Massacres de Sétif, Guelma et Kherrata !

Retour sur un des plus grands massacres de l’histoire coloniale française
Barbara Vacher
Afrik.com
vendredi 8 avril 2005

Le même jour que la capitulation de l’Allemagne nazie, le 8 mai 1945, les populations du Constantinois, à Sétif et Guelma, en Algérie, manifestent pour leur droit à l’indépendance. De ces rassemblements s’en suivra une des répressions les plus sanglantes de l’histoire coloniale française, par la suite « collectivement et délibérément occultée ». Aujourd’hui, alors que les débats continuent sur le nombre de victimes occasionnées par les colons, de 1 500 à 45 000 morts, la représentation diplomatique française en Algérie, en la personne de l’Ambassadeur Hubert Colin de Verdière, a pour la première fois depuis 1945 qualifié cet épisode, jusqu’alors resté « discret », de « tragédie inexcusable ».

Sanglante armistice à Sétif. Le 8 mai 1945, dans les rues de Paris et dans toute la France, la nation chante la capitulation de l’Allemagne nazie. Au même instant, de l’autre côté de la Méditerranée, des milliers d’Algériens qui ont participé à cette victoire se rassemblent dans les rues de Sétif, afin de déposer une gerbe au pied du monument aux morts de la ville, et revendiquer le droit à l’indépendance de leur pays. Une manifestation qui tourne mal, et qui se solde par une sanglante tragédie, à laquelle participe l’armée française, la Légion Etrangère, et des milices de colons créées ad hoc. Lourd bilan humain pour une répression longue de six semaines dans le département du Constantinois.1 500 ou 45 000 morts ? Aujourd’hui encore le nombre de victimes d’une page méconnue et honteuse de l’histoire coloniale française, est l’objet de débats entre historiens. Il a fallu presque 60 ans, pour que la France, par l’intermédiaire de son Ambassadeur en Algérie, Monsieur Hubert Colin de Verdière, en visite officielle à Sétif le 27 février 2007 , parle de cette « tragédie inexcusable », et reconnaisse pour la première fois depuis l’indépendance de l’Algérie, en 1962, sa responsabilité dans ce massacre.

Sétif est pendant la période de l’Algérie française le symbolique fief des tous premiers nationalistes. Elle est la ville de Ferhat Abbas, figure clé de la revendication nationaliste modérée, dès 1943 avec son Manifeste du Peuple Algérien et qui deviendra le premier Président du Gouvernement Provisoire de la République algérienne (GPRA) en 1958. Le jour de l’armistice Fehrat Abbas est à Alger pour féliciter le gouverneur général Chataigneau (dont il est un intime) de la victoire des Alliées. Il est arrêté dans d’étranges circonstances pour « complot contre la sécurité de l’Etat » par le directeur de la sécurité générale. C’est sans compter sur sa présence que, ce jour-là, des milliers d’Algériens musulmans se rassemblent pour fêter l’armistice et revendiquer du même coup l’indépendance de leur pays.

Tout commence par un drapeau levé…

Tôt dans la matinée, à Sétif, les Scouts musulmans, une organisation légale créée par le Parti du Peuple Algérien (PPA) se réunit pour aller déposer une gerbe aux pieds du monument aux morts, situé dans le quartier des Européens. Le Sous-préfet de la ville, Butterlin, qui s’oppose à toute manifestation à caractère politique, leur somme de ne pas porter d’armes, ni d’arborer de bannières revendiquant l’indépendance de l’Algérie. Alors que le cortège gros de 7 000 à 8 000 personnes arrive au quartier français, un drapeau algérien est levé par un jeune porteur de 20 ans. Refusant de le baisser devant l’ordre français, l’homme est abattu, comme le maire de la ville, réputé modéré, qui tente de s’interposer. Une version des faits qui fait l’unanimité parmi les historiens. Dans la fusillade qui s’ensuit, la foule se disperse et s’attaque aux Européens. Elle fait 27 victimes du côté français. La nouvelle se répand rapidement dans la province, où la population locale, majoritairement paysanne, sort crier révolte. C’est le début d’un soulèvement généralisé, dans plusieurs dizaines de villages du Constantinois, ainsi qu’à Blida et Berrouaghia dans l’Alger, et Sidi-Bel-Abbès dans l’Oranais.

