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La vérité sur la double visite de Napoléon III en Algérie : La consolidation du projet du « Royaume Arabe ».

ByRédaction

Août 1, 2023

Par Le Dr Driss REFFAS

J’ai eu l’immense plaisir d’assister à la conférence du professeur K.Ouldnebia le 16 juillet 2023 au siège de la fondation Emir Abdelkader de Sidi Bel Abbès, intitulée : « Les cinq vérités sur la visite de Napoléon III à Sidi Bel-Abbès en mai 1865. » Un sujet très intéressant à débattre du fait de son originalité. Aussi, il faut rappeler que la ville de Sidi Bel Abbès avait reçu en avril 1922 la visite de monsieur Alexandre Millerand président de la République Française (IIIème République) et de monsieur François Mitterrand, alors ministre de l’intérieur ( IVème République) et qui devint président de la république française en 1981(Vème République). Enfin, le président De Gaulle en 1958 en compagnie du général Salan, fut accueilli par le maire Raymond Dassié. Sa visite était limitée au quartier Vienot où résidait la légion étrangère, puis au « Douar Sid Ahmed », région de Mercier Lacombe (Sfisef). Chaque visite avait sa vérité d’ordre politique. À titre de rappel historique, il faut préciser que Napoléon III avait connu les affres de la prison sous le règne de Louis Philippe . Après l’abdication de ce dernier en 1848, Napoléon III en exil à Londres regagna la France pour siéger au parlement. Il est élu Prince Président de la deuxième République.
La Deuxième République adopta une nouvelle Constitution le 4 novembre 1848 qui institua le principe de la séparation des pouvoirs et l’élection d’un président de la République. Le premier, Louis-Napoléon Bonaparte, Napoléon III est élu le 10 décembre 1848. La jeune République entama les réformes, à la fois électorales, sociétales, politiques, comme : 
 l’adoption du suffrage universel (sous-entendu masculin),
 l’abolition de la peine de mort pour des motifs politiques,
 l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises,
 la création des ateliers nationaux, pour lutter contre le chômage,
 la limitation de la journée de travail à 10 heures,
 la garantie de la liberté de la presse et de réunion,

 la conquête de l’Algérie avec la création des départements français.
Élu président à une large majorité (plus de 74 % des suffrages) et bénéficiant d’un soutien populaire, Louis-Napoléon Bonaparte, Napoléon III, met à mal la séparation des pouvoirs en exigeant une révision de la Constitution de 1848 afin de pouvoir briguer un deuxième mandat. L’Assemblée refusant d’obtempérer, le président organisa un coup d’Etat le 2 décembre 1851. Avec le soutien de l’armée.
Louis-Napoléon dissolut l’Assemblée, constitua un nouveau gouvernement et annonça un référendum pour approuver la Constitution de 1852 qui octroya au dirigeant les pouvoirs exécutifs et législatifs. L’opposition se souleva, mais la répression fut sanglante. Les arrestations se multiplièrent, tandis que certains choisirent l’exil, comme Victor Hugo. Lors du plébiscite organisé les 21 et 22 décembre 1851, le « oui » l’emporta pour un changement de Constitution. Louis-Napoléon Bonaparte devint président pour dix ans. Le Corps législatif et le Sénat remplacèrent l’Assemblée. Un sénatus-consulte annonça finalement le rétablissement de l’Empire le 7 novembre 1852 et Napoléon III fut proclamé empereur le 2 décembre 1852.  C’était la fin de la Deuxième République et le début du Second Empire.

