Entre l’histoire rêvée et magnifiée du Sultan Mouley Ismaïl (1645-1727) et l’histoire revisitée du royaume chérifien. La rubrique Lundis de l’histoire fait le tri et stigmatise ce qu’on appelle un affaiblissement de l’histoire et la régression du sens critique. Le sultan Mouley Ismaïl originaire du sud marocain, fils de Mouley Ali Cherif et d’une esclave noire appelée Zidana. Son long règne de 55 ans (1672-1727), un record absolu, est souvent considéré chez nos voisins de l’Ouest comme l’apogée de la dynastie Alaouite avec en bémol un concordat d’un roi soleil Alaouite. Et si ce personnage reste dans l’histoire du royaume chérifien comme un grand sultan, c’est que l’homme a eu ses heures de gloire. Mais, le but ici n’est pas de brosser un portrait d’un monarque parmi d’autres. C’est croire implicitement au pouvoir d’un seul homme sur le cours du temps. Ce sultan a passé la majorité de son temps de règne à faire des razzias et combattre ses cousins et autres concurrents au pouvoir. Bref, le territoire du Tessala et notre mémoire collective gardent un souvenir de cet homme. Les Béni-Ameurs lui ont fait subir une déculottée. Curieusement, le lieu de cette dérouillée qui est une « forêt » entre Tlélat et Sig au nord-est de Sidi-Bel-Abbès, pas loin de l’autoroute Est-Ouest porte encore son nom ! C’est notre sujet de ce lundi.
L’autre image du Sultan Alaouite Mouley Ismaël.
Les Alaouites depuis 1666, jusqu’à aujourd’hui ainsi que les Saâdiens (1549-1659) se proclament dynasties chérifiennes de souche Hassanide. C’est à dire descendants du calife Ali via son fils Hassan. Il est vrai que ce n’est qu’une « conception politique de l’état, d’origine Chiite Zaidite » déjà trop usée par le temps. Nous pourrions développer le sujet, mais, passons. C’est à Mouley Al-Rachid (1666-1672), que revient le prestige du véritable fondateur de la dynastie Alaouite suite au déclin du Royaume de la dynastie Saâdienne, il réussit à soumettre l’ensemble des potentats locaux par sa conquête de Fès en 1666 puis Marrakech en 1669. À sa mort, son frère Mouley Ismail lui succède (1672-1727), fait de Meknès sa nouvelle capitale. Mouley Ismail, pose les bases d’un État centralisé, désormais appelé « Makhzen ».
D’un autre coté, Moulay Ismaïl est surnommé le « roi sanguinaire » par des témoins Européens, en raison de sa cruauté. Il crucifie des centaines d’opposants sur les murailles des villes de son royaume. En 1677, c’est 700 têtes qui sont clouées aux murs de Meknès. Selon le témoignage du père Dominique Busnot, la couleur de ses habits est liée instinctivement à son humeur. Il prend la couleur jaune dans les jours de ses sanglantes exécutions. Selon un captif chrétien, en 26 ans de règne, Moulay Ismaïl aurait tué de ses mains plus de 36 000 personnes. Sans doute un chiffre exagéré. A posteriori, il est juste revu à la baisse. En résumé, pour les historiens, c’est un Sultan cruel, cupide, avide sans aucun remord, il exécute ses propres fils. En plus, il est sans parole et sans honneur lorsqu’il traite avec les Européens, Moulay Ismaïl leur laisse une mauvaise image de lui. En dépit de ce sombre versant de l’histoire. Le temps d’aujourd’hui n’a pas empêché à ce qu’une université à Meknès porte son nom.
Mouley Ismaël, le père le plus prolifique de l’histoire.
D’après le document d’un récit du captif Joseph de Léon. Le sultan Mouley Ismaïl a eu 1071 enfants durant toute sa vie. C’est un recordman toute catégorie. Le livre des records Guinness ne lui reconnaît que 888 enfants. Mais, c’est tout de même un record ! Aurait-il passé toute sa vie à « fabriquer » des enfants ?
Pas forcément, Des chercheurs autrichiens de l’université de vienne se sont penché sur la question. Ils ont calculé qu’il aurait fallut qu’il soit marié à 70 femmes et avoir des relations conjugale tout les jours pendant 32 ans pour arriver à un tel palmarès. Peut-on dire alors, aujourd’hui, que beaucoup de prétendus chérifs Marocains de Fès, Meknès et Marrakech… descendent de lui ? Très bonne question pour les amateurs du culte de la généalogie historique. Mouley Ismaïl meurt à l’âge de 81 ans d’un abcès au bas-ventre accompagné du chagrin de ne plus pouvoir monter à cheval selon ses habitudes.
Un régénérateur de l’armée des Esclaves.
Mouley Ismaël, est un admirateur et imitateur de l’État centralisé de la régence d’Alger. Il est aussi un régénérateur de l’armée chérifienne avec le corps des Abid Al Boukhari déjà existant au temps des Almoravides. Cette armée est constituée d’environ 150 000 esclaves noirs. Ils prêtent serment sur le recueil de Hadiths d’Al Boukhari, ce qui explique à la fois leur appellation.