A Guelma, située à 150 kilomètres de Sétif, toute « manifestation musulmane » avait été interdite pour l’armistice. Mais en fin d’après-midi, 2 000 Algériens se rassemblent et brandissent drapeau algérien et bannières. Face à l’intervention d’une « milice » européenne et de l’opposition des colons, la fusillade éclate. Dans certains villages, des manifestations se passent sans heurts, souvent grâce à l’intervention de maires « libéraux », comme à Tlemcen. Mais dans la plupart des cas, on tire sans ménagement sur la foule, à la première apparition d’un drapeau algérien, comme à Bône, Blida et Kherrata. D’après l’historien Charles Robert Ageron [1], les premières émeutes des Algériens ( les 8, 9 et 10 mai) auraient tué 102 Européens, auxquels s’ajoutent 110 blessés, et 135 habitations réduites en cendre. Sans commune mesure avec l’ampleur de la répression coloniale.

Chasse aux arabes

Le 9 mai 1945, sur ordre du Sous-préfet Butterlin, l’armée de terre menée par le Général Duval, intervient à Sétif, puis dans tout le reste du département, où elle fait la démonstration de ses sanglantes techniques, tout particulièrement à Guelma et Kherrata. La Marine quant à elle, bombarde les côtes et les gorges de Kherrata, les localité du bord de mer comme les Achas, les Falaises, et Mansouria. Cette intervention musclée pousse les insurgés à se réfugier dans les montagnes, où ils auront alors à essuyer les bombardements de 18 appareils de l’armée de l’air. La répression s’étendra pendant six longues semaines au cours desquelles « la chasse aux arabes », ainsi parfois appelée par les colons ultra de l’époque, fait rage. Car il serait sévère d’imputer l’exclusivité du massacre de mai 1945 au seul corps militaire. D’autres interventions de la part de « milices » de colons ultra armés par les militaires et en général cautionnées par l’administration locale, sont souvent plus atroces et plus sanglantes, selon les témoignages de survivants [2]. Au menu : émeutiers brûlés vifs, tortures, exécutions sommaires, enfants et femmes (même enceintes) rarement épargnés.

Qu’en est-il du bilan humain ? Il faudra attendre le 18 juillet 1945 pour que, du côté français, le ministre de l’Intérieur Tixier prononce un discours devant l’Assemblée nationale évoquant la mort de 1 500 personnes. Côté algérien, les nationalistes avancent tout de suite le chiffre de 45 000 victimes. Le journal algérien Le Populaire, dans son édition du 28 juin, parle déjà quant à lui de 6 000 à 8 000 victimes. Selon Yves Benot [3], ces chiffres auraient été donnés par des militaires au journaliste du Populaire « dans l’intimité ». En métropole, les médias subissent la censure de l’armée, particulièrement sévère à l’époque, et ne s’expriment que des semaines plus tard, en reproduisant le communiqué dicté par le gouvernement.

Bilan humain quasi-impossible

Aujourd’hui, le débat continue. Selon l’Ambassadeur de France en Algérie, qui s’est exprimé sur Sétif en février 2007, il y aurait eu entre 5 000 et 10 000 personnes tuées. Le gouvernement algérien reprend de son côté le chiffre de 45 000 victimes, avancé à l’époque par les nationalistes du Parti Pour le Peuple Algérien (PPA) de Ferhat Abbas. Pour les chercheurs Rachid Messli et Abbas Aroua, du Centre de recherche historique et de documentation sur l’Algérie, « la plupart des historiens s’entendent sur le fait que 45 000 est un chiffre exagéré. Il serait plus réaliste de penser que le bilan humain se situe entre 8 000 et 10 000 morts ».