Le 17 septembre 1860, Napoléon III mit le pied sur le sol algérien avec dans sa valise, le projet du
« Royaume Arabe » où les européens et indigènes jouissaient des mêmes droits et devoirs. Une ‘méthodique’ colonisation avec une insidieuse assimilation, pareille à la politique de la couronne britannique. Pendant son séjour en Angleterre, il s’était beaucoup imprégné de la politique du Royaume Uni vis-à-vis de certains pays, notamment le Canada. Ce dernier est un état Dominion qui ne jouit pas de son indépendance totale de l’empire britannique. Il est à ce jour, membre du royaume du Commonwealth. 
Au cours de son premier discours en Algérie, tout en rendant hommage aux premiers colons d’avoir implanté en Algérie le drapeau de la France , il insista sur la mission « civilisatrice » de cette dernière pour déclarer : « Notre premier devoir, dit-il, est de nous occuper du bonheur des trois millions d’Arabes, que le sort des armes a fait passer sous notre domination.» Durant son séjour, il reçut le Bey Sadok de Tunis. Ce dernier exprima sa fierté d’être le premier souverain musulman reçu par l’Empereur des Français. Ce dernier précisa dans sa réponse que le Bey est un grand et bon allié. Un souverain au même titre que l’Émir Abdelkader dans l’échiquier de l’Empereur pour la réalisation du « Royaume Arabe ».
En fin d’après midi du 19 septembre, Napoléon III prononça un discours qui ébranla l’assistance civile et militaire : « Notre premier devoir, est de nous occuper du bonheur de trois millions d’Arabes que le sort des armes a fait passer sous notre domination. La mission de la France consiste à élever les Arabes à la dignité d’hommes libres. Notre colonie d’Afrique n’est pas une colonie ordinaire, mais un « Royaume Arabe ».
L’idée du « Royaume Arabe » décidé par l’Empereur avait germé après le constat établi des premières trente années de colonisation durant lesquelles la politique de dépeuplement était bien engagée autour de Bugeaud, Cavaignac et Pélissier auteur des enfumades du Dahra. Aussi, Napoléon III s’était beaucoup imprégné de la philosophie de résistance de l’Émir Abdelkader jusqu’à la fondation d’un état moderne (Traité de la Tafna) avec sa profonde approche dans l’humanitaire. Tout en gardant la conviction colonialiste destructrice des repères de la nation, Napoléon III décida de la suppression du « Ministère de l’Algérie et des colonies  » créé par ses soins en tant que prince président de la deuxième république.Cette
institution gérée par les civils, favorisa la politique de cantonnement des tribus indigènes par l’expropriation des terres agricoles. À la place, il décréta la nomination d’un gouverneur général dirigé par un militaire en l’occurrence Pélissier. Ainsi, de nettes directives lui furent adressées par Napoléon III : « Il faut donner une impulsion toute contraire à celle qui existait jusqu’à ce jour. Au lieu d’inquiéter les Arabes par le cantonnement, il vaut mieux les rassurer en leur concédant des terres. Au lieu de vendre des propriétés domaniales affermées par les Arabes, il faut les conserver. Au lieu de repousser les Arabes dans le désert, il faut les attirer dans les plaines fertiles. » et de continuer : « L’Algérie est un « Royaume Arabe »…Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection, et je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des Français. »

Un mois après, le 22 avril 1863 Napoléon III promulgua le senatus consulte qui précisait dans son premier article : « La France reconnaît aux tribus Arabes la propriété des territoires dont elles ont la jouissance permanente et traditionnelle.. » Malheureusement, malgré la nomination d’un gouverneur aux ordres de l’empereur, le senatus consulte trouva des difficultés quant à son application sur le terrain. Pélissier n’était pas enthousiasmé pour l’application du senatus consulte du 22 avril 1863. Militaires, colons, colons spéculateurs et caïds étaient réticents quant à la mise en œuvre du décret impérial. Situation qui provoqua des insurrections des tribus hostiles au cantonnement qui se distinguait par la spoliation de leurs terres au profit des colons. Les Ouled Sidi Cheikh se soulevèrent en mars 1864, suivis par les Flittas en mai dans la région de Relizane. Pelissier meurt le 22 mai 1864 suite à une congestion cérébrale.

Mac Mahon(1) fait Maréchal de France par Napoléon III, remplaça Pélissier au poste de gouverneur général.Préoccupé par l’attitude de certains militaires et colons vis-à-vis de la mise en œuvre du Sénatus Consulte qui provoqua des insurrections dans le rang des arabes et Kabyles, Napoléon décida d’effectuer une deuxième visite en Algérie colonisée qui l’emmena dans plusieurs villes du nord, notamment Sidi Bel-Abbès et sa région où étaient cantonnées les factions de la grande tribu des Béni Ameurs, fer de lance de l’Armée de l’Émir Abdelkader. À son arrivée à Alger le 02 mai, l’empereur lança un appel aux Européens :
« Traitez les Arabes au milieu desquels vous devez vivre, comme des compatriotes. »
Le 05 mai, devant l’ampleur des insurrections, l’empereur prononça un discours en faveur des « Arabes » : « Vous connaissez mes intentions. J’ai irrévocablement assuré dans vos mains la propriété des terres que vous occupez…J’ai honoré vos chefs, respecté votre religion.Je veux augmenter votre bien être, vous faire participer de plus en plus à l’administration de votre pays. » Le même jour, il reçut un officier musulman qui s’était plaint de la promotion aux grades supérieurs de capitaine et autres.« L’objectif de l’empereur, écrivit Annie Rey Goldzeiguer(2) dans son ouvrage « Le Royaume Arabe », était de faire de l’Algérie une force politique au service du souverain et un élément de puissance pour l’Empire. » Pour Charles André Julien, il considère la politique entamée par Napoléon III en Algérie colonisée, la plus « intelligente » et la plus « humaine ». Quant aux européens d’Algérie installés depuis plus de trente années avec le statut de colon, le Sénatus-Consulte de 1863 complété par le sénatus consulte du 14 juillet 1866 sur l’état des personnes et la naturalisation en Algérie, était étrange et menaçant. Pour mieux comprendre les intentions de l’Empereur dans son projet « Le Royaume Arabe », le compte rendu établi par l’écrivain et historien Henri Grimal sur l’ouvrage « Le Royaume Arabe » de l’auteure Annie Rey Goldzeiguer, dans la revue « Histoire Moderne et Contemporaine » -Année 1981 pp380/384- amorça sa critique avec rigueur en indiquant que la « micro-société » d’européens encore hétéroclite, « s’érigeait cependant en maître et prétendait transformer le pays à sa guise et à son profit. »

