Vie de château pour les criminels

En cette période estivale beaucoup d’entre nous ont pris le chemin des stations balnéaires pour fuir la canicule. Celle qui à le vent en poupe actuellement c’est “port say”. Chemin faisant, ceux qui ont opté pour cet endroit ont certainement remarqué les maisons superbes bâties et richement décorées par des artisans marocains, sur les collines pour être ostentatoirement vues, aux alentours des villages mitoyens des frontières marocaines, tels Souani Laachah Bab el assa et autres. Ils ne se sont même pas posés la question de l’origine de ces fortunes, tellement la réponse est évidente, et n’ont pas étés choqués, tellement le phénomène est devenu banal dans une société en perte de valeur, dominée par des mutants, aux cœurs petits et aux ventres proéminents, à la faim toujours inassouvie et à la morale à jamais défaillante. Il est vrai que des fortunes beaucoup plus grosses existent ailleurs, à Oran, Alger, Alicante, Paris, Doubaï et même Washington, parait-il. Cette banalité  assassine interpelle : «Cent tonnes de cannabis saisies en six mois en Algérie » titre EL WATAN dans son édition du 12 aout 2014 ! Elle est de combien celle qui a échappé à la vigilance des services concernés, et qui a profité des sommes colossales, tirées des drames de milliers de consommateurs désœuvrés, pour mener une vie de châteaux ?

Voici ce qu’en pense, de manière allégorique, un aoutien oisif.

Son patrimoine, somme toute banal, faisait de lui le nanti du village, le créancier, le conseillé, l’incontournable invité de toutes les occasions. Forcement puisque chaque adulte lui était redevable de quelque chose. Si Boumediene possédait, de son vivant,vingt hectares de terre surplombant la vallée de la Tafna, un verger, une oliveraie, un carré de figuiers et un autre de grenadiers, une centaine de tètes de moutons et un cheval noir qu’il chérissait plus que tout. Il possédait en outre une maison de construction récente, située à la lisière du village, qui contrastait avec les gourbis, résidus du camp de regroupement érigé en 1957 par l’armée française, à une dizaine de kilomètres de Maghnia (1).

C’était le lendemain de l’indépendance, quand l’Algérie chassa ses démons et ressuscita, belle et vierge, aux yeux de ses enfants, recouvrant la liberté dans la pauvreté et le dénuement. Du temps où on ne mangeait pas toujours à sa fin, où les maigres courses se faisaient en petites monnaies, à des dizaines de kilomètres, à pieds ou à dos d’âne pour les plus chanceux. Du temps, où à Tafna les « ventres creux », noirs comme leur pain quotidien, savouraient le pain blanc acheté à Tlemcen comme d’autres le gâteau.

Ah Tlemcen ! Mais qui n’en rêvait pas. Ville de tous les fantasmes. Des rêves et des merveilles, pensait-on. A quarante kilomètres à peine, c’était le bout du monde. Ceux, qui ont eu la chance de tomber malade au point d’effleurer la mort eurent le privilège d’y être emmenés. Et de retour, convalescent et mythomane, ils parlaient les yeux fermés, autour du feu de bois et de bouses de vaches, de leur séjour furtif et radieux!  De ces femmes aux cheveux d’anges, aux jambes et aux bras blancs et nus ! De ce poulet rôti et des gâteaux dont ils se sont gavés ! De ces grandes maisons superposées qui leur donnaient le tournis et des magasins bien achalandés qu’ils ont visité. Et les auditeurs, crédules et envieux, les yeux grands ouverts, insensibles aux piqures de moustiques, souhaitaient la maladie.

Seul Si Boumediene, parmi la population du village, savait lire et écrire. Ce statut de lettré ajoutait à son influence. Non seulement il était le bailleur de fonds incontournable mais il était aussi le dépositaire des secrets du village et en cela, la concurrence de si Ahmed le f’kih était vaine. Tout ce qui s’écrivait, par ou pour les gents du village, tout ce qui se lisait, d’intime ou d’officiel, tout ce qui se cachait aux autres, transitait par ses oreilles, filait entre ses doigts, pour être enfin classé dans les strates de sa mémoire. Il connaissait les femmes frustrées aux hommes absents et les hommes absents aux femmes infidèles. Il connaissait les enfants ingrats. Il connaissait les joies et les peines inavoués, les rêves et les désespoirs. Pour cela, il était  aussi craint que respecté. La fortune et l’information en firent l’omnipotent.