Les archives de l’armée restent flous. La marine avance le ridicule chiffre de 4 victimes. Selon Yves Benot, il existerait de plus des contradictions dans les chiffres de l’armée de terre [4]. Selon le rapport du Général Duval du 9 août 1945, il y aurait eu 550 « musulmans présumés tués » au cours de l’action de l’armée dans la subdivision de Sétif, et 200 dans celle de Bône (dont relevait Guelma). Or, le seul escadron de la Garde républicaine, qui est entré en action le premier à Kherrata et Perigotville les 8 et 9 mai, et qui a poursuivi son action à Pascal, Colbert, et Saint Arnaud, donne dans son journal de marche plus de 470 tués, dont 200 à Kherrata. Yves Benot fait ainsi remarquer que cela signifierait que toutes les autres sections n’auraient fait que 70 ou 80 victimes, ce qui lui semble improbable, lorsque l’on considère le caractère musclé des interventions de ces équipes armées de mitrailleuses. Enfin, il souligne que ceux de l’aviation militaire, 200 morts, peuvent être mis en doute, dans la mesure où elle n’était pas « sur place ». A cela s’ajoute la répression opérée par les milices civiles. Ces dernières, qui n’appliquaient aucune des procédures légales permettant d’établir le nombre d’exécutions et d’arrestations, ont rendu l’exactitude d’un bilan humain impossible.

La voix des témoins de la « tragédie inexcusable » suffit à rendre compte de l’ampleur des massacres. Et il n’est jamais trop tard pour rappeler la pleine responsabilité de la France de ces crimes, qui depuis 1945, a « collectivement et délibérément occulté ce qui s’était passé à ce moment là », pour reprendre les propres paroles de Hubert Colin de Védière, interrogé par la radio française Europe 1. Mais la reconnaissance officielle est un minimum pour l’Algérie, qui demande désormais des excuses de la part de la France. Faudra-t-il encore soixante années de réflexion pour cela ? Et au philosophe français Paul Ricoeur de se dire « troublé par l’inquiétant spectacle que donne le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs ».

[1] In Histoire de l’Algérie Contemporaine, vol.2 : De l’insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libération 1954, Paris : Presses universitaires de France, 1979

[2] Nombreux dans l’ouvrage de Boucif Mekhaled, « Chronique d’un massacre : 8 mai 1945, Setif, Guelma, Kherrata », Paris, Au nom de la mémoire/Syros, 1995

[3] « Massacres coloniaux : 1944-1950 : la IV ème république et la mise au pas des colonies françaises », La découverte, série histoire contemporaine

[4] « Massacres coloniaux : 1944-1950 : la IV ème république et la mise au pas des colonies françaises », La découverte, série histoire contemporaine

http://www.herodote.net/dossiers/evenement.php5?jour=19450508&main=79f2de70f571c75b5655d14763c821c6

8 mai 1945
Répression sanglante à Sétif
Herodote.net

**********************************************************************************

Le 8 mai 1945, le jour même de la victoire alliée sur le nazisme, de violentes émeutes éclatent à Sétif, en Algérie. C’est un lointain prélude à la guerre d’indépendance.

Les manifestants sont des Algériens de confession musulmane dont beaucoup se sont battus dans les troupes françaises qui ont libéré l’Italie du fascisme. Ils souhaitent avoir leur part dans le retour de la paix et la victoire des forces démocratiques.
André Larané