Un puissant courant d’opinion politique s’opposait fermement au senatus consulte qui ouvrait le droit de propriété et à la nationalité de l’indigène colonisé. Les européens d’Algérie étaient favorables à la politique de l’expansion à outrance garantissant à coup sûr le prolongement de la patrie française sur la rive nord Africaine. En consultant davantage le compte rendu d’H.Grimal on note ;« Les aspirations des colons étaient discrètement soutenues par l’administration locale. Mac Mahon, alors gouvernement général, se dissociant avec prudence du programme de l’Empereur, hâtait la transformation de la propriété rurale vers l’allotissement individuel, ouvrait les terres domaniales et les forêts à la colonisation et créait de nouveaux centres européens….Restait à créer en métropole un courant assez fort pour convaincre l’empereur d’un changement nécessaire d’une politique à la colonisation, sans être profitable
pour les indigènes. Dans ce sens, la bataille ardente menée à Paris, et particulièrement du corps législatif, conduisit Napoléon à envisager des réformes en vue de donner de nouvelles garanties aux populations européennes, désormais attachées au sol et à celles qui y émigraient. » Malgré, l’appui très discret du gouverneur général au sénatus consulte, le régime militaire fut violemment attaqué. Le 09 mars 1870, le corps législatif vota à l’unanimité la résolution : « L’avènement du régime civil paraît concilier les intérêts des européens et des indigènes. » Cette résolution avait mis fin au fonctionnement des bureaux arabes sous tutelle militaire qui étaient censés faire le suivi de l’application du sénatus consulte, et remettre le pouvoir à l’administration civile. Malheureusement, à ce programme « ambitieux, structuré et prophétique » élaboré en faveur d’une colonisation assimilationniste fut soumis au torpillage administratif et l’opposition républicaine. Ce qu’il faut retenir de « positif » dans le projet de cette nouvelle approche de la colonisation intitulé « Le Royaume Arabe » initié par Napoléon III :
-les opérations de recensement et de délimitation du patrimoine foncier des tribus s’étaient accélérées et la plus grande partie d’entre elles terminée en 1872.
-Il n’y avait plus de concessions gratuites de terres.
-Des parcelles du domaine étaient mises en vente, et des indigènes pouvaient en acquérir.

Le senatus-consulte du 14 juillet 1865 ouvrait la citoyenneté française aux Musulmans – donc la possibilité d’accéder à des fonctions administratives, et leur accordait le droit de vote en échange de leur renonciation à leur statut coranique,disposition qui demeurera en vigueur jusqu’en 1946.
Le décret du 27 décembre 1866 permettait aux Musulmans de participer à la gestion des communes françaises de plein exercice; et désormais les conseillers généraux indigènes ne seront plus nommés, mais élus.
Au cours des derniers mois de l’Empire, la gauche avait manifesté son désaccord avec la politique de Napoléon III en Algérie. Après 1871, la République ne tarda pas à en prendre le contre-pied. Ce fut tout d’abord la naturalisation collective de tous les Européens et de tous les Israëlites – lourde erreur psychologique – alors que les Musulmans se trouvaient soumis à un régime discriminatoire, le Code de l’Indigénat. Puis, la suppression des trente-six écoles « arabes-françaises » qui constituaient un « pont » entre les deux communautés. Enfin, la loi de 1873, facilitant la cession des terres indigènes aux européens, en rendant applicable l’article 815 du Code Civil, ce qui permettait d’acheter une part indivise et ensuite
de demander le partage. En vingt ans, la propriété indigène recule de 1/5ème dans le Constantinois; des 2/5èmes en Oranie; des 3/10èmes dans l’Algérois. Évolution qui entraîne en 1881, l’insurrection du Sud-Oranais. Ismaël Urbain(3) écrit l’année suivante: « Loin de progresser, nous avons perdu énormément de terrain depuis douze ans. Les Musulmans s’éloignent de plus en plus de nous et attendent avec la résignation des fatalistes l’heure de la vengeance. Nous payerons tôt ou tard les fautes que nous commettons et celles qui suivront forcément. »
À ce programme « ambitieux, structuré et prophétique » élaboré en faveur d’une colonisation assimilationniste, le torpillage administratif et l’opposition républicaine étaient présents. Après le premier gouverneur nommé, le général Pelissier auteur des enfumades du Dahra, son successeur le gouverneur-général Mac-Mahon (futur président de la IIIème République) répond « avec circonspection, et même condescendance, faisant valoir que le sort des Arabes est plus doux que celui qu’ils eussent imposé aux Français s’ils avaient gagné le combat, que les indigènes d’Algérie ont l’habitude d’être dominés (hier par les Turcs, depuis par les Français). Mac-Mahon ose même reprendre Napoléon III sur le contenu de ses directives, en lui faisant porter la responsabilité des problèmes algériens. Autrement dit, pour le gouverneur général, il est urgent de ne rien faire…’ »-R.Pillorget (Les deux voyages de Napoléon III en Algérie)-

