Horrible ! Horrible et honteux !  Deux  «  monstres » de la littérature algérienne d’expression française se provoquent, s’insultent et finissent par « se tirer les cheveux »  publiquement. Yasmina KHADRA et Kamel DAOUD deux sommités intellectuelles, mes deux préférés, moi l’humble algérien qui se nourrit de leur écriture salutaire dans ce désert culturel qu’est devenu mon Pays. S’ils ont connu des itinéraires complètement différents, il n’en demeure pas moins, qu’ils représentent   –  avec quelques rares autres –  les exceptions qui ne font pas la règle.

Kamel DAOUD se distingue par le flambeau qu’il porte au nom  d’une génération qu’on croyait perdue à jamais et  arrive au summum du maniement de la langue de Voltaire,  alors qu’il est paradoxalement issu de l’école fondamentale  à tendance arabisante! Qui l’eut cru ?

Yasmina KHADRA arrive à la fin d’une carrière militaire riche en expériences douloureuses, à s’extérioriser d’une manière magistrale et phénoménale, à la faveur d’un génie créateur où l’écriture devient l’arme fatale. Sa notoriété vite acquise à travers de nombreux pays du monde, lui vaut même le réveil sioniste contre toute velléités venant d’un arabe, fusse-t-il romancier d’expression latine. On ne retiendra que le militaire algérien.

Mais force est de constater que tous les deux n’arrivent pas à « gérer » cette « situation » et cette notoriété vite acquise. La pression de l’intérieur mais surtout de l’extérieur, qui s’exerce sur Yasmina KHADRA,  met en évidence dans ses réactions, le militaire opérationnel genre « force spéciale » alors qu’il aurait du réagir en tant que « stratège d’état-major » Par ailleurs, il confond toujours entre la personne qu’il est et l’homme public qu’il est devenu par la grâce d’un talent incontestable. Toute critique sera perçue comme une attaque personnelle, ce qui relève d’une paranoïa chronique.

Kamel DAOUD lui, s’exprime sans gants, oublie constamment « ce qui aurait pu se passer hier » pour réagir au vitriol à chaque fois, qu’il aurait du le faire de façon plus intellectuelle et plus sage d’autant plus que la susceptibilité morbide du Romancier ne lui est point étrangère.

Ce qui devait arriver en pareilles circonstances, devient inéluctable. La prise de bec rendue publique par presse interposée, continuera sûrement longtemps, mettant en exergue  un narcissisme chronique.

Tout a commencé avec l’interview de Yasmina KHADRA (1) qui a donné son point de vue sur la situation au BAHREIN. Le hasard –  à sa décharge  –  à voulu  que ce point de vue soit concomitant  avec le prix qui lui a été décerné par le Ministère de la Culture de ce Pays.

Tout cela a suffi à Kamel DAOUD pour lui réserver sa chronique,  rédigée comme d’habitude, à la plume trompée dans du vitriol (2). Kamel DAOUD ne s’est pas contenté de donner son point de vue qui peut être contradictoire à celui de Yasmina KHADRA. Chacun est libre –  heureusement   –  de s’exprimer sur un sujet d’ordre politique qu’il soit national ou international. Mais personne   – et encore moins mes deux idoles  –  n’a le droit de vouloir imposer son point de vue à l’autre. L’ère stalinienne est révolue !    Kamel DAOUD pousse  le paradoxe jusqu’à mettre en avant une amitié trahie, amitié qu’il se refuse d’assimiler à une allégeance!   Quand on sait manier le verbe comme il sait si bien le faire, cela ne donne que plus de piment à l’écrit et à la persuasion. On aurait détesté Yasmina KHADRA,  déçu de l’avoir injustement adulé !

La riposte ne se fait pas attendre. Doublement. Une mise au point de l’Ambassade de BAHREIN à ….Paris    accompagnée par un droit de réponse de …. Yasmina KHADRA.  S’agit-il alors de mises au point concertées, l’ambassade et le Cercle Culturel Algérien que dirige Yasmina KHADRA, se trouvant tous les deux à Paris. (3)

Dans sa réponse, Yasmina KHADRA reste fidèle à son habitude. Au lieu de répondre par l’argumentaire, il répond par des délires de persécution. Ce n’est pas Yasmina KHADRA qui répond, c’est Mohamed MOULESHOUL.  Paternaliste et pamphlétaire. Paternaliste cel a aurait pu passer tenant compte de la différence d’âge entre les deux « belligérants », mais pamphlétaire et insultant cela désole amèrement. Direct, cru et surtout paranoïaque ! Dans un style digne du bas-fond littéraire ornementé par la richesse de l’écriture qui n’arrive pas à occulter  les  grossièretés et insanités ;   il développe une haine envers…. Un ami, parce que celui-ci a osé le défier dans un domaine où il se considère le maître ! N’était-ce l’objet de la réponse, cet écrit serait un véritable chef-d’œuvre. Comme quoi, la muse peut vêtir la robe de la haine qui devient source intarissable d’inspiration.