Origines du drame

Le 7 mars 1944, le gouvernement provisoire d’Alger a publié en signe d’ouverture une ordonnance qui octroie la citoyenneté française à 70.000 musulmans (l’Algérie compte à cette date près de 8 millions de musulmans pour moins d’un million de citoyens d’origine européenne ou israélite!).
Mécontents de ce geste qu’ils jugent très insuffisant, les indépendantistes du PPA (Parti Populaire Algérien) de Messali Hadj et de l’UDMA de Ferhat Abbas projettent un congrès clandestin qui proclamerait l’indépendance. Ferhat Abbas fonde dès mars 1944 une vitrine légale : les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML).
L’année suivante, les deux grands leaders algériens, Messali Hadj et Ferhat Abbas, se proposent de profiter de la liesse de la victoire pour brandir le drapeau de l’Algérie indépendante.
Mais Messali Hadj est arrêté en avril 1945 et déporté dans le sud du pays puis au Gabon. Cette provocation des autorités françaises sème la consternation chez les musulmans.
Le 1er mai, une manifestation du PPA clandestin réunit 20.000 personnes à Alger, dans la rue d’Isly. Pour la première fois est arboré en public le drapeau des indépendantistes. La manifestation se solde par 11 morts, des arrestations, des tortures… et un afflux d’adhésions au PPA !
Le matin du 8 mai, jour de la capitulation de l’Allemagne nazie, une manifestation se reproduit à Sétif aux cris de «Istiqlal , libérez Messali».
Les militants du PPA ont reçu la consigne de ne pas porter d’armes ni d’arborer le drapeau algérien mais un scout musulman n’en tient pas compte et brandit le drapeau au coeur des quartiers européens. La police se précipite.
Le maire socialiste de la ville, un Européen, la supplie de ne pas tirer. Il est abattu de même que le scout. La foule, évaluée à 8.000 personnes se déchaîne et 27 Européens sont assassinés dans d’atroces conditions.
D’e nature spontanée, l’insurrection s’étend à des villes voisines du Constantinois : Guelma, Batna, Biskra et Kherrata, faisant en quelques jours 103 morts dans la population européenne (y compris les soldats et… les tirailleurs sénégalais).
Dès le 9 mai, à Guelma, le sous-préfet André Achiary prend la décision imprudente de créer une milice avec les Européens et de l’associer à la répression menée par les forces régulières.
Cette répression est d’une extrême brutalité. Officiellement, elle fait 1.500 morts parmi les musulmans, en réalité de 8.000 à 20.000 (le gouvernement algérien actuel avance même le chiffre de 45.000 victimes mais la propagande n’est pas loin).
«Certains des miliciens se sont vantés d’avoir fait des hécatombes comme à l’ouverture de la chasse. L’un d’eux aurait tué à lui seul quatre-vingt-trois merles…», notera plus tard le commissaire Berger, dans son rapport sur les événements ( *).
L’aviation elle-même est requise pour bombarder les zones insurgées. Après la bataille vient la répression. Les tribunaux ordonnent 28 exécutions et une soixantaine de longues incarcérations ( *).
Lucide malgré tout, le général Duval, responsable de la répression, aurait déclaré le 9 août 1945 dans un rapport aux Français d’Algérie : «Je vous ai donné la paix pour dix ans, mais si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable» ( *).

Une opinion indifférente

Le drame passe inaperçu de l’opinion métropolitaine. Celle-ci a la tête ailleurs du fait de la censure et surtout des événements qui se déroulent le même jour à Berlin (capitulation de l’Allemagne).
Les communistes qui participent au gouvernement provisoire du général de Gaulle prétendent dans le quotidien L’Humanité que les émeutiers musulmans seraient des sympathisants de Hitler et des nazis !
Le général de Gaulle, dont le gouvernement n’a donné aucune directive à ses représentants sur place, consacre en tout et pour tout une ligne au drame dans ses volumineuses Mémoires de guerre en trois tomes.
Exception remarquable : Albert Camus, jeune directeur de Combat, en Algérie du 18 avril au 7 mai 1945, adjure le 15 mai la presse française de «refuser les appels inconsidérés à une répression aveugle» et dénonce le «sauvage massacre» du Constantinois, qui enténèbre les fêtes de la victoire ( *).
Les émeutes de Sétif consacrent la rupture définitive entre les musulmans et les colons d’Algérie et annoncent la guerre d’indépendance.

Réformes trop tardives

Il faut attendre 1947 pour qu’un statut soit accordé à l’Algérie. Celle-ci devient «un groupe de départements dotés de la personnalité civile, de l’autonomie financière et d’une organisation particulière».
Cédant aux injonctions des grands propriétaires pieds-noirs, le gouvernement français institue une Assemblée algérienne avec un double collège qui reproduit la division de la société.
Le premier collège représente les 950.000 Français du pays et quelques 45.000 musulmans. Le second, de même poids politique, représente les 8,5 millions d’autres musulmans, dont le taux de natalité très élevé conduit à penser qu’ils occuperont une place de plus en plus grande dans leur pays.
Comme si ces distorsions ne suffisaient pas, le travail de l’Assemblée algérienne est compromis dès le départ par le trucage du scrutin. Le responsable en est le gouverneur général Marcel-Edmond Naegelen, socialiste et grand résistant… Autant d’injustices flagrantes qui portent en germe le conflit futur.

