Professeur Karim Ouldennebia- Historien – Université UDL – Sidi-Bel-Abbès.

               La notion du changement ne date pas d’hier. Pour dire ainsi que personne ne peut revendiquer la paternité de l’acte puisque depuis longtemps les philosophes, politiques et les historiens de l’antiquité et du moyen âge ont déclamé sur sa nature d’abord mais aussi sur sa durée et son intensité.

Cette notion désigne en résumé, le passage d’un état disons historique à un autre selon plusieurs références.

Ce changement ne consiste pas à changer le débat en dispute ou encore la joie en deuil. C’est d’un changement  pacifique qu’il s’agit. Toutefois, une circonstance importante est à retenir. Ce mot, soit prononcé, soit entendu, n’éveille presque jamais l’image de l’acte dont il est le signe. Autrement dit, prononcer ce mot, est une chose et avoir l’image des objets réels que représente ce mot est une autre.

                En évoquant aujourd’hui le changement en Algérie, je découvre des exigences contradictoires allons du « ça n’avance pas bien (B+) au rien  ne va plus », cela ne me surprend pas puisque, c’est un échange d’idées en public même si ce concept cache en lui une infinité de plusieurs couleurs. C’est comme même un débat. D’ailleurs, tout le monde peut témoigner du caractère JOYEUX des marches pacifiques revendiquant le changement. Espérant, que personne ne brise cet élan magnifique glorifié à travers le monde.

                Qui a tord et qui a raison ? Ibn Khaldoun (1332-1406) à l’âge de 45 ans avait essayé de répondre à ce questionnement. Sa contribution à l’histoire, notamment celle du grand Maghreb et un degré moindre pour les autres disciplines est considérable et même trop imposante. Dans son ouvrage, il donne une leçon à beaucoup de politiciens de notre temps. L’histoire, selon lui, n’est pas seulement le récit des évènements passés. Elle a un autre sens. Celui de connaître à fond le pourquoi et le comment des ces mêmes évènements. Mais, attention, lui-même insistait à dire que tous les écrits, par leur nature même, sont sujets à l’erreur. Voilà qui est clair pour tout le monde.

               On ne peut trouver mieux que lui pour se faire une première idée sur ce que nous vivons actuellement dans notre pays concernant l’actualité sur le débat des élections présidentiels du 19 avril 2019 prochain. D’abord, il s’agit d’un historien bien de chez nous et de surcroît de renommé mondiale. Son ouvrage célèbre « Muquadima » est une véritable analyse mythique qui nous revient à chaque fois. Né à Tunis, il connaissait parfaitement son sujet (Akhbar El-Berbères) ainsi que son espace le Maghreb central pour l’avoir parcouru en tous sens et même gouverné ce qui est très important. On le voit faire la distinction entre le monde rural et les sédentaires, c’est-à-dire les villes. Il fait surtout la distinction entre l’accès à la foi et donc le religieux (sciences traditionnelles) avec le monde accessible à la raison comme la politique. Notons aussi qu’il avait écrit son texte non loin de l’endroit ou nous sommes entre Bejaia et Tlemcen ou vivait son frère Yahya le chroniqueur du clan des Abdalwadides et leur Roi Zénète Abou-Hamou Moussa II. Plus exactement au environ de Frenda (Tiaret-Algérie) en 1375. Chez les Ouled Arif ou il trouva un accueil très hospitalier. C’est son inspiration qui l’a amené à choisir la forteresse des Béni-Salama à Taghazout.

                Ibn-Khaldoun soulignait que : «  Le comportement autoritaire dans l’éducation est à la source de paresse ». Cette seule citation illustre son esprit critique et la modernité de sa pensée. «  Celui éduqué par la violence perd son sens créatif » disait-il encore. Bref, il était contre la violence. Tout à fait normal me diriez-vous, vu la fureur qu’il a vécu. D’ailleurs, l’agression dont il a été victime en allant à Fez l’a marquée toute sa vie.

                On sait qu’il était persuadé d’assister à une époque qu’il avait surnommée « le cycle du déclin du Maghreb ». Donc selon lui, un événement historique pouvait s’étendre sur un large espace géopolitique. Par conséquent, s’il était encore en vie ! Il nous aurait dit que la guerre civile en Syrie et même les événements d’Egypte et du Soudan n’ont pas à être confondu ici. Singulièrement, Ibn-Khaldoun commence son ouvrage avec une critique complète des erreurs régulièrement commises par les historiens (7 au total) en plus des difficultés qui attendent l’historien dans son travail.

