En parcourant un écrit du professeur Abdelkader Hani, spécialiste en archivistique, je suis tombé sur une lettre adressée par l’Émir Abdelkader à l’administration française.
Une lettre intéressante à double titre: la participation de la tribu des Béni Ameur aux côtés de l’Émir Abdelkader dans la lutte de libération et la gratitude que celui-ci a témoignée jusqu’à sa mort. Une lettre dont la correction et la concision rappellent parfaitement le style qu’il employait en s’adressant à des fonctionnaires exerçant une fonction administrative.
Une lettre qui, tout en étant simple, n’en est pas moins précise et la structure syntaxique laisse deviner une certaine irritation de l’Emir devant l’injustice de l’occupant colonial quand bien même il l’a écrite à Damas en 1880, c’est-à-dire 3ans avant la fin de ses jours. Une lettre qui en dit long sur la bravoure de l’Emir et de l’union qui existait entre lui, la région de Sidi Bel-Abbès et les Ouled Slimane. C’est d’ailleurs pour intercéder en faveur de quelques-uns d’entre eux, parmi ceux qui l’accompagnaient dans son exil et même ceux qui étaient restés à Sfisef, dépossédés, spoliés par les colons, qu’il l’a écrite.
Ce document nous interpelle quant à la nécessité de la sauvegarde des archives pour une écriture scientifique de l’histoire. Le manuscrit et sa traduction ont été retrouvés dans les vieux papiers de la sous-direction des forêts de Sidi Bel-Abbès ; ils ont fait l’objet d’une publication dans la revue de l’histoire magrébine, il y a vingt ans environ ; elle a même fait l’objet d’une analyse et d’une authentification par comparaison avec d’autres lettres de l’Émir. Elle est signée Abdelkader El Hosseini et porte en bas, sous la signature, l’empreinte d’un sceau sur lequel on lit Abdelkader Ibn Mahieddine. Ce sceau personnel rompait définitivement avec celui de l’Émir Abdelkader chef d’Etat, il est dépourvu de la fameuse étoile du sceau officiel. Cette lettre pourrait donc constituer un caractère tout à fait particulier, privé dans lequel l’Émir voulait intervenir. Elle est également dénuée de ces longues formules d’appel qui caractérisaient les lettres de l’Émir en sa qualité de souverain. Elle porte néanmoins la formule habituelle aux correspondances de l’Émir «Louanges à Dieu unique» et la datation reste hégirienne, le 29 Rabie el Aouel de l’an 1297, correspondant au 11 mars 1880. Une lettre par laquelle l’Émir intervenait personnellement auprès du Conservateur chef de service pour faire annuler une expropriation dont était victime un groupe familial, El-Hadj. Kada Ould Cheikh et ses frères El-Hadj Mohamed et El-Hadj Larbi et leurs cousins demeurant à la tribu des Ouled Slimane, connus sous le nom de Ouled Bou Hamane.
L’expropriation dénoncée concernait probablement une terre annexée à la forêt à la suite d’un classement consécutif aux opérations de délimitation et de reconnaissance dans le cadre du Sénatus-consulte de 1863, opérations qui avaient touché en effet la région de Sidi Bel-Abbès en 1880.
Ce genre d’opérations permettait d’agrandir le domaine forestier, proie facile aux meutes de spéculateurs coloniaux, concessionnaires de forêts.
Il est peut-être utile que je vous retranscrive cette lettre, véritable symbole de devoir, de contestation voire d’insurrection.
«A Monsieur le Conservateur, Chef de service des Forêts du département d’Oran Louanges à Dieu l’Unique. Après les compliments d’usage Un de mes serviteurs, le nommé Hadj Ould Cheikh, domicilié avec nous à Damas et ses frères El Hadj Mohamed et El Hadj Larbi et leurs cousins connus sous le nom de Ouled El Hamad, demeurant à la tribu des Ouled Slimane, commune de Sfisef, canton de Bel Abbès, sont propriétaires d’une terre appelée Bled El Djenna, terre que les autorités ont prise et réunie à la forêt. Ils ont hérité cette terre de leurs pères et ancêtres et ils ont eu la possession et la jouissance de père en fils depuis le temps du Bey Mohamed le Turc jusqu’au jour où ils ont été dépossédés par les autorités.
En conséquence, nous désirons de votre équité et de votre justice que vous leur fassiez rendre cette terre pour qu’ils en tirent partie car ils sont dans le besoin. Prenez en considération dans cette affaire notre désir car les sus-nommés sont des nôtres et nous vous serons très reconnaissants.
Le 29 Rabie El Aouel 1297 correspondant au 11 mars 1880.
Signé Abdelkader El Hosseini. »
Quel que soit le caractère de cette lettre, le plus important est que ce document nous donne quelques informations sur l’attitude de l’Émir Abdelkader à l’égard du processus de dépossession qui frappait durement la population algérienne au 19e siècle et témoigne de son profond attachement avec la région de Sidi Bel Abbès et la tribu des Béni Ameur dont les Béni Slimane faisaient partie intégrante.
* Article tiré d’une revue d’entreprise et signé par Hadj Benaouda Fekih