Je m’appelle Seddik. J’ai rejoint l’ALN le 5 juillet 1955, alors que j’avais 18 ans. J’ai abandonné mes terres, mes labours et ma femme que j’ai épousé juste 2 mois avant. Ce n’est que bien plus tard après ma mort que j’ai appris qu’elle a été violée plusieurs fois par les légionnaires en représailles à mes faits d’armes. Mon père me disait que la Patrie était sacrée comme le Coran. Je ne savais même pas ce que c’était une Patrie, mais le fait de la comparer au Coran, m’effrayait; alors je ne pouvais que dire oui avec un sourire forcé, quand Si Zoubir m’intima de répondre à l’appel. Depuis ce jour, ma vie ne fut que bruit des balles, d’éclats des obus, des nuits à la belle étoile, de faim à contenir, de marches sur des sentiers escarpés à ne plus en finir… Mon décor était le sang. Je contenais mes larmes quand il s’agissait de Djounouds frères tombés sur le champ d’honneur ou de civils mutilés au napalm ; je contenais également ma satisfaction lorsqu’il s’agissait d’ennemis qui faisaient la guerre sans savoir pourquoi, juste parce que des politiques installés confortablement à mille lieux de nos Djebels leur ont demandé de la faire. Je contenais ma souffrance, lorsque je constatais qu’à la place des pieds, j’avais juste des lambeaux de chair, une fois les rangers de fortune enlevés, au niveau d’une casemate, lors d’un rare moment de répit.
Alors que je commençais à jubiler? heureux d’être proche de l’heureuse issue finale que mon supérieur voyait très proche, rêvant à vivre libre, un éclat d’obus au détour d’un sentier sur le Djebel Moksi, additionna sans scrupule aucun, mon âme à celles des autres Chouhadas qui m’ont précédé. Ce fut – comble de l’ironie – un 5 juillet 1959. Et là, surprise ! Dans l’attente sereine du jugement dernier, j’appris des choses qui polluent réellement mon atmosphère tombale malgré le Musc que je ressens depuis mon arrivée. J’ai compris que certaines vérités jetées à la figure en vrac, contredisant tant de discours que j’ai avalés goulument durant mes années de guerre, sont de nature à rendre le goût du musc et de l’ambre nauséabond et à vous donner cette envie pérenne de vomir… Je vous disais plus tôt que l’une des choses que m’a cachée ma hiérarchie, c’était que ma femme s’est faite violer plusieurs fois par les légionnaires. Si en définitive, je me suis fait une raison à propos de cet ignominie, je ne comprenais pas par contre, pourquoi on me répétait tout le temps que Si Abbane Ramdane était tombé sous les balles ennemis, et me forçait à effectuer la prière de l’absent alors qu’en vérité, ce sont les Frères qui l’on froidement étranglé. J’apprenais que Ben M’Hidi, avait souhaité mourir avant l’indépendance afin de ne pas vivre les luttes intestines qui se profilaient. Oh ! Combien j’ai pu entretemps vérifier toute l’intelligence et la vision de cet auguste personnage, à travers ce que je vois et subit depuis 1962…
C’est d’abord la lutte pour la présidence qui eut lieu et qui déboucha sur le Maquis de Kabylie. Aït Ahmed fut arrêté, emprisonné par ses Frères de combat. Quelques Années plus tard, c’est Boumédiène qui se retourne contre Benbella et le met en prison après avoir été son Ministre de la Guerre et avant de faire évader Aït Ahmed et assassiner Chaabani. Bien plus tard, c’est Tahar Zbiri qui tente de prendre le pouvoir à Boumediene, mais n’y arrive pas, alors que Khider, et bien d’autres sont assassinés. Vus de notre antichambre du Paradis, ses évènements nous polluaient fortement, mais nous rassérénaient sur notre sort d’avoir péri bien avant.
Alors quand la prise de pouvoir est devenue quasi-impossible par les armes, le monde démocratique ayant fortement évolué, on passe à une lutte plus mesquine, plus roublarde, plus calomnieuse, plus insipide.
Cette animosité développée entre nos supérieurs qui étaient nos guides et nos références, demeurés vivants, a suscité et encouragé le retour des Harkis et leurs alliés superbement habillés du burnous de la Révolution spolié à travers des faux témoignages achetés auprès d’authentiques combattants contre quelques sous mais surtout pour se venger d’un Frère qui ne l’a pas aidé dans une entreprise sournoise.
Cette frange de Harkis et leurs alliés forte par les conflits désormais publics entre les différents icônes de la Révolution sacrée, les encourage, les suscitent et les alimente juste pour s’accaparer tout le Pouvoir pour elle.
Ainsi, j’ai été autant que tous mes Frères ici présent, sidéré quand j’ai entendu que le Frère Ali La Pointe a été accusé d’avoir été un proxénète avant d’être récupéré par la Révolution. Au-delà de la véracité de cette information ou non, je ne connais aucun Moudjahid qui aurait déclaré avant son engagement être un Saint ou un Prophète… Et le bal commence. Tantôt c’est Louiza Ighilahriz qui aurait trahi Ben M’Hidi, tantôt c’est Yacef Saadi qui aurait balancé Ali La Pointe, Hassiba et P’tit Omar.
Ce qui m’a poussé aujourd’hui à revenir parmi vous et à réagir c’est ce que je viens de lire dans un de vos torchons qui a osé publier ce qu’il désigne comme un fac-similé des P.V. d’audition par la police coloniale de Yacef Saadi et de Zohra Drif Bitat où ils auraient balancé leurs compagnons. Et là également, je me remémore ce que nous répétaient souvent nos Supérieurs. «Si vous vous faites arrêter vivants, vous serez atrocement torturés. Vous souffrirez énormément. Alors pour l’Amour de votre Patrie, essayez de tenir au moins 24 heures, le temps de permettre à vos frères de se mettre à l’abri.” Ces fils de Harkis qui osent s’attaquer à des icônes de la Nation doivent savoir combien Louiza a été torturée, violée et violentée. Si elle a parlé, nul ne doit lui en vouloir, encore faut-il le prouver, et un supposé P.V. de la police coloniale ne saurait en être une preuve tangible contre Yacef Saadi et Zohra Drif Bitat. Qu’ils sachent, ces oubliés de l’Histoire que Louiza, Zohra, Yacef et tout le reste de nos Compagnons morts ou demeurés vivants, ont le mérite sacré et inégalable d’avoir adhéré à la cause nationale, d’avoir délibérément pris les armes contre l’ennemi, d’avoir eu l’honneur de défendre la Patrie, d’avoir sacrifié leurs vies pour qu’eux puissent étudier, fonder un torchon pour juste souiller la mémoire des morts et porter atteinte à la dignité des vivants. Alors à tous ces renégats de l’Histoire, je leur dis : «Cessez de polluer nos tombes! Taisez-vous pour qu’on puisse sentir l’odeur du musc et de l’ambre dont Dieu nous comble! J’avais la chance unique de fêter l’anniversaire du 5 juillet en 3 occasions : celui de mon engagement au sein de l’ALN, celui de ma mort et celui de votre liberté. A partir d’aujourd’hui, à cause de vous, j’ai décidé d’en faire qu’un deuil, celui de ma mort pour rien!»
djillali@bel-abbes.info