ZAHRA, UNE ÉTOILE

Nikita Kroutchev, l’homme qui avait déboulonné la statue de Staline dans un réquisitoire implacable de la gestion du “petit père des pauvres”, n’était pas un tendre non plus.

Formé à l’école de la Tchéka, du KGB et de la paranoïa, il se méfait de tout et de tout le monde et particulièrement des historiens, ces empêcheurs de faire vivre sans fausses notes, le récit unique de la glorieuse révolution d’Octobre, légende fondatrice sur laquelle sera édifié l’homo Sovieticus.

“Les historiens sont des gens dangereux et il faut les mettre sous surveillance” avait coutume de répéter le premier Secrétaire du Politburo qui ne voulait plus entendre parler des tourments de l’âme russe; il avait fait le tri entre écrivains révisionnistes, réactionnaires et chantres de la geste révolutionnaire qui étaient, seuls, autorisés à porter et à incarner une parole unique, forgée dans une pensée présentée comme telle et forgée dans le mental collectif de la Nation.

Kroutchev n’est plus là pour voir la montée en puissance des oligarques, le démantèlement des Républiques Soviétiques passées chez “l’ennemi” et les forces de l’Otan grignotant chaque jour d’avantage l’espace vital de sa patrie.

ZAHRA avait tout lu de cette époque, excusé les outrances et les purges et elle faisait un effort énorme pour faire taire les critiques sur la gestion des dirigeants soviétiques du moment; et les références au manque de liberté que lui avait rapportée les quelques étudiants formés dans ce paradis du prolétariat. Et qui ne rêvaient que de le quitter au plus vite.

La famille de ZAHRA, ancrée dans les valeurs de l’islam lui avait également transmise une culture quasi messianique et elle voyait en le Calife Omar ( Que le Salut Soit sur Lui) l’inventeur d’une société socialiste, appelant à l’orthodoxie religieuse , à la propreté corporelle et spirituelle, et à l’égalité de tous devant la Loi.

ZAHRA aimait à se rappeler le slogan révolutionnaire: “La révolution, c’est les Soviets et l’électricité” et son adhésion à l’action de son président qui avait ramené la fée électricité jusque dans les douars les plus isolés qui en avait fait une militante post indépendance.

C’est pour diffuser ses discours interminables avaient ricané certains cyniques! Sa Révolution agraire est en train d’être sabotée sur le terrain. “Notre blé est ensemencé chez nous mais il se récolte au Canada” persiflaient les autres. La nostalgie des joutes d’antan manquait à Zahra.

En cette période ci, de débats creux, d’étripage dans les réseaux sociaux, de partis multiples sans multipartisme, le docteur en physique Zahra se prenait à rêver de la restauration d’un pouvoir vertical pour rappeler les urgences du moment.Et conjurer les dangers qui menaçaient. Et d’une synthèse impossible: d’un Zaïm démocratique!

Les Algériens ont besoin de pain et de dignité. Ils cherchent autre chose que cette démocratie dévoyée, qui chez nos frères, n’a apporté que son cortège de morts et de privations, argumentait-elle souvent.

Non, notre société polytraumatisée par les conflits qui ont accompagné son existence a besoin de stabilité et Dieu sait que sa géographie est dangereuse.

Un regard attendri, sur la tenue d’officier supérieur de son époux, qui avait opté pour l’Armée nationale populaire au sortir de l’ENA,lui rappela leur attachement commun à la terre et leur engagement à se réconcilier avec l’histoire dans le serment de lutter toujours et encore dans une nation unifiée.

ZAHRA avait d’autres soucis d’inquiétudes. La corruption avait gagné certains membres du corps enseignant et les passe-droits s’étaient multipliés, promouvant des étudiants médiocres mais pourvus de “ktef”, au détriment de plus méritants et balayés comme des gêneurs.
Des enseignants se sentaient humiliés devant les voitures rutilantes de leurs étudiants, et ne prenaient leur guimbarde aux ailes bouffées par la rouille, ramenée dix ans auparavant, vestige d’une soutenance de thèse à l’étranger, qu’en maugréant.

Dans son Magister, reconverti Phd, des thèses google, véritables anthologies du “copier-coller” ne se donnaient plus la peine de sauver les apparences.

Les signaux d’une corruption intellectuelle se généralisaient, d’abord faibles voire imperceptibles, et se faisant assourdissants mais inaudibles par volonté de cécité. Le professeur Zahra recevait parfois la visite de collègues,
désormais en retraite qui lui reprochaient amicalement son intransigeance.: “Nage avec le flot. Le pays a changé et tu dois changer aussi!”

Elle se plongea dans un traité de physique théorique pour tenter de trouver une réponse à à un problème devenu existentiel.

Et là devant ses yeux, si elle acceptait d’endosser l’identité d’une étoile, tout s’éclairait.

Chandrasekhar, prix Nobel en 1983, l’année de son mariage,avait montré que pour éviter tout effondrement gravitationnel, “le principe d’exclusion pouvait ne pas stopper l’effondrement d’une étoile de masse supérieure à la limite qui porte son nom, mais comprendre ce qui arriverait à une telle étoile d’après la Relativité Générale”.

Quel télescope pourrait détecter l’étoile ZAHRA?

AL-HANIF