Monsieur Le Président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être, si vous avez le temps.
Vous avez rejoint le maquis très jeune. Vous avez assuré le Secrétariat de Boussouf et donc côtoyé les «cerveaux» des services de renseignement du MALG qui ont pu tenir la dragée haute à la puissante et équipée DST. Vous avez donc, très jeune, fourbi vos armes à la guérilla pour aller ensuite les tester aux fins fonds du désert du Ténéré, où on vous a surnommé alors Abdelkader El Mali, en référence au Pays hôte.
A l’indépendance vous avez occupé le poste de Ministre de la Jeunesse et des Sports sous le règne de Feu Ahmed BenBella. Après le coup d’État – où vous êtes resté fidèle à vos parrains et notamment Boumédiène – vous héritez de la lourde charge d’assurer la diplomatie Algérienne à … l’âge de 26ans. On dit que vous étiez le plus jeune Ministre du monde de l’époque.
Vous avez pendant 13 ans défendu les causes auxquelles adhérait l’Algérie et qui étaient notamment : La liberté des Peuples à disposer de leur destin, la décolonisation des Pays encore sous le joug du colonialisme, le soutien des mouvements de Libération. Ainsi, Monsieur le Président, vous avez œuvré pour l’indépendance de l’Angola d’Agostino Neto, celle du Viet nam de Giap, du Combodge ; vous avez milité avec acharnement pour l’expulsion de Formose (Taïwan) de l’ONU pour céder son siège à la Chine de Chou En Laï en 1969, votre crédo était la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud. A ce titre, vous avez côtoyé Lumumba, Che Guevara, Castro, Bredjnev, Mandela, Kennedy, Ho Chi Minh, Mao, Kenneth Kunda, Nyeréré, Nasser, le Roi Fayçal et autres Personnages qui ont dirigé le Monde.
Vous avez contribué auprès de Boumédiène à régler le conflit Irak-Iran lors du Sommet des Pays Méditerranéens en 1975 à Alger. Vous avez préparé le passage historique de Boumédiène à la tribune des Nations Unis, où pour la première fois la langue arabe fut utilisée comme langue officielle, langue avec laquelle Boumédiène présentera « le nouvel ordre mondial » mis dans les tiroirs pour être ressorti il y a juste quelque temps par les Pays occidentaux eux-mêmes. A vrai dire, il était visionnaire et vous vouliez être comme lui. Il était votre mentor.
En 1978, à la mort de boumédiène, votre désir de prendre sa place fut annihilé par le rapport de forces qui joua en votre défaveur par un concours de circonstances. En effet, dans l’incapacité de décider entre Yahiaoui et vous, les « décideurs de l’époque » inventèrent un critère inédit : L’officier le plus âgé et le plus haut gradé. Les conséquences furent malheureuses puisque je ne sais pour quelle raison, on organisa une «chasse aux sorcières » dont vous fûtes la principale victime. On vous accusa de tous les maux et vous fûtes poursuivi en justice à la Cour Suprême qui vos condamne. Ironie du sort, celui-là même qui vous a condamné, a été chargé d’assurer la cérémonie de votre intronisation en qualité de Président de la République en 1999. C’est avec les larmes aux yeux et des regrets qu’il le fit.
Monsieur, Le Président, je vous fais cette lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps.
A 39 ans, Vous avez vécu une traversée du Désert en vous exilant dans les Pays du Golfe et en particulier dans ce Pays dont l’Algérie a froidement salué la création en 1970. Ce pays, le Qatar, envers lequel Chou en Laï constatant qu’il a été parmi ceux qui ont voté contre l’entrée de la Chine à l’ONU a lancé la boutade suivante : « Comment un Pays dont la population ne remplirait pas un étage d’un Hôtel de Changaï, puisse décider du destin de la Chine? »
A 60 ans, en 1999, vous revenez en Algérie. Je redécouvre l’Homme. Il n’a pas beaucoup changé hormis la calvitie légère, le blanchissement et l’aération des moustaches qui furent fournies et l’amélioration de la maîtrise de la langue arabe qui – sans avoir été ridicule par le passé – est devenue parfaite. Vous êtes toujours inégalable dans la maîtrise de la langue de Molière, que vous vous évertuez à pratiquer avec cet accent propre à vous.
Monsieur Le Président vous incarnez pour moi cette nostalgie que j’ai d’une Algérie qui n’a connu ni récession, ni agressions, ni embouteillages, ni drogue, ni viol, ni mutilation. Cette Algérie où il n’y avait que 3 Universités, mais où la licence était reconnue par les plus hautes Universités Européennes, où l’on accédait directement et sans concours au 3ème Cycle de Doctorat. Cette Algérie où on n’avait pas besoin de visa pour sortir, mais d’une autorisation de sortie. Il y avait – il est vrai – les pénuries, mais on faisait avec. Il n’y avait ni bananes, ni coca-cola, mais il y avait les oranges, les pastèques à un douro et Za3zou3. Cette Algérie où il y avait profusion de bars, mais jamais quelqu’un ivre ! Cette Algérie où on allait au stade avec les enfants, où les balcons des cinémas étaient réservés aux familles et aux couples.
Vous allez bouclez 15 ans de règne en avril 2014, et vous battez un autre record. Après celui du plus jeune Ministre, vous serez désormais le Président qui aura régné le plus en Algérie.
Le malheur a voulu que vous subissiez un AVC qui a lourdement affecté vos capacités. Je ne vous ai pas entendu parler depuis 2012. Vous n’avez pu diriger que deux Conseils de Ministres en l’espace de deux ans. Malgré votre bonne volonté, malgré mes connaissances nulles en médecine, j’estime qu’un AVC à 75 ans, s’il n’a pas été heureusement fatal pour vous, vous amoindrit énormément.
C’est pourquoi, Monsieur le Président, je vous fais aujourd’hui cette lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps.
Je vous fais cette lettre pour vous demander – au nom de ce Pays que vous aimez tant – de déclarer solennellement votre retrait dès la fin du présent mandat. Vous aurez la lourde tâche – la dernière – d’assurer le déroulement des élections dans un climat serein et transparent. Vous aurez la lourde tâche de permettre à ce Pays que vous aimez par-dessus tout, d’entrer enfin dans une gouvernance digne des grandes nations. Vous aurez la lourde charge de dire au monde entier que l’Algérie n’a besoin ni de printemps, ni de jasmin, ni de tulipes. L’Algérie n’a besoin que de ses Hommes.
Monsieur le Président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être si votre état le permet.
Je vous fais une lettre pour vous demander de ne pas écouter ceux qui vous disent que vous êtes capable de continuer. Ils sont victimes de la corruption du Pouvoir. Je me souviens que lors de votre premier discours, vous avez dit : «El koursi ydaouakh!» (1) Oui, il les a enivrés !
Monsieur le Président, je vous ai fait cette lettre pour vous dire – même si ma voix est insignifiante -que si vous vous représentez pour un quatrième mandat, je ne voterais pas pour vous. Non pas que je doute. Non pas que je voterais pour un autre candidat. Mais parce que j’estime que vous avez besoin de vous reposez et l’Algérie a besoin d’une forte énergie comme celle que vous aviez à 26 ans.
Et puis, sincèrement, j’ai envie de garder cette image de vous: un passé glorieux d’une jeunesse fougueuse, un présent réconciliateur d’une maturité légèrement paternaliste, et non pas celle d’un avenir victime d’une sénilité stérile.
djillali@bel-abbes.info
(1) Le trône enivre, autrement dit: le pouvoir corrompt.