Sans jamais faillir, il arpentait chaque jour les terres de ses ancêtres, sur les traces du berger marocain, pour vérifier s’il nourrissait bien ses bêtes. Il aimait marcher et mettre ses jambes à l’épreuve, s’abreuvait de l’eau pure de la source quand il a soif, tendre la main et cueillir les fruits de sa terre généreuse quand il a faim et s’assoir, quand il est fatigué, sur les ruines de la maison de son grand père et de là, il contemplait la vallée traversée par le majestueux oued Tafna où seuls vivaient ses aïeuls avant l’arrivée des M’haya, originaires du Maroc voisin, des M’sirdis et Béni-Boussaid.

Les M’hayas remplirent le camp de regroupement dés l’origine, en 1957. Et quand, en 1975, ils furent chassés en quarante huit heures, pour la plupart d’entre eux, et reconduits manu-militari au Maroc,laissant derrière eux des générations d’histoire, des sentiments immenses et tous les biens matériels qu’ils possédaient,c’est-à-dire pas grand-chose, leurs demeures furent squattées, en toute quiétude et à tout jamais, par des gens venus on ne sait d’où, les mains vides, audacieux, sans terre et sans attache. Et quand l’état dota Tafna de son quota de maisons rurales, restées vides faute de preneurs, des occupants furent ramenés des régions de M’sirda et Béni-Boussaid. Ainsi Tafna devint cosmopolite, avec ce que cela draine de meilleur et de pire.

En 1979, si Boumediene apprit qu’il était atteint d’un cancer du poumon qui hâta sa déchéance. Il devint vite impotent. Le cheval devint rosse. Oued Tafna s’asséchât et perd de sa superbe et oued Lagçabe devint pâturage. Le berger marocain quitta la bergerie, versa dans le trafic de la drogue et du jour au lendemain, il disparut. Les soins médicaux engloutirent le cheptel, de sorte qu’il ne resta à si Boumediene que deux jambes frêles pour faire difficilement le tour de sa maison et un âne pour arpenter, avant le trépas, une fois ou deux, la terres de ses ancêtres et cavaler derrière ses chimères.

En ce temps les gens mourraient et, dans les villages, souvent, on n’en connaissait pas la cause. Peut être que c’est par fatalisme que l’on ne s’accrochait pas avec acharnement à la vie et on ne se réfugiait pas dans la médecine pour lutter contre la volonté de Dieu ! Et même si on le voulait, le refuge n’était pas accessible pour tous faute de finance, de moyens de transport et de médecins compétents et disponibles. Un médecin pour 2005 habitants, la proportion ne suffisait pas pour assurer la couverture sanitaire pour tous et la gratuité de la médecine n’assurait que les services de médecins « immigrés économiques » de compétence douteuse et des médiocres services. C’est donc les marabouts, les guérisseurs et les charlatans des marchés hebdomadaires qui se partageaient le plus gros de la clientèle mal portante.

Si Boumediene ne partageait pas avec les gentils les mêmes illusions sur l’efficacité des amulettes des marabouts et des mixtures des guérisseurs. Il était lettré lui. Il avait surtout, les moyens d’affronter une souffrance qui dure et d’entretenir l’espoir d’y mettre fin. Il se paya les services d’un généraliste à Tlemcen puis du spécialiste en pneumologie à Oran, grâce à qui il obtint une prise en charge de l’état pour des soins en France, à l’hôpital Laennec à Paris.

Tout cela était vain ! Le malade revint trois mois plu tard, grabataire, affaibli par la chimiothérapie et meurtri par le désespoir de guérir et de la fin qui s’approche. Mais fièr, il refusait de recevoir les visiteurs. Il ne voulait pas que l’on s’étonne devant sa tête métamorphosée, sans cheveux, sans sourcils et sans moustache, ni qu’on le voit nourri à la paille et la petite cuillère ou que l’on s’attriste devant ce qui reste de son corps à moitié nu sous un drap, qu’il ne commande plus. Ce beau corps qui hier aimait marcher la tète haute et prendre l’air à plein poumons et qui aujourd’hui abrite une âme triste qui n’en veut plus, qui s’en détache tout doucement et qui s’en va.

On a beau essayer de prendre un autre chemin que celui tracé par le destin pour garder le malade sur terre mais l’attraction céleste était plus forte. Et c’est par un vendredi du mois de ramadan de l’année 1980 que l’âme de si Boumediene monta au ciel. Le matin de ce jour là, il avait fait signe à ses enfants de le sortir et le laisser se reposer à l’ombre de l’eucalyptus qu’il avait planté prés de sa maison des années plutôt et regarder vers l’horizon aussi loin que ses faibles yeux le lui permirent. Et là, il les ferma pour toujours. Sous terre il ne verra pas ce que Tafna deviendra.

