YASMINA KHADRA ET LA POSTÉRITÉ

Qui peut dire de combien est le nombre des écrivains et romanciers qu’a connu l’humanité depuis que l’homme a commencé à écrire des livres et des romans. La mémoire humaine en est incapable. Et même l’intelligence artificielle ne le peut, car malgré sa puissance présente et surtout à venir, elle aura toujours besoin d’être alimentée par la mémoire des hommes. Or celle-ci, limitée et faillible, elle a laissé s’effacer de manière irréversibles beaucoup de noms qui ont certainement fait le bonheur de leurs contemporains.

Cependant, elle préserve pour la postérité, comme le meilleur des trésors, des œuvres d’exception et les noms prestigieux des auteurs les plus illustres dont le souvenir résiste à l’érosion du temps : Apulée et l’âne d’or, Homère et L’Iliade et l’Odyssée, Dante et la Devine Comédie, Erasme et L’Éloge de la Folie, Cervantès et Don Quichotte, Victor Hugo et Les Misérables, Dostoïevski et Crime et Châtiment Shakespeare et Le Roi Lear, Goethe et Les Souffrances du jeune Werther…

Quel lettré, peu ou prou bien formé, ne connait, ne serait-ce que de noms, ces grandes œuvres qui constituent le véritable patrimoine immatériel de l’humanité toute entière.

Et il y’a d’autres écrivains géants, plus ou moins anciens, dont seuls certains élus marqueront la mémoire humaine à jamais. Quant au autres, ils se perdront, enfuis profondément dans le grand cimetière des arts et des lettres. Peut-être survivront-ils des siècles encore les Proust et À la recherche du temps perdu, Camus et l’étranger, Steinbeck et Les raisins de la colère, Tolstoï et Guerre et paix, Andersen et ses Contes, Orwell et 1984, Garcia Marquez et Cent ans de solitude, Kafka et le Procès…

Enfin d’autres belles plumes, la foultitude, ont fait, font et feront leur temps. Mais leur gloire éphémère ne leur survit pas. Et telles des feuilles mortes, elles finiront par être emportées on ne sait où par le vent de l’oubli.

Ni parmi les dieux de la plume, ni parmi ses titans, ni même parmi ses mortels, il s’est trouvé quelques-uns qui aient engagé la postérité malgré elle et qui aient prétendu avec certitude que celle-ci épousera leurs noms et qu’elle ne les lâchera jamais. Personne ne s’est autoproclamé dieu. Du moins je le suppose.

Sauf Yasmina Khadra.

“Tu m’as donné ton nom pour la vie, je te donne le mien pour la postérité”. C’est par cette phrase qui a fait mouche malgré qu’elle soit vide de sens que notre écrivain national a voulu remercier sa dulcinée pour lui avoir prêté son nom. Et c’est par elle qu’il a prouvé toute la démesure de sa prétention désormais légendaire. Il est profondément convaincu qu’il est suffisamment grand au point d’avoir acquis le droit d’intégrer le panthéon de l’histoire de la littérature à côté des eternels, sinon, il n’aurait pas revendiqué une place dans la postérité, puisque celle-ci est le contraire de l’oubli. Un oubli qui sera tôt ou tard son destin fatale comme il fut celui d’auteurs beaucoup plus talentueux et plus profonds que lui.

Mais ce péché est pardonnable. Il est admis communément que les artistes échappent à la loi de l’erreur et qu’on ne leur demande pas d’être raisonnables. On accepte leurs fantasmes et on les laisse planer au dessus des nuages. Surtout s’agissant d’un auteur qui cultive l’émotion et dont le commerce consiste à vendre des rêves. Il est tout à fait normal qu’il s’en sert le premier. Et puis, sans ce brin de folie, Mohamed ne serait certainement pas le bon romancier qui fait vibrer des millions de coeurs de toutes les couleurs.

Toutes les réactions :

15Ziane Kaddour, Hamid Ourrad et 13 autres personnes