- Tu peux nous débrouiller un clan pour nous ramener à Aïn El Turk.
- Attendez ! il faut que je sache où se trouve notre ami Kadiro,c’est un « clan » qui peut vous ramener où vous voulez.
Il composa un numéro sur son portable et attendit quelques instants pour lancer : « Salam ! où es-tu ? J’ai deux clients pour toi à ramener à Aïn El Turk. Il se retourna vers nous et dit:
- Vous avez de la chance , il est dans les environs et sera là dans moins de cinq minutes.
Effectivement , Kadiro rappliqua au bout de quelques minutes sur sa Clio presque neuve. Il nous fit signe de monter. J’ai pris la première place. La distance n’était pas tellement longue mais dans les trois minutes de trajet qui suivirent, notre discussion déboucha sur la partie sensible qui m’incita à faire ce papier. Suite aux questions routinières concernant ce métier de « clan » que notre chauffeur, après s’être rassuré de nos bonnes intentions et qu’effectivement nous étions de passage dans la région, nous lança avec amertume et regret :
- Écoutez ! Je vivais en France et gagnais ma vie le plus décemment depuis novembre 2008 jusqu’à ce mois de février 2011 et allais même avoir le sésame pour résider continuellement si ce n’était les évènements de la Libye qui ont bouleversé et basculé ma vie pour me retrouver ici à faire ce boulot.
Un boulot qu’il n’aime pas réellement, lui qui vient de compléter à peine ses vingt-quatre ans, « mais il faut gagner sa vie » dit-il, « en attendant de voir des jours meilleurs ». Et c’était là où notre curiosité s’intensifia . Nous lui lançâmes :
- Pourquoi vous dîtes les évènements de Libye ?
- Vous savez , j’étais « Harrag » et je n’avais pas de papier « réglo ». J’étais installé à Paris et des amis m’ont alerté sur une probable régularisation que l’Espagne allait entreprendre au cours de cette année (2011) pour certains « harragas » alors qu’on m’avait déjà signifié, pour des raisons que j’ignore, que je devais régulariser ma situation dans le premier pays où j’étais recensé , cette régularisation ne pouvant être obtenue qu’en Espagne où j’ai débarqué pour la première fois par la voie maritime avec mon Zodiac et non pas en France. Ainsi, j’ai décidé de retourner en Espagne pour s’enquérir et accélérer dans la mesure du possible cette régularisation qui me permettait d’avoir mes papiers et pouvoir retourner en Algérie surtout pour voir ma famille et mon père décéda juste quelques mois avant mon interception par la police. C’était au cours du trajet vers l’Espagne, il y avait des barrages de police qui ont été multipliés un peu partout et surtout aux frontières et c’était justement à cause de la Révolution en Libye qui a déclenché un afflux de harragas.
Le sujet devient intéressant pour moi avec BAI en esprit,ce qui me poussa à lui demander s’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que son histoire soit connue par nos lecteurs. Il n’y voyait aucun problème :
- Vous pouvez écrire ce que vous voulez.
- Peux-tu nous dire comment tu as fait pour atteindre les côtes Espagnoles, raconte-nous un peu depuis le début.
- Vous savez, j’ai participé à plusieurs opérations de « harga ». Celles-ci m’ont inspiré beaucoup et du coup je me suis formé et entraîné pour les opérations de navigation par zodiac ou autre barque motorisée pour la traversée des 150 kilomètres qui nous séparent de l’autre rive. Cela me semblait facile. D’autant plus qu’il y avait plusieurs tentatives qui avaient réussi .
- Qu’ est- ce qui t’a poussé à affronter la mort ?
- Réellement l’idée de « Harga » ne m’est venue que lorsqu’on m’a licencié abusivement et arbitrairement de mon boulot, j’avais un bon boulot et je travaillais dans cette société jusqu’au moment où on me signifia que le poste que j’occupais était devenu pléthorique et allait être retiré de la nomenclature donc une sorte de licenciement déguisé pourtant la société était en bonne santé financière.
- Tu es devenu Hitiste (chômeur) ?
