Le 19 juin 1965, vers 11heures, on se dirigeait mon ami de toujours Benadji et moi-même, vers la grande rue de Sfisef pour acheter le journal la République. A notre âge, nous n’étions pas encore branchés info, ni n’avions les moyens de se payer le quotidien fétiche de l’époque. Alors quelle raison nous dictait cette démarche aujourd’hui ? Tout simplement, nous avions passé l’examen du Sixième cette année et les résultats étaient prévus pour ce jour. Je rappelle aux jeunes lecteurs qu’à cette époque, les résultats de la sixième étaient publiés sur le journal, tellement le nombre était réduit. Tous les résultats du département d’Oran prenaient sur une page du Quotidien. Feu Abdelkader – le père de Bénadji – nous suivait avec une cravache, ce qui mettait les jambes de mon ami à flageoler constamment. Nous étions les deux excellents en classe, mais nous savions qu’on n’était pas à l’abri d’un accident.
La première page parlait d’un évènement que l’on ne comprenait pas totalement, mais on avait déjà conclu que quelque chose n’allait pas au sommet de l’Etat et que Benbella que nos parents chérissaient tant, a été tué ou mis en prison. Les mômes naïfs que l’on était ne comprenaient pas beaucoup les raisons qui font que les adultes n’ont aucune notion de l’amitié. Finalement on ne savait pas s’il fallait être heureux que cet évènement vienne reporter la publication des résultats et donc l’éventuelle correction de Benadji, ou déçu de devoir encore attendre dans un stress incompressible. Ce que je retiens jusqu’à aujourd’hui, c’est cette photo d’identité de Houari Boumédiène en haut à droite de la première page du quotidien, où le visage émacié mettait déjà en exergue un regard perçant et menaçant.
Juste après, on retournait à nos échanges de Blek Le Roc, Zembla et autres Kiwi, ainsi qu’aux interminables parties de foot avec un ballon en chiffons. L’évènement n’a pas eu lieu pour nous, c’est l’avantage d’être enfant.
Juillet 1975. Il y eut déjà la récupération de la base de Mers El Kebir, la nationalisation des hydrocarbures et… la révolution agraire. J’étais parmi les étudiants regroupés en séminaire national sur la révolution agraire à la salle Harcha. Membre du CUV (Comité Universitaire du Volontariat) j’avais participé la veille à la répartition des questions que devaient poser les étudiants au Président. Les badges spéciaux furent diffusés.
Mais cette année avait déjà connu l’émergence des Islamistes au sein des campus universitaire et des batailles rangées avaient eu lieu entre étudiants de différentes tendances. C’était déjà les prémices de Bouiali. Le point culminant fut l’assassinat d’un étudiant par les Islamistes à l’Université d’Alger à Ben Aknoun (La victime était originaire de Sidi-Bel-Abbès). Ces évènements devaient donc déteindre sur le séminaire de la salle Harcha, c’est pour cela que les services du protocole étaient vigilants, nerveux. Mais cela n’empêcha point un étudiant non prévu de prendre le micro et de s’adresser au Président. La salle était tellement bondée que de là où j’étais, je ne pouvais localiser l’auteur. Je ne pus le faire que lorsque le Président s’adresse aux services de sécurité : « Non laissez-le, laissez-le! » Alors le jeune étudiant, dans un arabe châtié, commença à faire un diagnostic noir sur l’état du Pays et à dénoncer les détournements et les Ministres. Souvent le Président l’arrêtait en tapotant sur le micro, mais l’étudiant répliquait : «Monsieur le Président, laissez-moi terminer, ensuite faites ce que vous voulez de moi !» A la fin de l’intervention, le Président invita l’étudiant à monter à la tribune et dit : « Regardez-bien votre ami. Je vous donne ma parole d’honneur que rien ne lui arrivera » On ne saura jamais la suite.
Puis le Président oubliant tous les salamalecs du début (plaisanteries avec les étudiants, distribution de cigares….) reprit son air sérieux, taciturne, l’œil menaçant et sa parole de tribun inégalable. S’ensuivit un discours de deux heures, plein de moralisation, de critiques de ses Ministres : « L’un (tendant sa main à sa gauche vers Feu Tayebi Larbi) bloque d’un côté, les autres (tendant l’autre main vers Feu Seddik Benyahia) bloquent de l’autre côté, j’ai d’énormes difficultés au sein du Gouvernement. J’attendais de l’aide de votre part en vous donnant tous les moyens. Que ceux qui ne sont pas d’accord avec le pouvoir actuel qu’ils prennent les armes ! »
Août 1975 : Aurès El Meïda. J’étais dans une brigade d’étudiants de la Révolution Agraire. On avait rejoint notre affectation en chantonnant l’air de «Hé Mamya, Thaoura Zira3ia ! » Les fellahs étaient impressionnés par ces jeunes « citadins » – ne s’apercevant que bien plus tard que j’étais plus paysan qu’eux – aux cheveux longs et vêtus de jeans pattes d’éléphants et tee shirt hippies.
C’est là que Boumédiène nous rejoint pour poser la première pierre d’un village agricole. Alors qu’il saluait les paysans, il s’arrêta devant l’un d’eux. Le regardant intensément, il lui lance : «Tu n’es pas Flen?» L’autre éclate en sanglots et tombe dans les bras de Boumédiène. L’émotion était trop forte.
Bien plus tard, dans une tente, le président invite les étudiants à un thé et demanda au protocole d’emmener le Paysan qui fut son compagnon d’armes durant la Guerre de Libération. Sitôt arrivé, le Président lui tient un langage de sensibilisation : « L’Etat va vous construire des maisons gratuitement. Il y aura de l’électricité et de l’eau courante. Il y aura l’école pour vos enfants. On ne vous demande qu’une chose, essayez d’aider les maçons. Faites au moins les manœuvres. » Ce à quoi, le Paysan répondait : « Oui Sidi Raïs, mais est-ce qu’on sera payé ? » « Mais je te dis que c’est des maisons qui vous seront données gratuitement. Ce sera vos maisons ! « Oui, j’ai compris Sidi Raïs, mais est-ce qu’on sera payé ? … » A ce moment, à un jeune du protocole avec lequel j’avais familiarisé, s’approche de moi et me dit : «Le Président divague ; cette révolution n’est pas faites pour nos paysans ! »
Sur le moment je me suis dis : «sois il veut tester ma tendance, sois c’est un réactionnaire infiltré ! » Malheureusement, ce n’était ni l’un ni l’autre, le temps lui avait donné raison. Mais comment pourrai-je le savoir moi qui étais un pur produit du socialisme spécifique ?
N.B. Cet article est dédié à mon ami Benadji et à la mémoire de son Père Abdelkader Rahouedj
salem , regardez bien la pic de la vielle dame qui côtoie assise le défunt boukharrouba en chemise !
elle me semble truquée
car on ne voit pas le bras de la vielle mais 2 mains …
J’espere me tromper .
Bonjour, M. Boualem que je salue au passage, vient de me préciser que c’est l’assassin qui est originaire de Bel-Abbès et non la victime. Comme ma mémoire fait défaut, j’aimerais que les lecteurs confirment cette information.