besoin d’une directive officielle qui allume le feu, il fallait faire confiance pour une fois aux enseignants qui ont résolu la question de manière concrète”.

L’enseignante qui fait ce constat craint que les “gens du ministère de l’éducation” n’aient agité un “faux problème” pour donner l’illusion qu’ils sont réellement “en train de réformer”.

Un point de vue très largement partagé par des enseignants du primaire qui recadrent, dans des déclarations au journal El Watan, les véritables enjeux de l’enseignement primaire.

Au cœur d’une furieuse tempête

Sujet de diversion politique? Fausse réforme pour masquer une incapacité à réformer? Cela devient presque secondaire de chercher les raisons de ce bébé “darija” lancé dans un été ne manque pas de “feuilletons”. Nouria Benghebrit s’est retrouvée au cœur d’une furieuse tempête où tout les coups sont donnés, de vrais arguments comme les insultes ad-hominem.

Une véritable foire d’empoigne. Islamistes, conservateurs, syndicats d’enseignants montent au créneau pour réclamer l’annulation pure et simple de cette recommandation ou tout pour réclamer le départ de Nouria Benghebrit.

Celle-ci persiste à expliquer qu’il ne s’agit pas d’enseigner la darja mais de l’utiliser dans le préscolaire et les deux premières années du primaire pour aider à l’apprentissage de la langue arabe. Mais au pays du soupçon permanent, la décision “d’officialiser” une pratique qui existe déjà est suspectée d’avoir un objectif plus large…

Les ripostes dans les médias francophones et sur les réseaux avec souvent des jugements sommaires sur la langue arabe ne font qu’accréditer l’idée qu’il y a des “visées” plus larges… Bref, les passions – et les haines – se sont rallumées et des dichotomies que l’on croyaient dépassées font preuve d’une vivacité surprenante.

Dans cette bataille, inégale, Nouria Benghebrit, tente de combattre la “rumeur”. comme dans ce post sur Facebook où elle rassemble des “titres d’articles faux dont certains ont été publiés après et malgré notre démenti de la rumeur et les explications données sur la recommandation relative à la langue maternelle”.

Benghebrit souligne aussi qu’elle fait, depuis plus d’une année, l’objet d’une campagne “mensongère” de la part de certains médias.

“Ceux qui suivent ma page depuis sa création savent que nous avons démenti un nombre conséquent de rumeurs, comme celle qui affirme que les attestations provisoire ne sont pas acceptées dans le dossier du concours des enseignants ou celle de ce journal qui a soi-disant publié le “seuil” des leçons prévus pour le bac 2015.

Devant ce nombre important de “mensonges” et de “rumeurs”, annonce Mme Benghebrit, “nous avons décidé de créer prochainement une autre page qui sera consacrée à relever les mensonges et les tromperies qui ciblent le secteur de l’éducation”.

Sur qui peut compter Benghebrit?

Benghebrit peut compter sur l’appui des journaux francophones qui défendent la ministre contre les “intégristes”, les “rentiers des constantes” mais en se lançant parfois dans des diatribes contre la langue arabe que la ministre ne partage pas officiellement, elle qui rappelle constamment qu’elle est la langue officielle et nationale.

A l’opposé, les journaux arabophones, dont la surface des lecteurs est beaucoup plus large que celle des journaux francophones, sont ouvertement contre la ministre. Même le journal El Khabar qui était considéré dans les années 90, comme “El Watan en arabe” est franchement hostile à cette recommandation sur les langues maternelles.

L’impact est encore décuplé par le fait que ces journaux arabophones disposent également de télévisions qui relaient la “ligne”.

Ainsi, si Khaled Drareni a accueilli Benghebrit pour une interview où elle s’est expliquée en “français”, la tonalité dominante de la chaîne Echorouk TV où il travaille est très hostile à la ministre. Benghebrit était chez “l’ami Khaled Drareni” mais dans une chaîne ennemie!

 

Chez “l’ami Khaled Drareni” mais dans une chaîne ennemie!
Au plan des “médias”, la partie parait bien compromise pour Benghebrit. Au niveau politique, on ne note aucune expression de soutien de la part de M.Abdelmalek Sellal, qui reste prudemment discret sur le sujet. Le seul soutien franc est venu de Mme Louisa Hanoune qui a dénoncé une “cabale misogyne” contre la ministre.

Le RCD se contente de constater que le “conclave” organisé par la ministre de l’éducation “a au moins le mérite d’éclairer, une fois de plus, l’opinion publique sur le fait que les blocages et les pesanteurs idéologiques infligés à l’école algérienne ne sont pas l’œuvre des enseignants et des cadres du secteur mais de choix politiques du pouvoir”.

Le plus significatif cependant est que les deux partis du pouvoir, le FLN et le RND, ont ouvertement désavoué la ministre.

Après le porte-parole du RND, Seddik Chiheb qui a reproché à Mme Benghebrit de vouloir imposer une “orientation déterminée à l’école”, c’est au tour du FLN de marquer de manière officielle son opposition, à travers un communiqué de son groupe parlementaire à l’APN.

Dans un communiqué, le groupe parlementaire du FLN, estime que la ministre a donné une “opportunité à ceux qui veulent politiser l’école algérienne et jouer avec l’avenir des générations”. Le groupe dénonce une mesure “non étudiée” qui est de nature “à créer une fitna” dont l’Algérie peut se passer.

A l’évidence, le soldat Benghebrit est bien seul. Peut-elle compter sur le soutien du président Bouteflika, très fortement interpellé par ses adversaires. Telle est la question….

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