AL-MOU’TAZILA ET LES ASH’ARITES المعتزلة والأشعرية

 par Mohamed Senni.

Dans un commentaire daté du 14 Novembre 2012 à 16H55, notre ami Abdelhamid Abdeddaïm a abordé, pour les besoins de sa réponse, l’I’Tizal dont il a énuméré les principes fondamentaux. Mais l’espace que peut autoriser un commentaire limite l’explication nécessaire à la compréhension de ce mouvement. Nous apportons quelques précisions espérant stimuler d’autres, plus versés sur le sujet, à compléter notre information.

Rappellerons que le Kalam (علم الكلام)- qu’Abou Hamid Al-Ghazzali (mort en 1111) a combattu au soir de sa vie en écrivant notamment إلجام العوام من علم الكلام ( Bridage de la communauté de la théologie dialectique) a constitué la première phase de la philosophie islamique  par son introduction d’une méthode d’argumentation, s’appuyant sur des éléments de la philosophie grecque pour résoudre les problèmes religieux. Ce terme a connu plus tard d’autres appellations : théologie dialectique, science de l’Unicité etc. Deux Ecoles ont dominé ce mouvement :

-l’Ecole rationaliste de l’I’tizal (الإعتزال), née au IIème siècle (VIIIème), presque par hasard ;

Qui sont les Mou’tazila ?

 

Au déclin des Omeyyades, au début du VIIIème siècle, prit naissance un mouvement politico-religieux rationaliste dont les adeptes furent qualifiés de «  premiers penseurs de l’Islam » parce qu’accordant une primauté à la raison. Ce sont eux qui se sont désignés par ce vocable parce qu’ils se voulaient «  neutres » des Sunnites et des Kharidjites (خوارج). Injustement, même après la disparition de leur mouvement et jusqu’à notre époque, ils resteront taxés de « séparatistes ». Parmi les précurseurs de ce mouvement, on peut citer :

Wasil Ibn ‘Ata’ (Médine 80/700 – 131/748) qui eut pour maître le grand Hassan El Basri. On raconte à son sujet qu’il prononçait le son ر par  غ(gh) et il exerça un talent fou pour éviter l’usage duر avec brio. (Voir Ibn Khillikan : وفيات الأعيان لابن خلكان, El Moubarrid : الكامل في اللغة والأدب   et El-Jahiz : البيان والتبيين, ces deux derniers livres figurant au lot des quatre livres-mères de la littérature arabe.) Wasil légua à la postérité dix ouvrages.

Aboul Hudhaïl Al ‘Allaf (Bassorah 135 -226, 227 ou 235). Sa doctrine est basée sur dix thèses  que nous aurons l’occasion d’aborder un jour.

Ibrahim En-Nazzam (Bassorah, 185 ?-221 ?). Abou Ali El Jouba’ i (Jubba 235-Al ‘Askar 303/915), Abou Hachim El Juba’i (Bassorah 227- 18 Chaâbane 321/16/8/933 à Baghdâd) et le grand Cadi El Coudat Abdel Djabbar (320 ou 324- 415/1025 à Rayy).

Nous ne raterons pas cette occasion pour signaler les brillantes figures littéraire et religieuse de l’I’tizal que furent Amrou Bnou Bahr El Jahiz (Bassorah 775- ib. 868), et Mohamed Ben Omar Ez-Zamakhchari (mort en 538/1144) auteur du « Kechaf », exégèse du Coran, « la base de la rhétorique » ainsi que d’autres titres. Leurs œuvres se vendent jusqu’à nos jours comme des petits pains.

Les Principes de l’I’tizal.

 

Ils sont au nombre de cinq :

  1. L’unicité divine :         التوحيد
  2. La Justice divine :        العدالة الإلهية
  3. La promesse et la menace :    الوَعد والوعِيد
  4. L’état intermédiaire :      المنزلة بين المنزلتين
  5. Le commandement du Bien et l’interdiction du Mal : الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر L’état intermédiaire concerne le pécheur non repenti qui reste entre le croyant et l’infidèle.             L’Ecole de l’I’tizal considère la raison comme seul moyen valable d’arriver à la vérité par l’interprétation allégorique des écrits sacrés. Pour ses adeptes, «  la justice divine n’a de sens que si l’homme est libre de ses actes. Ils concluent donc à la liberté de l’homme ce qui, à leurs yeux favorise la justice de Dieu et son sens. Ils s’inspirent de la philosophie grecque et platonicienne. Ils distinguent entre l’essence du monde et son existence à partir d’une matière éternelle composant ses propres lois. »

-l’Ecole Ash’arite au Xème, par réaction à la première, en sera la deuxième.

L’opposition tient en ce que la première considère la raison comme seul moyen valable d’arriver à la vérité par l’interprétation allégorique (faîte par métaphores) des écrits sacrés. Les Ash’arites subordonnent, eux,  la raison aux textes. De là leurs divergences sur la Justice divine  et la conciliation avec la prédestination affirmées par ces mêmes textes.

Pour les mu’tazilites, la justice divine n’a de sens que si l’homme est libre de ses actes. Dans le cas contraire, elle serait arbitraire. Donc ils ne sont pas artisans du mal qu’ils peuvent faire. Ils concluent donc à la liberté  de l’homme ce qui, à leurs yeux, favorise la justice de Dieu et son sens. En ce qui concerne la création du monde, les textes affirment, contrairement à la tradition hellénique, la création ex nihilo. Les Mu’tazilites, dans leur explication, s’inspirent de la philosophie grecque et néoplatonicienne. Ils distinguent entre l’essence du monde  et son existence à partir d’une matière éternelle composant ses propres lois. De cette matière découlent les particuliers et leur ordre. Dès lors, Dieu ne connaît pas les particuliers et le monde obéit à sa propre causalité. Pour les Ash’arites, cette interprétation revient à nier toute puissance de Dieu et à nier ses miracles. Ils s’inspirent de l’atomisme de Démocrite (v.460 avant J.C.-mort v.370) : Dieu crée les atomes et intervient dans leur combinaison. Il est donc Le Seul Créateur du monde et de son ordre.

Se référant à la seule théologie naturelle, la philosophie islamique, à sa maturité, avec Al-Kindi, Al-Farabi, Ibn Sina, Al-Ghazali et Ibn Rochd peut être assimilée à une théorie métaphysique générale alimentée par la logique, la physique, l’astronomie ainsi que les autres disciplines théorétiques (qui émanent des connaissances philosophiques) élaborée au Xème siècle par Ikhwane as Safa.