Amis lecteurs ne cherchez pas le mot ‘baladade’ dans le dictionnaire,
vous ne l’y trouveriez pas mais vous l’aurez tous traduit spontanément par se balader sans but précis, au plaisir des rencontres. Les plus belles sont littéraires et la culture est ce qui reste quand on a tout oublié.
Dans la République des Lettres, il est difficile de se faire un nom, la soixantaine sonnée. Cette république aime la fraîcheur et coller aux modes littéraires. Cependant, dans les règles, il y a toujours une belle exception et elle s’appelle Frank McCourt.
Né à Broklyn en 1930, il part en Irlande avec ses parents, à quatre ans avant de pouvoir se payer la traversée en sens inverse à l’âge de dix neuf ans. Alan Parker le sortira de l’obscurité et l’affligera de la célébrité en adaptant son livre ‘Les Cendres d’Angéla’ Cette gloire soudaine aurait terrassé n’importe qui. Eole a porté les vents du succès avec une déferlante force six, faisant connaître cet enseignant anonyme aux quatre vents de la renommée. Cette notoriété soudaine aurait pu assécher sa verve, lui faire honnir et renier son Limerik natal, et gonflé son égo à l’hélium. C’est le contraire qui s’est produit.
McCourt a gardé sa lucidité et commis une trilogie de grand talent avec.
‘ C’est Comment l’Amérique?’ et ‘ Teacher Man’.
J’ai eu le bonheur extrême de retrouver cette trilogie dans sa traduction française chez l’éditeur Belfond et je l’ai emporté chez moi , ravi du prix modique qui m’avait été demandé contre ce trésor méconnu. Il va falloir trouver de la place sur les étagères ou donner quelques ouvrages.
McCourt qui est revenu dans le pays qui l’a vu naître aura connu une
expérience de retour au pays malheureuse dans l’Irlande de l’époque,sans toutefois attribuer (pour cause de Freudisme mal compris) tous les problèmes de son enfance malheureuse à l’Irlande, le pays où le vert est encore plus vert et la pluie incessante.
Cette expérience traduite dans son chef d’oeuvre ‘Les Cendres d’Angéla’ ne l’incite pas à s’apitoyer sur son sort mais à examiner les effets d’une culture traditionnelle et l’emprise de la religion catholique sur le développement.
Celui qui analyse le fait d’avoir réussi à être professeur du secondaire pendant trente ans dans les lycées pauvres de New York comme un fait miraculeux nous apprend que l’on ne fait pas de la littérature avec de bons sentiments. Passé par l’école de l’armée, en mal de bras et de chair à canon, il sait qu’il devra à cette dernière son sésame pour les études tout en gardant à l’esprit sa
prétention à incarner la perfection. Dans sa formation d’aide de camp d’une unité combattante, c’est peut-être dans le crépitement et le cliquetis de la machine à écrire qu’il aura appris le goût d’écrire.
Le jeune immigré qui raconte sa traversée épique de l’Atlantique , installé sur une chaise de pont, en proie à la soif et à la faim n’a pas laissé place à un homme aigri, une fois la reconnaissance et le succès venus. Son pardon des offenses englobe tous ceux qui l’ont humilié et ce retardataire dans le monde de la littérature ne regrette qu’une chose:
“Ils ont fait un film des Cendres d’Angela. Quoique vous écriviez en Amérique on parle toujours du film. Tu pourrais recopier le bottin de Manhattan, et ils diraient. Alors, quand est-ce que sort ce film?” Sur le peu de reconnaîssance à l’égard des pédagogues que nous partageons avec l’Amérique inculte qui glorifie le dieu dollar qui aurait pu s’appeler dinar, il a ceci à nous livrer:
“Là-bas,les médecins et les avocats, les généraux, les acteurs, les gens de télévision et les politiciens sont admirés et récompensés. Pas les profs. Les enseignants sont les bonnes à tout faire du monde professionnel.”
Celui qui a gagné ses premiers salaires de misère en débarquant à dix neuf ans dans un New York glacial, sait ce que c’est d’être invisible dans le monde des riches dans les hotels luxueux dans lesquels il devait nettoyer, epousseter, balayer, vider les cendriers pour entretenir la réputation des lieux. Et de se faire ombre ou souffre-douleur, punching ball commode pour s’exercer aux
humiliations. Et au sadisme des petits chefs. Un parallèle est à faire avec les balayeurs algériens et maliens avant l’automisation des voitures de voiries en Europe. Hommes invisibles nettoyant les hotels ou les rues et qui devaient
disparaîtrent à l’arrivée du jour. Et le mépris de classe, décrit avec distance et lucidité: “Les filles toisent et les garçons sont pires avec leur façon de me
regarder, puis de sourire, puis de se donner des coups de coude, puis d’échanger des remarques qui font rire tout le monde tandis que moi,
j’aimerais leur casser mes pelle et balayette sur la tête jusqu’au moment où giclerait le sang…”
Celui qui prélèvera sur son salaire de misère dix dollars pour les envoyer en Irlande car les temps sont durs à la maison, nous parle d’une expérience que nous Algériens connaîssons par cœur. je vous parle évidemment du temps d’avant la rente!
Un passage par l’armée et un grade de caporal donneront droit à une bourse qui permettra d’avoir un diplôme universitaire et une immersion dans le monde des sans-grades de l’enseignement technique, celui de la rélégation scolaire.
Son premier examen passé devant les élèves est savoureux:
“L’Amérique d’Eisonhower connaît la prospérité mais celle-ci s’arrête aux portes de l’Ecole.
Dans une minute, la sonnerie va retentir. Ils vont s’engouffrer dans la salle et que vont-ils dire s’ils me voient derrière le bureau? Ce sont des experts en matière de profs. Quand on est assis derrière son bureau, ça veut dire ou qu’on est flemmard ou qu’on a peur. On utilise le bureau comme un bouclier. Les élèves observent,examinent, jugent. Ils savent décoder le langage du corps, le ton de la voix, le comportement, la manière générale.. et transmettent leur Savoir aux générations suivantes. C’est l’époque Eisenhower et les journaux rendent compte du formidable désarroi des adolescents américains.”
Et si on s’interrogeait en écho; “C’est l’époque de Bouteflika. Les journaux en rendront-ils compte de quelle manière?”
Je terminerai cette Therwila ou la baladade par une incursion dans le domaine des adultes infantilisés par leur proximité trop longue avec les ados:
“Dans la cafétéria des profs règnent deux écoles de pensée. Les anciens me disent: Vous êtes jeune, vous êtes débutant, mais ne laissez pas ces foutus gamins vous marcher sur le pied. Faîtes leur savoir qui commande. L’autorité c’est vous! C’est vous qui commandez, vous l’homme au stylo rouge… Les professeurs plus jeunes ne sont pas aussi catégoriques.Ils ont suivi des cours de psychopédagogie et de philosophie de l’éducation. Ils ont lu John Dewey et me disent que ces enfant sont des êtres humains et nous devons répondre à leurs besoins et à leurs ressentis. Ils me disent que ces enfants ne sont pas l’ennemi. Ce sont nos enfants pour l’amour de Dieu….Tous dégoîsent sur ces foutus professeurs d’université qui ne verraient même pas un gamin du bahut
leur pisser sur la jambe.”
PS: Dédicace spéciale à mon ami Djillali Bedrani, pédagogue,
psychologue et homme de toutes les écoles!