Mouley Ismaël est connu aussi pour ses guerres face à son voisin de l’est. Entre 1678 et 1679, sur la région de Djebel Amour en Algérie. En 1683, contre son neveu réfugié à Nedroma. En mai 1692, il envoie son fils Moulay Zeïdane, avec une grande armée, s’attaquer à l’Oranie. Désorganisé, la défaite le pousse à demander la paix. En 1693 et en 1701, il razzie l’Oranie, et tente de piller les Béni-Amers. Au printemps 1707, il lance encore une fois une expédition militaire de 60 000 soldats-esclaves indisciplinés contre Alger. Il est battu à Chlef par le Bey Mustapha Ben Youcef, surnommé Bouchlaghem. À son retour à Meknès Moulay Ismaïl exécute son propre fils Zeïdane.
La victoire des Béni-Ameur à la forêt Zeboudj El-Wast (Zeboudja).
Durant le printemps 1701, Moulay Ismail lance encore une fois, une série d’expéditions militaires dans le grand Tessala et la vallée de la Mekerra. On constatera toutefois, une confusion sur la date de cette expédition. Certains, la confondent avec celle de 1707, qui rappelle la victoire du bey Bouchlaghem. Souvent cette confusion se fait en convertissant le calendrier de l’hégire avec celui de l’année grégorienne. En 1707, l’armée d’esclaves de Moulay Ismail avance à l’intérieur du Beylek de l’ouest : « pillant et ravageant tout sur son passage auprès du pays des Béni-Ameur», nous informe l’historien (L.Esterhazy. p177). Mais ceux-ci, nombreux et puissants l’attendent dans la vallée Zouboudj El-Ouasth, et lui livrent un combat sanglant, dans lequel l’armée indisciplinée des Abids El-Boukhari est mise en déroute complète liée à sa désorganisation. L’historien Ben-Youssef El-Zayani Wahrani, nous informe que son armée d’esclaves éperdus et indisciplinés, n’était plus payée. Mouley Ismaël ne dut son salut qu’à une fuite précipitée de tous les côtés. Son armée a été décimée. Cet événement est resté célèbre dans le pays du Tessala. La forêt Moulay Ismail porte jusqu’à aujourd’hui son nom.
Cette bataille de 1701, a certes résulté un rapprochement entre la régence d’Alger et l’Espagne, traduit par la signature d’une « courte » trêve de moins de trois ans. En effet, en juin 1703, Don Carlos Carraja, « razzie » de nouveau la population algérienne de la région afin de soutirer un gros butin en têtes de bétail et ovins. La victoire des Béni-Ameurs encourage plutard, le Beylek de l’ouest pour aller attaquer Oran. Elle accélère donc, l’idée d’expulser les Espagnoles de cette Ville, une première fois en 1708 et une deuxième définitivement en 1792.
Conclusion.
On peut conclure que l’effondrement de l’armée des esclaves de Mouley Ismaël s’est opéré vingt ans avant la mort de son fondateur. En effet, la bataille qu’il allait livrer en 1701 contre son voisin de l’est, allait sonner le glas de sa vie politico-militaire. La thèse officielle précise de manière formelle que l’armée des Abids el-Boukhari et son statut s’est effondré après la mort de Moulay Ismaïl en 1727, car ils n’étaient plus payés. Cette bataille qui a eu lieu en plein territoire des Béni-Ameurs vingt-ans auparavant. Plus exactement dans la forêt appelée « forêt Mouley Ismaël » à eu un énorme impact sur le destin de la région. Non seulement sur le projet de libérer Oran occupée par les Espagnoles. Mais, aussi bien plus tard dans le même endroit, le 26 juin 1835, une grande bataille mettra aux prises les résistants algériens à leur tête l’Émir Abdelkader aux forces coloniales françaises, commandées par le Cdt de la division d’Oran le général Alphonse Trézel. La bataille dure deux jours et se termine par une victoire écrasante encore une fois contre l’agresseur.
L’historiographie coloniale française dont une grande partie a été élaborée durant l’époque coloniale,et publiée le plus souvent dans le BSGO et la Revue africaine ne s’est pas beaucoup intéressée à cette bataille entre les Ben-Ameurs et Mouley Ismaël de 1701. Sans doute parce les historiens qui ont travaillé sur l’histoire d’Oran comme Gorguos, M. Bodin , Henri-Léon Fey, Paul Ruff , G. Didier, et notamment J. Cazenave , ne se sont intéressaient que par la présence Espagnole à Oran. Et pratiquement tous avaient mis l’accent sur l’échec de l’occupation restreinte des Espagnoles en Algérie. Les Razias de Mouley Ismaël n’étaient pour eux que des détails de l’histoire.
Par Al-Mecherfi.
Karim OULDENNEBIA – Lundi 11 Octobre 2021
Sources :
OULDENNEBA (Karim) : Histioire et Historiographie – Tessala (Astacilis) Sidi-Ali Benyoub (Sévèriana) et Robba d’Ala Miliaria, Un pan de l’histoire de la région de Sidi-Bel-Abbès. Edition Dar Quods, ISBN : 978-9947-66-172-7,Oran-Algérie, 2021. (254 p).
Voir Septième Chapitre –Le Tessala dans la longue durée pp : 178-223.
Ben Youssef Ez-Zayani Mohamed, Dalil el Hayrane wa Anis Es-Sahran fi Akhbar Madinati Wahran, texte établi par Cheikh El-Mahdi Bouabdelli, Alger, Publications de la Bibliothèque Nationale d’Alger,1978.