Un défilé est organisé pour fêter la fin des hostilités et la victoire des Alliés sur les forces de l’Axe. Les partis nationalistes algériens, profitant de l’audience particulière donnée à cette journée, décident par des manifestations pacifiques de rappeler leurs revendications patriotiques. Mais à Sétif un policier tire sur un jeune scout, Bouzid Saâl, jeune musulman de 26 ans, qui tenait un drapeau de l’Algérie et qui tomba sur le coup. A la constatation de sa mort se déclenche une émeute des manifestants avant que l’armée française n’intervienne. C’est ce qui va donner lieu aux massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, répressions sanglantes d’émeutes nationalistes dans le département de Constantine, en Algérie, «française à l’époque».
Il faut dire que durant la Seconde Guerre mondiale, l’autorité de la France sur ses colonies a été remise en cause par les nationalistes algériens mais aussi par les puissances mondiales qui savaient combien l’Afrique du Nord était une région stratégique pour le futur de la nouvelle géostratégie. L’Algérie, ayant été déjà divisée en trois parties au moment où Paris était elle-même sous l’autorité allemande, il va de soi que les Alliés auraient voulu qu’elle soit encore divisée entre eux. Il y aura parmi les Européens plus d’une centaine de morts et autant de blessés. Le nombre des victimes autochtones, difficile à établir, est encore sujet à débat ; les autorités françaises de l’époque fixèrent le nombre de tués à 1 165, un rapport des services secrets américains à Alger en 1945 notait 17 000 morts et 20 000 blessés. Le gouvernement Algérien, quant à lui, avance le nombre de 45.000 morts et l’appel de l’ALN (1954) fait état, lui, de 40 000 morts. Commémoré chaque année en Algérie, cet événement «a servi de référence et de répétition générale à l’insurrection victorieuse de 1954». La révolution pétainiste française avait renforcé en Algérie entre octobre 1940 et novembre 1941 les partisans d’un ordre colonial brutal sous les ordres du général Weygand. Mais, avec le débarquement américain en novembre 1942, les conditions politiques changent. L’entrée en guerre de l’Afrique du Nord aux côtés des Alliés qui se préparent se traduit par une importante mobilisation : 168 000 Français d’Afrique du Nord sont mobilisés, soit 20 classes. Pour la première fois est appliquée la conscription aux indigènes autochtones qui jusqu’alors en étaient dispensés, ce qui a conduit plus de 150.000 d’entre eux sous le drapeau Français. Alors que Messali Hadj, chef du principal mouvement nationaliste algérien, le Parti du peuple algérien (PPA, interdit), reste emprisonné. Ferhat Abbas, dirigeant des Amis du Manifeste et de la liberté, demande que les musulmans qui s’apprêtent à entrer en guerre soient assurés de ne pas rester «privés des droits et des libertés essentielles dont jouissent les autres habitants de ce pays. » Le 7 mars 1944, le Comité français de la libération nationale (CFLN) adopte une ordonnance attribuant d’office la citoyenneté française, sans modification de leur statut civil, religieux, à tous les indigènes disposant de décorations militaires et de divers diplômes tels que le certificat d’études… En 1945, environ 62.000 combattants en bénéficient, ce qui suscite diverses oppositions dans certains milieux européens en Algérie. Les dirigeants nationalistes algériens espèrent alors beaucoup de la première réunion de l’Organisation des Nations unies à San Francisco le 29 avril 1945. Au printemps 1945, l’ambiance est tendue parmi la population européenne où circulent des bruits alarmistes prédisant un soulèvement musulman. D’autant que l’Algérie connaît depuis quelques mois une situation alimentaire catastrophique, résultat de l’absence de presque tous les hommes valides. Messali Hadj, déporté à Brazzaville le 23 avril 1945, son parti, le PPA, organise le 1er mai dans tout le pays des manifestations qui se veulent pacifiques et sans armes et où, pour la première fois, est brandi un drapeau algérien. Les manifestations se passent dans le calme sauf à Alger et Oran où ont lieu des affrontements avec la police ; la répression est brutale et fait plusieurs morts, deux à Alger et un à Oran. Quelques jours plus tard, c’est l’annonce de la reddition allemande et la fin de la guerre : des manifestations sont prévues un peu partout pour le 8 mai. A Sétif, la manifestation séparée des manifestations officielles, est autorisée à condition qu’elle n’ait pas de caractère politique : «Aucune bannière ou autre symbole revendicatif, aucun drapeau autre que celui de la France ne doit être déployé. Les slogans antifrançais ne doivent pas être scandés. Aucune arme, ni bâton, ni couteau ne sont admis». Cette manifestation commence à envahir les rues dès 8 heures. Plus de 10.000 personnes, chantant l’hymne nationaliste Min djibalina (De nos montagnes) défilent avec des drapeaux des pays alliés vainqueurs et des pancartes «Libérez Messali», «Nous voulons être vos égaux» ou «A bas le colonialisme». Vers 8h45 les