Les sans terre, comme les appelait mon père, le reste des M’hayas et les Beni Boussaids, sentirent l’odeur de l’argent facile qui fusait de l’autre coté des frontières et que le vent de l’ouest faisait parvenir jusqu’à leurs narines rendues plus sensibles par l’indigence. Et par la grasse de leur origine et de la mitoyenneté de leurs douars natales avec les frontières du Maroc, les plus intrépides d’entre eux fuirent les écoles, s’adonnèrent au commerce illicite et firent très vite fortune. Ainsi quand la maison de si Boumediene commença à s’effriter, ils démolirent leurs gourbis, effacèrent leurs mauvais souvenirs et bâtirent sur les traces du camp de concentration de grandes maisons à deux étages et un mausolée pour sidi Belkhir. C’était, à Tafna, la fin d’une ère et l’avènement d’une nouvelle ou la morale et les valeurs ne sont plus les mêmes, ou les richesses ne se font plus à la sueur des fronts mais au degré de la témérité, de la puissance des moteurs, de la quantité et la qualité de la drogue et l’efficacité des protecteurs. Où l’honorabilité répudie les gens honnêtes et s’offre à prix fort, telle une fille de joie, aux fortunes les plus mal acquises.

Révolu est le temps de Si Boumediene ou Tafna ne possédait que les débris d’une seule Peugeot 404 qui, pour démarrer, n’en faisait qu’à sa tète et qui peinait à faire la dizaine de kilomètres qui la séparaient de Maghnia. Que de Mercedes, de Renault 25, de Volkswagen et autres bolides aux gros réservoirs récupérés de tous les coins du pays, maintenus en vie malgré l’usure de l’âge, que l’on nomme les « Mokatilates », qui font le bonheur des vendeurs de pièces détachées contrefaites, des mécaniciens bricoleurs de la région et le malheur mortel des usagers de la route, qui pompent les stations d’essence au vue des autorités et des force de l’ordre et qui servent de pipe-line ambulants en direction des frontières marocaines ou, souvent, de corbillards en destination des cimetières. Ce petit commerce n’est que l’amuse gueule, délaissé au profit de la masse de jeunes désœuvrés, pour les occuper, faute de travail et de vie décente. Le sérieux de ce trafic et la chasse gardée de démons Invisibles, qui œuvrent dans le noir, par guetteurs, passeurs, transporteurs et dealers interposés. Nababs des temps
modernes, certains investissent dans le commerce et l’immobilier et dans le commerce et aspirent à la représentation populaire et même à plus. El Hannache (le serpentin) en est un exemple. C’est lui qui squattera la place de si Boumediene, mort et avec lui sa morale et ses valeurs. Et c’est lui qui servira de modèle à beaucoup d’autres.

Par MEKIDECHE. A

(1) Si le style est volontairement allégorique, les personnages et les destins sont réels.

6 thoughts on “Vie de château pour les criminels

  1. Monsieur Mekideche , bonjour.
    Quand vous écrivez « Où seuls vivaient ses aïeuls avant l’arrivée des M’hayas, originaires du Maroc voisin, des M’sirdis et Béni-Boussaid », devrait–on comprendre que comme les Mhayas, les M’sirdis et Béni-Boussaid sont d’origine marocaine ? A ma connaissance, les deux dernières tribus sont autochtones du pays, des Amazighs. Les Mhayas sont des tribus marocaines de la plaine de l’Angad, dont une partie a été algerianisée par la France. Je dis cela de mémoire.

