Sur le trottoir éperdument

Qu’est-ce donc l’ubuesque ? C’est ce ridicule qui, faute de tuer, donne à rire. Et de l’ubuesque nos champions nous en donnent chaque jour á satiété. Nous avons eu les épisodes du grand sud ; les larmes croco et les visites aux hommes morts. Ce ne fut qu’un prélude. Le meilleur était à venir.

Au nord c’est l’épisode du trottoir. Chacun y fait son commerce, étale son fonds et racole ses clients.

Le trottoir c’est fait d’habitude pour le commerce charnel, mais voici qu’on y prie aussi. Sans tapis, lunettes noires sur front, chaussures aux pieds. Ce n’est certainement pas á Dieu que l’on s’adresse de manière si grotesque, mais á ses ouailles; les passants, les votants. On se prostitue. On descend très au fond. Et ce trottoir, ce petit territoire, on le dispute á ses locataires habituelles.

J’allais dire que prier sur le trottoir c’est de la « mauvaise foi » de la part d’un « candide », mais je sais qu’un ami très à cheval sur la langue française me reprochera cet oxymore. Et pourtant elle est purement mauvaise cette prière, cette foi qu’on étale sur le trottoir. Et c’est faire preuve d’une grande candeur que de prendre les badauds pour des benêts. Ces passants avisés, qu’ils regardent Tartufe de face ou de dos, ils pestent contre l’hypocrisie, filment la comédie et en font leurs séances de cinéma sur la toile. Et voici le vin qui tourne au vinaigre. La prière qui devient risée, hérésie. Et les salles qui se vident.

Mais pourquoi diable comparer Tartufe a une prostituée ? Parce que c’est lui qui a donné le rythme. C’est lui qui a foncé à fond contre la volonté de la rue, a insulté son intelligence, et a offensé sa foi. Il aurait pu éviter l’affront, se cacher, s’offrir une salle, un stade, son agora. Mais il a choisi le trottoir. C’est bien connu; quand on s’exhibe, on s’expose. Surtout quand on est homme public et qu’on aspire à devenir le premier des hommes publics. Il faut donc assumer ses bévues et recevoir le retour de manivelle.

Candide, qui n’est pas simple d’esprit (encore un oxymore), a pourtant le sens de la rhétorique. Des cinq prétendants il est le meilleur orateur. Il a le verbe facile, le geste qu’il faut, du passé et un certain charisme; de quoi mener la foule. Mais il est aussi le plus excité, le plus excessif et surtout le moins sincère puisqu’il prétend représenter le parti de l’Islam et ne s’ y conforme que peu; de quoi perdre la confiance de la foule.

Sur le trottoir ce candidat a allumé une mèche, il ne fera pas long feu.