                En bref, on peut comprendre, que le changement d’une histoire à l’autre passe par la critique ou disons par un bilan critique. Et c’est justement ce qu’est entrain de réaliser la société algérienne. Ecrire des nouvelles pages d’histoire passe par la « correction » des erreurs du passé et les attitudes partisanes des hommes politiques. On le voit bien, son approche était réformiste et non révolutionnaire.

                C’est Aristote dans son œuvre majeure « la Politique » qui, le premier avait qualifié l’homme d’animal politique. Nous sommes donc une espèce sociale disait-il. Mais pour Ibn-Khaldoun la vie en société est conforme à la référence de  tous les humains. Elle plus que nécessaire. Ce qui est naturel chez les humains selon lui, c’est plutôt leur tendance à l’agressivité. Ainsi, il avait abordé le problème politique comme un produit de société. Les spécialistes qui ont longuement décortiqué son texte soulignent que : «  Le pouvoir modérateur est dans l’obligation de canaliser cette agressivité ». Autrement dit : Le rôle de l’état et son pouvoir central,  est le  responsable principal de l’acte du changement politique. C’est lui qui doit assumer cette valeur centrale de chef.

                Ce n’est ici ni le lieu ni le moment de relever les maladresses des groupes du pouvoir encore moins  une analyse fouillée sur ces différents groupes qui jouissent d’une forte cohésion  pour ainsi comprendre mieux le texte d’Ibn-Khaldoun. Puisque, son concept  d’ « Açabiya » revêt un sens assez particulier dans le changement. Il  est fondamental, mais, assez compliqué. Notons que, cette condition existe en Algérie, c’est elle qui  permettra de construire un changement dans la durée. Si l’on pense à l’école d’Ibn-Khaldoun aujourd’hui, ce n’est pas qu’on est nostalgique de l’époque post-indépendance. Mais, c’est parce qu’il nous semble qu’il est important de chercher la part de la raison dans le changement. Les donnés historiques sont d’une extrême importance dans tout projet de société. Cette manière  particulière de raisonner par l’histoire dans la longue durée même dépassée, elle a été soulevé par les regrettés : L’homme de paix et ancien ministre de la culture Abd-Majid Méziane (1926-2001), le philosophe Abdallah Cheriet (1921-2010), l’intellectuel engagé Abdelkader Djeghloul (1946-2010) et l’orientaliste Jacques Berque (1910-1995) pour ne citer que ceux là. Toutefois, ce qui intéressent de relever ici par contre, c’est l’addiction des jeunes à leur portable et au numérique et notamment les réseaux sociaux qui ont opérés un changement des valeurs chez les jeunes qui peuvent être habitués maintenant à avoir des données en multiples informations d’un simple clic. Il faut réécrire la très longue histoire des Algériens à travers leur Amazighité pérenne pour établir la réconciliation définitive avec notre passé gravement blessé mais encore guérissable.

                Pour conclure, on savait déjà qu’Ibn-Khaldoun avait entreprit son histoire des « Berbères » avec une nouvelle lecture. Il vivait pourtant dans un climat d’incertitudes et d’antagonisme entre Fez, Tlemcen et Tunis. Cela, lui a fait prendre conscience de l’agressivité des humains. Il finit d’ailleurs, par renoncer à sa vie agitée parmi les politiciens véreux, corrompus et surtout comploteurs et conspirateurs. Bon, c’est vrai, sa théorie sur le phénomène de la décadence dynastique du pouvoir comparée à un Viel homme de troisième génération n’a plus cours. On peut même affirmer quelle est périmée puisque rares sont ceux qui croient encore à l’histoire des cycles. Toutefois, cet ouvrage, avait donné à son auteur la gloire d’avoir précédé de plusieurs siècles Descartes, Machiavel, Montesquieu, Michelet, et même Marx et Alex de Tocqueville, et d’être redevenu aujourd’hui un moderne. N’oublions pas qu’Ibn Khaldoun était conscient tout de même d’avoir découvert une science nouvelle, celle de l’évolution des sociétés, autrement dit la sociologie. Il suffit donc de mettre à jour ses idées.

Professeur Karim Ouldennebia- Historien

Université UDL – Sidi-Bel-Abbès.