manifestants surgissent des pancartes «Vive l’Algérie libre et indépendante» et en tête de la manifestation Aïssa Cheraga, chef d’une patrouille de scouts musulmans, arbore le drapeau algérien. Tout dérape alors : devant le café de France, avenue Georges Clemenceau, le commissaire Olivieri tente de s’emparer du drapeau, mais il est jeté à terre. Des Européens en marge de la manifestation assistant à la scène se précipitent dans la foule. Les porteurs de banderoles et du drapeau refusent de céder aux injonctions des policiers. Des tirs sont échangés entre policiers et manifestants. C’est alors qu’un jeune homme de 26 ans, Bouzid Saâl, est abattu par un policier. Immédiatement, des tirs provenant de policiers provoquent la panique. Les manifestants en colère s’en prennent aux Français et font en quelques heures 28 morts chez les Européens, dont le maire qui a cherché à s’interposer, et 48 blessés. Il y aurait de 20 à 40 morts chez les indigènes et de 40 à 80 blessés. Mais, alors que l’émeute se calme à Sétif, dans le même temps, des émeutes éclatent aux cris du djihad dans la région montagneuse de la Petite Kabylie, dans les petits villages entre Béjaïa et Jijel. Des fermes européennes isolées et des maisons forestières sont attaquées et leurs occupants tués. Le mouvement s’étend rapidement et le soir même, à Guelma, une manifestation s’ébranle. Le sous-préfet Achiary, un ancien résistant, fait tirer sur les manifestants. On relève un mort et six blessés parmi les manifestants, 5 blessés dans le service d’ordre. Le cortège se disperse. Le sous-préfet dispose de trois compagnies de tirailleurs en formation, tous des musulmans. Il consigne la troupe et fait mettre les armes sous clés. Un bataillon d’infanterie de Sidi-Bel-Abbès, convoyé par des avions prêtés par les Américains, arrive le 9 dans la journée pour évacuer des petits villages d’Européens qui sont encerclés par les émeutiers. Le témoignage de M. Lavie, minotier à Héliopolis, est instructif sur l’état de panique des Européens : «Dès la fin du méchoui du 8 mai, je décide de transformer le moulin neuf pour abriter la population d’Héliopolis et tous les colons des environs que j’ai pu joindre. Au cour de l’après-midi, je fais construire un réseau de barbelés long de 300 mètres, électrifié sous 3000 volts et alimenté par le groupe électrogène de la minoterie. Meurtrières percées dans les murs d’entrée, portes obstruées par des herses renversées sur six mètres de profondeur et défendues par des feux croisés. La population protégée a vécu dans ces conditions pendant un mois jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli». Des émeutes identiques ont lieu dans plusieurs autres villages au nord de Sétif, Kherrata, Amouchas, Chevreul, Périgot-Ville, El Ouricia et Sillègue, où des européens sont assassinés. L’armée française exécute 47 indigènes algériens d’Amoucha, le lieu où un siècle plus tôt le général Sillègue avait combattu le dernier Bey de Constantine. Par un télégramme daté du 11 mai 1945, le général De Gaulle, chef du gouvernement français provisoire, ordonne l’intervention de l’armée sous le commandement du général Duval, qui mène une répression violente contre la population indigène. La marine y participe avec son artillerie et son aviation. Le général Duval rassemble toutes les troupes disponibles, soit deux mille hommes. Ces troupes viennent de la Légion étrangère, des tabors marocains qui se trouvaient à Oran en passe d’être démobilisés et qui protestent contre cette augmentation de service imprévue, une compagnie de réserve de tirailleurs sénégalais d’Oran, des spahis de Tunis et les tirailleurs algériens en garnison à Sétif, Kherrata et à Guelma. La vitesse et l’efficacité avec laquelle le dispositif militaire à réagi peut laisser croire que l’armée n’attendait que cela pour donner une leçon aux indigènes, à tous ceux qui pouvaient être tentés de croire que l’Algérie échappait à l’emprise de la France. L’armée française voulait démontrer aux superpuissances qu’elle pouvait gérer ses colonies, qu’elle n’entendait pas partager avec qui que ce soit. La répression menée par l’armée et la milice de Guelma est d’une incroyable violence : exécutions sommaires, massacres de civils, bombardements de mechtas. Le croiseur Duguay-Trouin et le contre-torpilleur Le Triomphant tirent plus de 800 coups de canon depuis la rade de Béjaïa sur la région de Sétif. L’aviation bombarde et rase plus ou moins complètement plusieurs agglomérations kabyles. Une cinquantaine de mechtas sont incendiées. Les automitrailleuses font leur apparition dans les villages et tirent à distance sur les populations. Les blindés sont relayés par les militaires arrivés en convois sur les lieux. Le sous-préfet André Achiary forme une milice de 200 personnes à Guelma et lui distribue toutes les armes disponibles, soit les 60 fusils de guerre qui équipaient les tirailleurs et se livre à une véritable chasse aux émeutiers. Pendant deux mois, l’est de l’Algérie connaît un déchaînement de folie meurtrière.

