1975. l’Université d’Oran était la seule parmi les 3 que comptait l’Algérie, à bénéficier du demi-tarif pour l’accès aux salles de cinéma pour ses étudiants. Un wali zélé, fraîchement installé, où le Mouhafedh de l’époque (ils étaient les seuls à détenir le pouvoir) prit la décision de supprimer cet avantage pour les pauvres boursiers que nous étions, à 330DA/trimestre.
Évidemment, les étudiants -il est vrai choyés par Boumédiène – ne restèrent pas les bras croisés et revendiquèrent fortement leur avantage acquis. Des manifestations et des protestations furent organisées à l’Université d’Es Senia et au niveau des Cités Universitaires. Rien n’y fit. Le responsable qui a pris cette décision resta ferme. Au cours d’une Assemblée Générale des étudiants, je ne sais comment, un membre lança: « Et si on allait voir Chadli? » Bendjedid était à l’époque, Commandant de la 2ème Région Militaire. Après un débat houleux et polémique –il y avait des étudiants antimilitariste – la proposition fut retenue à la majorité. Eh! Oui, même en ce temps-là, il y avait une certaine démocratie au sein de la communauté estudiantine. Une délégation de quatre personnes fut élue. Rendez-vous est pris. La réponse était immédiate. Le Chef de Région accepta de les recevoir le lendemain. L’entretien durera plus d’une heure, où avant d’entrer dans le vif du sujet, Chadli fit un tour d’horizon avec les étudiants où il s’informait sur toutes les conditions dans lesquelles vivaient les étudiants, les problèmes qu’ils rencontraient, clôturant avec des recommandations empreintes de paternalisme, mais point démagogiques. Le lendemain, le demi-tarif était rétabli. Voilà, le seul souvenir personnel que j’ai de Chadli.
Mais, je retiens que l’homme était un abonné du mess des officiers sis à l’époque à place Garguenta, où il jouait des parties interminables de belote avec notamment un certain Capitaine Toufik Médiène. Quelques uns de ses weekends, il les passait à chasser la perdrix du côté de M’cid, à Melghir précisément, en compagnie de son ami, Hadj Berrebbah. On disait de lui, qu’il était également un adepte de la plongée sous-marine.
S’il est vrai, que j’avais toujours eu un pressentiment de préjugé favorable vis-à-vis de cet Homme, je fus fortement réconforté par les témoignages de beaucoup de compagnons et de personnes qui l’ont côtoyé. Mais on pourrait dire que le destin a forcé sa biographie au cours de sa longue carrière qui s’est achevée au plus haut podium, sans qu’il l’ait cherché.
On se souvient surtout de sa désignation à la Présidence, à la mort de Boumédiène et qui n’était nullement à l’ordre du jour. N’était-ce la « bagarre » Yahiaoui/Bouteflika, Chadli n’aurait certainement pas été Président grâce à un Kasdi Merbah qui déclare aux opposants: « Il n’y a que deux candidats: Chadli et Bendjedid, choisissez! ».
Mais il le fut. Durant treize ans de règne -autant que Boumediène – il aura été le premier à démissionner, même si beaucoup de gens pensent qu’il a « été démissionné » Pourtant, les témoignages apportés sont unanimes pour dire que Chadli a démissionné de son plein gré, parce qu’il refusait de se « déjuger » Lui qui ne s’attendait pas selon les informations qu’on lui faisait parvenir, à un raz-de-marée du FIS, décida pour la cohabitation, ce que n’accepte pas les cercles du pouvoir. Il préféra alors démissionner plutôt que de se déjuger.