- Oui ,j’avais 21 ans sans ressources aucunes, il fallait subvenir à mes besoins personnels et familiaux, je ne pouvais supporter ce chômage forcé. Voyant un avenir sombre et sans horizons devant moi, je pris la décision donc de tenter ma chance et j’ai entamé les démarches ordinaires que je connaissais pour acquérir le matériel nécessaire pour la traversée mais avant cela , il fallait le contact et des candidats potentiels pour cette traversée , ce qui ne manquait pas.
Ici , il ne nous signale pas comment il a trouvé le financement ni qui a fourni les équipements de traversée.
- C’était par une belle journée d’octobre 2008 que j’avais choisi de mettre mon plan à exécution. Je suivais quotidiennement le bulletin météorologique de l’Oranie et particulièrement celui de la mer. Selon la météo d’alors, ils ont annoncé plusieurs journées de beau temps et une mer calme.
- A quel endroit avez-vous fixé rendez-vous pour le grand départ?
- Ah ça , je ne vous le dis pas ! ça reste secret. L’ensemble des Harragas ont été informés du jour « J » et je leur ai fixé rendez-vous à une heure précise du soir. Ils étaient en tout 20 dont deux jeunes filles. J’ai préparé soigneusement tout le matériel nécessaire pour la traversée . Le zodiac était doté d’un moteur puissant que j’ai soigneusement et minutieusement inspecté, la Boussole, GPS, essence et autres outils de survie que je devais embarquer avec les « Harragas ».
- Où as-tu déniché le zodiac?
- Je l’ai acheté très cher mais malgré toutes les dépenses, j’ai fait un bénéfice de 30 millions de centimes en fin de compte.
Il enchaîna :
- « 7 jerricans d’essence de 20 litres ont été embarquées mais je n’ai utilisé que quatre pour atteindre les côtes espagnoles. »
CAP 330
C’était la direction vers un point précis sur la côte espagnole à partir d’un point précis de la cote Algérienne, connu par les passeurs et qui a permis des tentatives réussies. La traversée dura plusieurs heures avant que le long rivage de l’Espagne devienne visible. Malheureusement, les Espagnols et particulièrement les garde-côtes, ne dormaient pas au moment où notre passeur avec les autres « harragas » s’approchèrent des côtes. Ils ont été repérés par la « guardia » et une course-poursuite s’enclencha. Il fit descendre les passagers sur le rivage où ils ont été accueillis par les militaires, dira-t-il et il lança son zodiac à la vitesse maximale, il réussit à semer les garde-côtes avec son seul compagnon en accostant de l’autre coté d’une falaise où ils abandonnèrent, quelques instants plus tard, le zodiac et prennent la fuite sur une colline. Ils se dissimulèrent avec de l’herbe pour ne pas être repérés par l’hélicoptère de la police qui survolait déjà les lieux. Ils restèrent là pendant plus d’une journée.
La chance n’était, ce jour-là, pas de leur côté. Mal habillés et surtout portant des vêtements voyants, ils ont vite été repérés une deuxième fois par les vigiles du village espagnol qui alertèrent à leur tour la police locale. Ils ont été emmenés au centre de rétention le plus proche de Bogatos.
- C’était un centre rétention ou quoi ? et tes amis tu as eu vent d’eux ?
- Tout ce que je sais c’est qu’ils nous ont bien traités, nourris et nous ont même enseigné la langue espagnole pendant le séjour dans ce centre.
Il signale furtivement leur prise en charge dans ce centre (nourriture, habits, médecin etc..) et ne dit mot comment ils ont été libérés.
- Continue !
- Après quelques jours, j’ai téléphoné à mon père en l’informant que je suis actuellement en Espagne suite à la traversée périlleuse que j’ai effectué. Mon père n’était pas content du tout, il a pleuré à l’autre bout du téléphone car « tu as risqué ta vie » dit-il mais il fallait qu’il acceptât cela car que je n’avais aucun avenir dans le bled et surtout il s’agissait de ma dignité , j’ai fui la Hogra et le mépris tout en sachant que le risque était grand et traverser la méditerranée avec 19 personnes relevait du miracle. Parlant du boulot à Oran, ils m’ont viré du seul poste que j’occupais dans cette société. Et je ne peux pas t’expliquer quel stratagème ils ont manigancé pour me faire congédier , c’était vraiment de l’arbitraire et la Hogra
- Comment tu t’es retrouvé en France ?