En ce qui concerne la visite de Napoléon III à Sidi Bel-Abbès, elle s’inscrivit dans l’application du Senatus consulte de 1863 et celui de 1866 qui favorisait l’idée de « Royaume Arabe » à la place de colonie.Et dans ce contexte précis, la proposition faites par l’administration civile de remplacer Sidi Bel Abbès par Napoléonville, a été de facto rejetée, car elle était contraire à la conception du « Royaume Arabe » initiée par l’empereur.Autrement dit, toutes les actions entreprises par Napoléon III au cours de sa visite au niveau des autres villes d’Algérie durant sa deuxième visite, notamment les décorations remises aux Caïds, administrateurs arabes et arabes propriétaires de grands domaines agricoles, Abdelkader Ould Zine de la tribu de Ouled Ali, ancien Agha de l’Émir Abdelkader, nommé Agha au niveau l’administration française avait reçu une décoration des mains de l’Empereur. En dehors de la propagande du « Royaume Arabe », certainement que Sidi Bel-Abbès étant Berceau de la Légion étrangère, Napoléon III devait obligatoirement effectuer une visite au quartier général du premier régiment installé depuis 1841.Une
visite qui coïncidait à quelques jours près avec la commémoration de la bataille du Camerone (Mexique)(4) qui avait eu lieu le 30 avril 1863.
Toutefois, je considère que toutes les actions entreprises par l’Empereur au cours de sa visite en faveur des Arabes sont des vérités dans la consolidation du projet du « Royaume Arabe » transcrites dans le senatus consulte de 1863 et de 1866.

Sources :
-Annie Rey-Goldzeiguer, Le Royaume Arabe. La politique algérienne de III, 1861-1870-compte-rendu de Grimal Henri-Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine  Année 1981  28-2  pp. 380-384
-Le Rêve Arabe de Napoléon III-Daniel Rivet-Mensuel 140 de la revue « L’Histoire »
-Les deux voyages de Napoléon III en Algérie-R.Pillorget-Revue Napoléonien .N°363.PP 30-36-février 1989-

(1) Maréchal de France, héros de la guerre de Crimée, gouverneur de l’Algérie, Patrice de Mac-Mahon est également devenu président de la République de 1873 à 1879
(2) Historienne, spécialiste de l’Algérie coloniale. Née le 12 décembre 1925 à Tunis et morte le 17 avril 2019 à Massiac.
(3)Ismaÿl Urbain, né Thomas Urbain Apolline le 31 décembre 1812 à Cayenne en Guyane et mort le 28 janvier 1884 à Alger, est un fonctionnaire, journaliste, interprète et essayiste français
(4) La bataille de Camerone est un combat qui oppose une compagnie de la Légion étrangère aux troupes mexicaines le 30 avril 1863 lors de l’expédition du Mexique.Soixante-deux soldats de la Légion sont assiégés dans une hacienda du petit village de  Camarón de Tejeda  (« Camerone » en français). Ils résistent durant une journée à l’assaut de 2 000 soldats et cavaliers mexicains. À 18 heures, à court de munitions, les trois légionnaires encore en état de combattre s’apprêtent à charger à la baïonnette
jusqu’à une mort certaine(1) . Commandés par le caporal Philippe Maine, ils se rendent à l’ennemi à condition de garder leurs armes et de pouvoir soigner leurs blessés, notamment leur lieutenant, blessé peu de temps avant(1) .La bataille de Camerone est célébrée le 30 avril de chaque année comme un haut fait de la Légion étrangère dans toutes ses unités.(Source Wiképédia)