Son règne fut marqué par des décisions historiques, surtout sur le plan politique. C’est lui qui est l’instigateur principal du multipartisme, même s’il dut le faire sous la pression du 5 octobre. Mais, beaucoup pensent que le 5 octobre était « préfabriqué » justement pour permettre le passage des réformes qu’il envisageait. En d’autres termes, Chadli a appelé le Peuple à son secours. Jamais, la presse et surtout publique, n’a eu autant de liberté qu’au temps du règne de Chadli. On se souvient tous des fameux débats à la télévision nationale, de Mourad Chebbine et surtout de la première caricature d’un Président Algérien parue en janvier 1984, sous la plume de ….Slim! (ci-contre)
Une chose m’a spécialement interpelé. Dès sa désignation au sommet de l’Etat, Chadli fut soudain victime de l’humour de la rue. Trop de blagues le dévalorisant circulaient simultanément dans toutes les régions du Pays. On aurait tout de suite compris que cela était « concerté » et « synchronisé » De là à penser à tous ceux qui voyaient d’un mauvais œil, les réformes qu’il voulait instaurer et notamment le multipartisme sur le plan politique et la libéralisation sur le plan économique, le pas est vite franchi. Autrement, comment comprendre cette volonté à vouloir à tout prix donner de lui une image de « l’illettré » de « celui incapable de gérer » ? et surtout « celui soumis à la France »
Mais c’est sur le plan économique que l’ère Chadli aura « pataugé » En effet, les fameuses restructurations des entreprises publiques, ensuite l’autonomie des entreprises entamées en 1989 auront été un véritable bide, dont les conséquences continuent à sévir jusqu’à aujourd’hui. Les restructurations surtout, menées par un certain Brahimi la Science, auront creusé définitivement la tombe du tissu industriel. L’arrêt des investissements productifs et le recours massif à l’importation ont accouché de l’Algérien « consommateur » pour le réduire au « tube digestif d’aujourd’hui« .
Mais les analystes, diront que Chadli aura payé les effets de la crise de l’époque avec la dégringolade du prix du baril de pétrole, qui mit tout le Pays dans un état de cessation de paiement.
Un de ses proches collaborateurs a rapporté que dès sa prise de pouvoir, en examinant le dossier des essais nucléaires à Aïn Namous, il s’emporta violemment: « Il me semble que la France a quitté l’Algérie en 1962? Que font-ils encore ici? » Il ordonna immédiatement l’arrêt des essais et le départ des Français en précisant: « Dites-leur de ne laisser aucun boulon! »
Pourtant pendant longtemps, on l’a traité de « valet de Mitterrand« .
Il me semble que Chadli a rencontré beaucoup de résistance au changement où tous les coups étaient permis. A cela s’ajoutait la fameuse crise économique qui a mis l’Algérie à genoux pendant longtemps. Plus grave, il a même été victime d’abus de confiance, puisqu’il relate dans ses mémoires à paraître que le FIS et le RCD ont été la création de Larbi Belkheir, alors que lui était en voyage au Sénégal et n’en savait rien jusqu’à son retour, pour le fait accompli.
Le premier Président est mort pour avoir trop mal vécu, en avalant un grand pan de l’Histoire; le second est mort avec la suspicion d’empoisonnement; le troisième a démissionné pour des principes d’égo; le quatrième est tué pour avoir voulu lutter contre la corruption; le cinquième a démissionné au nom de l’Amitié… A la vitesse où cela va, les générations futures risquent de n’avoir aucun indice sur l’Histoire de la Guerre d’indépendance et post-indépendance.
Peut-être que l’autobiographie de Chadli annoncée pour bientôt nous apportera beaucoup d’éléments de réponse et nous enseignerait sur une partie de notre Histoire, dont Chadli qu’on le veuille ou pas, aura été un acteur-clé pendant plus de 38 ans!
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Il est des circonstances où nos référents moraux traditionnels nous appellent impérativement à la retenue, notamment pour certains évènements de la vie – la mort, ici en l’occurrence- sauf à faire l’éloge du disparu, surtout lorsque la dépouille mortelle est encore chaude, et que l’âme du défunt vient à peine de rejoindre son Créateur.
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