Les deux mises au point s’accrochent  à la situation de «la pas encore morte» poétesse Bahreinie, Ayat EL GHERMAZI, alors que Kamel DAOUD, ne l’a citée qu’au passage, comme représentative de la répression, l’essentiel de la chronique se situant ailleurs.

Chacun accuse l’autre de donneur de leçon, s’érigeant au passage en maître absolu et détenant la science infuse.

Le feuilleton continue le 29.06.11 où dans un véritable réquisitoire, Kamel DAOUD persiste et signe. Mais signe positif, l’auteur use d’un vocabulaire plus «poli»,  serein et argumenté. Il démontre à merveille, le cas psychanalytique de Yasmina KHADRA : Susceptibilité légendaire, amalgame entre la personne et le personnage, délires de persécution….(4)

Autre «coïncidence» de taille, l’Ambassade du Bahrein à Alger réagit de la même manière que son homologue de Paris, mais avec deux jours de retard.  L’Ambassadeur risque d’être rappelé à Manama pour avoir réagi en retard. La concertation, la formation d’une ligue anti-Kamel DAOUD se forme. Il ne reste plus que la  pétition à lancer.

Cette confrontation acerbe relevant du niveau de la délinquance atteint par nos élites, met en évidence tout le vide culturel, l’anachronisme d’une politique, l’absence   de civilisation et de civisme. Elle défie tout espoir, toute volonté de redorer le blason de  la culture algérienne telle qu’inculquée par Kateb Yacine, Abdelkader Alloula, Mouloud Maameri,  Mohamed DIB et autre Boudjedra.

Elle fait ressurgir toute l’agressivité que Kamel DAOUD a emmagasinée durant la décennie noire, et ressortir celle dans le subconscient de l’enfant Yasmina KHADRA pollué par  l’ère coloniale,  accentuée par l’autre  vécu adulte  particulier du militaire. Tout cela donne un cocktail explosif que l’élite exprime par le maniement expert  de l’écriture,  quand le délinquant  primaire use de son arme blanche ! Quelle différence y-a-t-il ? Aucune,  pardi !

Le niveau atteint par nos deux maîtres à penser, au lieu de constituer un réservoir de modestie et un modèle pour la société, développe à contrario, un narcissisme ostentatoire revendiqué à travers une agressivité destinée à dévaloriser l’autre, fusse-t-il un ami. J’ai été choqué par l’insistance que donnait Yasmina KHADRA au fait que Kamel DAOUD soit le « SEUL » journaliste qu’il recevait !  Revendiquait-il l’immunité à travers cette amitié ? Et Kamel DAOUD lui rétorque – à juste titre – que l’amitié ne saurait être confondue avec l’allégeance.

Notre drame actuellement, réside dans la confusion et l’amalgame  qu’on fait entre la personne en tant qu’individu et la personne en tant qu’homme public. S’il n’est permis à quiconque de s’attaquer à Messieurs Kamel DAOUD et Mohammed MOULESHOUL, tout un chacun a par contre, le droit de critiquer, d’interpeler les hommes publics que sont Kamel DAOUD  et Yasmina KHADRA.

On assiste impuissant mais fortement déçu, à une passe d’armes entre deux  titans,  pimenté par une écriture trop forte pour notre petites méninges, où toute la syntaxe  et la subtilité de la langue chère à Voltaire sont utilisées non pas pour décrire une fiction, mais hélas, pour dévaloriser l’autre, pour démontrer par l’absurde qu’on est le meilleur. Le drame de nos élites est là. Ce n’est enfin de compte que de piètres délinquants qui utilisent leurs propres armes pour agresser une opinion publique innocente.

Cela me rappelle cette sentence d’un ami, philosophe à ses temps perdus : « Ne crains pas l’illettré, il se soumettra à toutes tes démonstrations ; ne crains pas l’érudit, il sera modeste et généreux devant tes démonstrations les plus saugrenues ; mais méfie toi de celui qui détient un rudiment de connaissances, il terrorise l’illettrée et s’efforce de dominer l’érudit » Mais ce que mon ami n’a pas prévu, c’est quand deux érudits s’affrontent.Il faut qu’il sache que c’est là, la véritable délinquance élitiste !

C’est vraiment décevant, malsain, inutile et improductif! Car à vouloir tout gagner, ils perdent tout.  Et surtout le respect de l’opinion publique. Honteux !

 

1. Liberté du 26.06.2011

2. Le Quotidien d’Oran du 27.06.2011

3. Le Quotidien d’Oran du 28.06.2011

4. Le Quotidien d’Oran du 29.06.2011