Pourquoi Assia Djebar n’a pas eu le Nobel de littérature

Ce n’était pas la première fois qu’elle était donnée favorite. Mais ce jeudi, le jury du Nobel de littérature a préféré la Canadienne anglophone Alice Munro à Assia Djebar, 77 ans. Pour les professionnels du livre en Algérie, plusieurs raisons expliquent ce choix. 

 

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Assia Djebar en 2005 (Crédit : François Bouchon)

 

Pas assez universelle ? “A l’exception de Loin de Médine, un des romans les plus forts sur la décennie noire, l’oeuvre de Assia Djebar n’est sans doute pas assez universelle, analyse le journaliste et critique littéraire Rachid Mokhtari. Ses romans restent dans la sphère méditerranéenne.” Pourtant, Alice Munro, 82 ans, est devenue célèbre en écrivant des nouvelles… ancrées dans la vie des campagnes de l’Ontario. Mais Fatiha Soal, gérante de la librairie Les Mots à Alger pense aussi que la récurrence des mêmes thématiques, “les femmes, la Révolution algérienne”, joue aussi en sa défaveur.

 

 

Un livre, un jour. La femme sans sépulture (2002, Albin Michel)

 

L’impératif de la langue maternelle ? “Dans l’histoire des Nobels de littérature, on voit bien qu’il est toujours décerné à un auteur qui écrit dans sa langue maternelle, ce qui n’est pas le cas de Assa Djebar”, relève pour sa part Abderrahmane Ali-Bey, gérant de la librairie du Tiers-Monde, qui prédisait déjà la victoire de la Canadienne mercredi. Lorsqu’en 2000, l’auteure des Alouettes naïves reçut le prix de la paix des éditeurs allemands, elle s’était exprimée à ce sujet : “J’écris donc, et en français, langue de l’ancien colonisateur qui est devenue néanmoins et irréversiblement celle de ma pensée, tandis que je continue à aimer, souffrir, également à prier quand parfois je prie, en arabe, ma langue maternelle.”

 

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Les Alouettes naïves, le quatrième roman d’Assia Djebar (1967, ici chez Actes Sud) est un roman de guerre et d’amour avec pour toile de fond le grand combat pour l’indépendance algérienne. (Crédit : Mel. M)

 

Une auteure “pour les Français” ? Récompensée par de nombreux prix (Maurice Maeterlinck en 1995, Marguerite Yourcenar en 1997, Pablo Neruda en 2005…), la première Maghrébine et la quatrième femme élue à l’Académie française, avait pourtant, d’après les professionnels du livre, toutes ses chances. “Assia Djebar est LA grande figure féminine de la littérature algérienne, estime Sofiane Hadjaj, directeur des Éditions barzakh. Depuis cinquante ans, elle n’a jamais cessé d’écrire et son œuvre est restée cohérente. Pour moi, elle a introduit deux dimensions dans le roman : l’intime (sa famille, ses origines) et l’Histoire (la Révolution, la question berbère, l’islam).” Bien que ses livres aient été traduits en 23 langues et qu’ils soient étudiés dans les universités du monde entier, l’éditeur et écrivain Bachir Mefti ne comprend pas pourquoi “rien n’ait jamais été fait pour qu’elle soit traduite en arabe (à l’exception d’une pièce de théâtre, Rouge l’Aube) comme Rachid Boudjedra.” “Du coup, elle est très enracinée dans la littérature algérienne mais reste marginalisée, regardée comme une auteur qui écrit «pour les Français»”. Rachid Mokhtari assure d’ailleurs qu’elle a “beaucoup souffert de n’avoir jamais été traduite en arabe, ni en berbère.” “C’est elle qui a introduit le «je» féminin, à la fois sur le plan social et comme affirmation de son identité. Avec La Soif, Les Impatients, Les Enfants du nouveau monde, elle nous a donné des portraits d’héroïnes, de femmes dynamiques, sortis de leur décor. Et puis comme si elle craignait de passer pour une écrivaine «pour intellos», elle s’est tournée vers le cinéma pour porter la voix des femmes dans ses particularismes linguistiques, sociaux, culturels.”

 

Son film La Zerda ou les chants de l’oubli (1982)primé au Festival de Berlin, comme «meilleur film historique » en janvier 1983.

 

Pas assez soutenue par son pays ? Pour l’écrivain Amine Zaoui, l’œuvre d’Assia Djebar, qui “mérite le prix Nobel”, “est à l’image de la littérature maghrébine, trop politique et pas assez philosophique.” Mais l’ancien directeur de la Bibliothèque nationale considère aussi que l’écrivaine souffre aussi d’un “manque de promotion”. “Notre pays n’a pas fait beaucoup pour cette militante de la culture, romancière, historienne” qui a quitté ses études à l’appel du FLN pour rejoindre les rangs de la Révolution. 

Par Mélanie Matarese le 11 octobre 2013  Figaro

 

 

 

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4 thoughts on “Pourquoi Assia Djebar n’a pas eu le Nobel de littérature

  1. Merci, Grand Frère Mémoria….. Aidek Moubarek…!
    On sent que le cercle des amis et les amis du cercle sont bien déçus…..par la décision du Jury… !!!! Les plus royalistes que le roi, n’ont qu’à méditer les paroles de Mr Abderrahmane Ali-Bey, gérant de la librairie du Tiers-Monde, qui prédisait déjà la victoire de la Canadienne mercredi. Il a dit : « Dans l’histoire du Nobel de littérature, on voit bien qu’il est toujours décerné à un auteur qui écrit dans sa langue maternelle, ce qui n’est pas le cas de Assia Djebar »…..Avis aux plus perspicaces… !!!!