    Si l’on d’admet votre hypothèse, que des deux côtés, la population est d’origine marocaine, on peut comprendre la facilité avec laquelle le trafic se pratique. Autrement dit, des deux côtés de la frontière ; nous avons une population d’origine marocaine qui s’adonne à ce trafic à une échelle industrielle en plein jour dans le but de d’exporter illégalement des biens de l’Algérie. C’est si vraiment le cas, il y a lieu de se poser de grosses questions. On ne peut pas diaboliser toute la population des frontières et jeter sur elle l’opprobre ; mais selon votre écrit il y a au moins une partie de cette population qui est franchement diabolique. Ce ” négoce ” démoniaque, surtout le trafic de drogue avec des gros tonnages, qui a pour but de ramollir les potentialités du pays en empoisonnant sa jeunesse est dangereux et ne peut s’exercer sans complicités de certains éléments de l’État. Pour sauver ce pays, il faudrait d’authentiques Algériens comme le Si Boumediene de votre texte. On peut déduire de la lecture du texte qu’Il y a complot contre les intérêts supérieurs de l’Etat algérien et de la nation algérienne avec une permissivité étonnante. L’État algérien en toute responsabilité doit traiter le problème avec toute la rigueur exigée et combattre cette perversion, plutôt cette criminalité. Quand on perd sa moralité, il ne reste que la criminalité.
    Sur notre moralité, à mon avis, tout doit être revu ? On est arrivé au fond et on ne remonte pas, on creuse encore . Il n y a plus de morale, plus d’éthique, tout est inversé et tout se négocie. Ces pratiques immorales sont devenues banales au niveau national : tricher, voler, piller et ne rien respecter est aujourd’hui banalisé. Peut importe le moyen utilisé, pourvu qu’on s’enrichisse, même en privant les autres de leur nourriture vitale. Un penseur musulman disait « les nations sont du civisme, si leur civisme est parti, elles partiront avec… ». Retrouvons nos marques, l’honneur et la moralité de nos ancêtres, c’est notre assurance de survie collective. Ce pays n’est pas à vendre, un million de Chouhadas ont donné leurs vies pour qu’il vive.

    1. Bonsoir KAMARA DE
      Vous avez raison de dire que M sirda et Bni Boussaide sont des autochtones. Et je ne pense pas avoir dis le contraire. Si j’étais imprécis dans mon écrit je m’en excuse. Mais là n’est pas l’essentiel de mon message. je voulais – modestement dénoncer des pratiques mafieuses qui au lieu d’être réprimées permettent l’ascension sociale et la respectabilité, ce qui tue toute morale et toutes les valeurs positives. Merci pour l’intérêt.

  2. Vous croyez que ces marocains travaillaient dans leur propriétés ?? C’etait comme les Gaids installé par des propriétaires souvent a des milliers de km. Ces gestionnaires n’avaient que le fouet et le crime pour envoyer la cargaison pour les propriétaires c’est tout..et les villas tout le monde construit a sa guise..
    la dalle de sole arrive d’Espagne. qui croyait que l’algérien de 2014 surpassait les rois d’algériens des années 30…tout est démocratisé, y’a aucune différence entre le plat d’un rois d’un prince d’un pdg et d’un fonctionnaires sauf bien sure y’a ceux qui travaillent honnêtement et ceux qui traficote un peux pour régler les crédits CNEP

    1. massa el khir oumousalama
      Pour cette premiere partie l’histoire apparente de Si Boumediene n’est qu’un support. le plus intérressant est entre les lignes. Tafna n’est qu’un simbole elle peut rtre l’Algerie.Boumediene etait le nom d’un pésident que vous connaissait qui a gouverné avec un dogme different une morale et une vision du monde différente. Lui aussi sous terre il ne verra pas ce que l’Algerie deviendra…etc. Lisez sous cet angle. Là est la morale de l’histoire.

      1. l’algerie va surement opérer un lavage de son histoire. le vrai va rester dans les tamis et le reste va etre emporter par l’eau de l’oued c’est comme ça que font en Guyane actuellement les chercheurs d’ors. Le coran préfere parler du zabade et le limon..le zabade sont ces flocules qui sont emporter et le limon qui reste au fond comme engrais.
        Voila dire que les marocains et Gaids et les Kiyades avaient leurs propres terres c’est faux. Ils étaient envoyés par des propriétaires pour installer leurs fermes. ils te fournis les gardes a toi de chercher les ouvriers et débrouille toi je veux 40Q par hectare..ces marocains qui ont été chassé ces gaids qui ont été dispersé on fait ils n’ont rien perdus. il n’avaient rien du tout. Au contraire peut être ils étaient soulagés d’un fardeau. Ils sont revenue chez leurs propriétaires, les propriétaires leurs assuré de leurs sympathie en leur disant que les nazis ont tout coupé on ne pouvait rien faire pour vous envoyer des renforts..
        comme dit le coran les algeriens disent au marocains au turque au europeens au bachagha ”ta’iroukoum (votre oiseau) 3inda Naziyoukoumes” lol
        hna khatina..on a trouvé tout offert sur un plateau” comme au paradis il suffit de tendre la main, pour que la villa coloniale, tombe dans le creux de sa main.
        le super château Perrin qui est a la sortie de bel abbes vers sidi lahcen en est le témoin éternel. il faudra faire de ce lieu un musée..

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