HYPOCRITES

On pleure la mort de cette vieille dame alors que pour elle la mort est une délivrance. Mais de son vivant on n’a pas pleuré sa longue agonie qui était une terrible souffrance. Sans âme, son corps s’en fout de notre hypocrite compassion. Désormais elle est mieux là où elle. Sans souffrance et sans nous.

Habitués à la misère humaine, on ne la voit plus.Combien de femmes et d’hommes sont passé quotidiennement auprès d’elle, peut-être même l’ayant foulé du pied, sans jamais l’avoir vu. Combien sont ceux qui lui ont souri. Combien lui ont tendu une main charitable ?

Ce qui est terrible dans la mort c’est quand elle frappe dans la solitude et l’indifférence totale, inhumaine. La vielle dame est morte de froid, dans la grande ville de Annaba, au milieu d’une communauté musulmane qui est allée, en partie, prier collectivement dans une mosquée avant d’aller trouver de la chaleur dans les foyers. C’est cette même communauté qui pleure la mort de la malheureuse dame avec des larmes virtuelles qui inondent la toile chaque fois qu’un drame y est exhibé .

Elle est morte de chagrin, de souffrance, de solitude, et surtout de déshérence. Elle avait perdu le mari et le fils, d’où son malheur, mais elle avait des parents, des voisins, et des frères et sœurs dans l’humanité. Ou étaient-ils pendant qu’elle agonisait. Sans âme, son corps n’en a plus rien à foutre de nos larmes de crocodile. Elle est mieux là où elle est maintenant, entre des mains meilleures que les nôtres insensibles.

Bien sûr qu’on va profiter pour exercer ce qui est devenu notre sport national favori: jouer à l’opposant du dimanche et accabler l’État seul d’une responsabilité que nous partageons entièrement avec lui. La vielle dame est morte autant par sa faute que par la nôtre. D’autres mourront dans les mêmes conditions et dans des conditions plus dramatiques, et d’autres vivent la même misère que la sienne et peut-être pires et nous ne les voyons pas.