    Dans cet article, je lis aussi que “l’éditeur et écrivain Bachir Mefti ne comprend pas pourquoi « rien n’ait jamais été fait pour qu’elle soit traduite en arabe (à l’exception d’une pièce de théâtre, Rouge l’Aube)”….!!! J’invite cet éditeur-écrivain à lire l’article intitulé : « ASSIA DJEBAR: « POLEMIQUE DES LANGUES? » publié le 14 Mai 2013 par Mr Djillali C…….Où on peut lire les passages suivants :
    « M. Sahla, conclura par « Je me demande pourquoi Assia Djebar n’a pas été traduite en langue arabe? »
    « M. Mellak, Docteur de l’Université Djillali Liabès, n’attendra point pour demander la parole. « Juste pour une mise au point!« dit-il. « Assia Djebar n’a pas été traduite parce qu’elle a toujours refusée de l’être! »
    « Le clou sera enfoncé par madame Benmansour Universitaire de Tlemcen et non moins Présidente de la fondation Mohammed Dib, qui avouera: « Oui, Mohamed Dib a également refusé d’être traduit en arabe! L’argument aura été que le premier essai qui a été fait a complètement déçu l’auteur qui recherchait une traduction dans un arabe compris par les Algériens et non celui châtié et imperceptible.” Il aurait voulu que le livre soit traduit en arabe comme lui a utilisé le Français pour l’écrire » Avez-vous compris…?!
    « Demandant la parole pour apporter la précision, Madame Amel Chaouati, finira par convaincre M. Sahla qui ne semblait pas l’avoir été par le Docteur Mellak, en confirmant qu’Assia Djebar a effectivement refusé d’être traduite en arabe, étalant les mêmes arguments que ceux développés par Madame Benmansour. » Tiens tiens….bizarre Non….?!

    Alors tout est clair Mr B. Mefti, ne soyez pas Ze3ma très scandalisé, puisque votre argument ne tient pas la route……Mme Assia Djebbar écrit bien pour les Français…et pour les terriens des Trois Nord…!!! Elle le dit franchement : «La langue de l’ancien colonisateur qui est devenue néanmoins et irréversiblement celle de ma pensée… »… !!!

    N’empêche que dans les Trois Sud, il y a aussi des amis du grand cercle infernal…qui adorent cette pensée…donc rien n’est perdu…!

    A la prochaine…!

  2. Eh oui Tahar Ben Jelloun nous rappelle qu’il fût le cadet du grand écrivain algérien Kateb Yacine mort prématurément en relégation à Sidi Bel Abbès.
    Kateb Yacine était lui aussi pressenti (Comme Frantz Fanon)pour un Prix Nobel de littérature engagée francophone dans la lancée du formidable mouvement de la décolonisation des peuples des années 1960 .Ce voyageur infatigable à la flamme universaliste meubla nos programmes de lycéens en littérature avec Nedjma malheureusement il fût éloigné administrativement des grands centres de communication par des jeunes chacals en quête de pouvoir absolu…et de langue de bois ! Coincé entre une mère impotente et un pouvoir dictatorial,Kateb Yacine n’eût de choix que le théâtre du peuple où il s’isola pour l’éternité !
    Pourquoi focaliser sur Yacine alors qu’Assia Djebbar nous interpelle de l'”Académie française”…? Il est malheureux de dire que nous ne la connaissons pas assez,parce que nous avons une lecture sexiste peut être!.Peut être aussi parce que Assia Djebbar s’est éloignée du terroir,…de nos lectures ?Peut être aussi parce que Assia s’est réfugiée à l’Académie française qui l’a honorée pour sa couleur,sa solitude comme elle a honoré Amin Malouf le libanais?
    Edouard Glissant,grand écrivain Antillais de …nationalité française ,mort il n’y a pas longtemps,prédisait que la littérature périphérique francophone aurait un avenir loin des métropoles même si elle exprimait la “Mondialité” tant les nuances y été représentées…
    Vous avez compris…!

  3. Eh bien, il faut dire que ( la phrase de Assia Djebbar): “la langue de l’ancien colonisateur qui est devenue néanmoins et irréversiblement celle de ma pensée…..” ne lui a pas porté chance..!!!!! Mais où sont donc passés les gardiens du temple du cardinal de Richelieu, ils auraient pu lui donner un coup de pouce…!!! Sauf, si malgré tout, ils n’ont pas pu oublier les origines, de leur 40ème membre de l’académie pourtant Française..!!!!

    Comme le reconnaît Tahar Ben Jelloun, éminent auteur francophone d’origine marocaine : « Avec Assia Djebar (à l’Académie), c’est la France et la langue française qui s’enrichissent et prennent de nouvelles couleurs »…. Alors tant pis pour la France, ça sera peut être pour la prochaine fois…!! D’autant plus que c’est le Canada anglo-saxon qui l’a remporté…un coup dur pour les Québécois…!!!

    Dommage, pour les amis(es) du cercle…..!!!!

    Au fait, elle a représenté quels pays dans ce Nobel de la littérature….??? L’Algérie, l’Algérie Française, la France Algérienne ou tout simplement la France….???

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