Cliquez ici pour lire l’article ci-dessus depuis sa source.

2 thoughts on “Massacres de Sétif, Guelma et Kherrata !

  1. Salem wa alikoum wa rahmatou allah !
    L’Etat français est de nouveau interpellé pour reconnaître les crimes commis en Algérie, ont déclaré lundi à Guelma les participants au dixième colloque international sur les massacres du 8 mai 1945.
    Cette édition, organisée par l’université de Guelma et qui coïncide avec le 67ème anniversaire des massacres du 8 mai 1945 et le cinquantenaire de l’indépendance, a été marquée par une communication de Gilles Manceron, vice-président de la ligue française des droits de l’homme, intitulée “De mai 1945 à août 1955, la nécessité pour la France de reconnaître les crimes commis en Algérie”.
    L’intervenant a affirmé qu’il est temps de “mettre un terme aux mensonges répandus par le colonialisme français dans la presse et par le cinéma pour tromper l’opinion internationale quant à la sauvagerie des massacres commis en Algérie, en particulier en mai 1945 et en août 1955”.
    M. Manceron a souligné que la France officielle est appelée, dans le contexte des dernières élections présidentielles, à “prendre des positions claires concernant ces évènements”.
    Il a appelé les chercheurs et les historiens a présenter ces évènements sous un jour objectif, selon une approche scientifique qui puisse aller au-delà des analyses journalistiques et des reportages réalisés sur le 8 mai 1945 dans les régions de Guelma et Sétif, souvent travestis par la déformation des faits et des évènements.
    Le conférencier a souligné, en outre, que les massacre du 8 mai 1945 ont permis de réaliser un consensus dans le mouvement nationaliste algérien autour de la nécessité d’une lutte armée pour sortir de l’état de soumission à l’ordre colonial, confirmant la règle selon laquelle_______________
    “ce qui a été pris par la force, ne peut être récupéré que par la force”.___________________________________________
    Un hommage a été rendu au Moudjahid feu Abdelhamid Mehri qui fut fidèle à toutes les éditions précédentes du colloque international de l’université de Guelma sur les massacres du 8 mai 1945.

Comments are closed.