Il est des circonstances où nos référents moraux traditionnels nous appellent impérativement à la retenue, notamment pour certains évènements de la vie – la mort, ici en l’occurrence- sauf à faire l’éloge du disparu, surtout lorsque la dépouille mortelle est encore chaude, et que l’âme du défunt vient à peine de rejoindre son Créateur.C’est ce que nous avons tenté de faire, les uns et les autres, ces derniers jours.
Passé le moment du silence convenu, s’en vient nécessairement l’heure du bilan, s’il n’a déjà été fait, et que nous souhaitons le plus exhaustif possible dans un proche avenir.
D’ici là, et s’agissant plus particulièrement de la « fonction présidentielle » telle qu’elle aura été exercée à ce jour dans notre pays et à travers laquelle nous sommes enclins à évaluer et à juger l’homme qui y a accédé, que peut-on s’autoriser à en dire dans l’intervalle , sachant qu’il n’existe – et qu’il ne saurait exister- aucune Ecole de formation de Présidents de la République qui ferait œuvre de cadre de référence ?
Contrairement à certaines nations où l’activité partisane « réelle » façonne et propulse irrésistiblement au sommet de l’Etat les chefs charismatiques et/ou emblématiques préalablement adoubés par leurs partis politiques, pour être ensuite portés et plébiscités par la majorité de leurs peuples, nos hommes-présidents étaient appelés à exercer un Destin national selon les données et les circonstances particulières du moment, générant de ce fait deux sortes de présidents qui sous-tendent implicitement, et pour le moment, deux façons d’accéder à cette haute charge :
– Ceux qui s’y sont préparés de longue date, bien avant l’indépendance pour certains, de leur lointain exil pour d’autres, et qui y sont parvenus, sans états d’âme, avec des stratégies longuement programmées et des plans soigneusement étudiés et minutieusement ciblés, y compris parfois avec des « carnets d’adresses », comme mesures d’accompagnement.
– Ceux qui n’y étaient pas préparés du tout, ou très peu, (de manière générale brutalement extraits de leur anonymat ou de leur retraite momentanée) et qui s’y sont improvisés, parce que les mécanismes « successoraux préétablis » au moment de leur désignation étaient soit inopérants, soit incertains, pour divers motifs et situations.
Ces personnages-ci semblent avoir ainsi été pris au dépourvu dans leur décision finale d’acceptation de cette charge, au pays ou depuis leur lointain exil, eux aussi, parce qu’ils leur avait bien fallu répondre, sous diverses sollicitations et au prétexte de raisons d’Etat, au double appel de la Patrie et de leur conscience, autrement dit à l’obligation morale qui leur avait été faite d’assumer leur « Devoir national » dans des circonstances politiques et des conditions sociales particulières qu’ils n’auront pas nécessairement choisies ni négociées, et dans une entreprise où la marche arrière leur était quasi-interdite.
Chadli Bendjedid a fait partie à mon sens de cette deuxième catégorie d’hommes qui se sont acquittés, dans les conditions précitées, avec plus ou moins d’heur, c’est selon, de cette lourde, incertaine et périlleuse responsabilité, leur faisant mal évaluer ou surestimer, à tort ou à raison, consciemment ou inconsciemment , la portée et les conséquences de leurs choix, parce que la plupart du temps mal informés, parfois obnubilés par leurs convictions et/ou égarés par leurs incertitudes , ou à l’inverse, désorientés par leur lucidité, ou le plus souvent victimes de leurs capacités d’appréciation des évènements, parce qu’insidieusement conditionnés dans leurs prises de décisions.
C’est mon intime conviction, telle qu’elle ressort du vécu personnel de cette période particulière, au sujet de l’homme-président dont l’accession à la magistrature suprême résonne encore aux accents du « il n’y a que deux candidats : Chadli et Bendjedid, choisissez ! ».
A cet égard, et pour ce qui est de Chadli, l’homme, Allah yerhmeh.
Quant à Bendjedid, le président, son bilan sera un jour ou l’autre objectivement évalué et son œuvre jugée par les générations futures, et à tout le moins, par le tribunal de l’Histoire.
Mais qu’en retiendrons-nous ?
L’homme des réformes qui devait libérer la société de la pensée unique?
L’homme du PAP et des importations massives de gruyère et de camembert et autres produits de consommation qui devaient donner un peu de bien-être à tous au sortir d’une période rigoureuse et drastique du quotidien de nos épiceries et de nos marchés de fruits et légumes?
L’homme qui a permis à chaque algérien de bénéficier d’un passeport et d’une autorisation de change lui permettant, non plus de se précipiter chez Tati pour y engloutir ses devises, mais de tenter, et pas seulement, de faire du dépaysement et ressourcement « culturel » en famille à l’étranger?
Ou à contrario, comme une lecture en creux, l’homme soucieux de gérer « dans la normalité et la commercialité » l’économie qui a dispendieusement disposé des ressources financières de l’Etat, incertaines au demeurant à l’époque, et qui a ouvert la porte au démantèlement du tissu industriel et économique hérité de son prédécesseur dans son projet de procéder au mémorable et célèbre mot d’ordre du « changer TOUT ! »?
L’homme politique respectueux des règles républicaines naissantes mais piégé par les débordements de l’ouverture politique et des tournures incontrôlées de « l’aventure » démocratique ponctuée par les douloureux évènements d’Octobre 88 qui lui collent à l’Histoire?
L’homme par qui l’Algérie entrait dans le temps de l’incertitude? L’homme qui …????
Passé le temps du respect dû au repos de l’âme du défunt, rien n’interdit d’engager cette évaluation, parce qu’il aura été un homme public qui a déterminé en son temps et à sa manière notre avenir et notre devenir actuel, bilan qu’il convient de faire sans complaisance et avec le sens de la nuance, lorsque les passions et les ressentiments se seront enfin estompés, d’autant plus que le personnage nous y invite avec la publication posthume, probable et officielle de son autobiographie !
Mais à ce tribunal là, il semble bien, au train où les principaux acteurs et témoins privilégiés de notre histoire récente s’en vont sans laisser de « matériaux » à nos historiens, que nous ne pourrons que convoquer sa mémoire, et ses mémoires, et faire avec !
* Commentaire laissé le 11/10/2012 à 21 h 13 min sous l’article : Chronique du jeudi : « UN PRÉSIDENT EST MORT.»
Comments are closed.