- Ainsi , après avoir alerté mes parents en Algérie, je compris que mon père semblait mal à l’aise puisque j’étais un peu jeune (21 ans). Il s’est donc inquiété sur ma situation et m’a conseillé d’aller chez ma tante à Marseille. Je savais qu’il avait tout de suite contacté ma tante pour me recevoir. En lui téléphonant le lendemain, cette dernière me pria d’aller chez elle où je devais trouver tout (boulot, argent etc..). J’ai écouté les conseils de mon père et décidé d’aller chez eux mais au bout de 14 jours passés avec eux, un beau matin, je trouvais ma valise devant leur porte pour des raisons que j’ignore. Je me voyais un SDF à Marseille. J’ai beaucoup regretté ce geste de ma tante car il faut souligner ici , le comportement négatif de nos émigrés. En Algérie, ils vous assomment et amadouent avec un langage de bonté et de dignité mais en France, c’est un autre langage et un autre comportement diamétralement opposés à ceux qu’ils tiennent en Algérie.
- Tu as regretté ?
- Oui effectivement , alors que j’aurai dû rester en Espagne car je vivais aisément :Là-bas, ils m’ont enseigné leur langue et m’ont aidé tout le long de mon séjour de « sans papiers ». Ce n’est que suite à mon arrivée à Marseille que tout a basculé dans le mauvais sens.
- Pourquoi t’ont-ils viré de leur maison ?
- J’ignore complètement, ils avaient un fils de mon âge et j’ai senti qu’un conflit a germé à cause de ma présence chez eux. Alors j’avais pris ma valise et tenté alors une autre chance en allant à Paris où plusieurs amis qui résidaient déjà avec des papiers, m’ont assuré qu’ils me soutiendraient et m’aideraient financièrement au départ. A Paris, j’utilisais les papiers de mon ami lorsque je me déplaçais en ville et j’ai même décroché un petit boulot de livreur bien rémunéré, j’utilisais une scooter pour les livraisons , je n’avais aucun problème pendant presque deux ans .Car en France, si tu es un homme sans problèmes tu peux vivre et passer inaperçu le plus normalement possible.
- Alors pourquoi es-tu rentré ?
- Mais tout bascula dans le négatif, le jour où on m’informa par téléphone du décès de mon père à Oran, j’étais très ému et triste, j’ai pleuré et je voulais retourner au pays pour , ne serait-ce qu’assister à l’enterrement de mon père. Mais retourner en Algérie c’était l’échec de ma situation et surtout comment faire. Cela m’a poussé à revoir ma situation que je ne pouvais supporter , je ne pouvais rester sans papier indéfiniment. J’avais les mains liées comme ça. J’avais décidé de régler ma situation pour pouvoir retourner et circuler librement entre Oran et Paris. En essayant de m’informer sur les procédures de régularisation des sans-papiers, ils m’ont signifié que je devais entamer la procédure en Espagne où j’ai passé quelque temps et surtout pays hôte.Le désir de revoir ma famille était tellement intense et je n’avais aucun choix , j’ai décidé donc de retourner en Espagne et de là, je devais trouver un moyen pour régulariser ma situation et rentrer à Oran , sans grands problèmes.
- Donc tu as décidé de revoir ta situation en Espagne ?
- Oui ! et au cours du trajet tout près de la frontière à un barrage routinier , on nous a fait descendre, j’avais oublié de dissimuler mes vrais papiers restés dans le sacoche à la portée de quiconque. Le policier qui avait un « teint algérien » flaira mon cas et s’approcha de ma sacoche , l’ouvra et retira mes papiers sans visas et constata d’office que j’étais un « sans papier » en France.
- Comment ça , « teint Algérien » ?
- Oui , apparemment un fils de Harki qui semblait connaître beaucoup plus tous les vices des harragas car l’autre policier Français paraissait un peu gêné, il devinait exactement ce qui allait m’arriver par la suite, il hocha la tête et j’ai compris que si c’était lui, il aurai peut être « fermé les yeux » du moment que je quittais le sol français, m’apprêtant à pénétrer en Espagne. On m’emmena au poste de police.Et là, on me proposa deux choix.
– La prison ou centre de rétention ou
– Accepter de retourner en Algérie de mon propre gré.Voilà qui me réconforta, un retour sans problème au pays et revoir ma famille.
- Donc retour au bercail à Oran ?
- Donc le choix était tout indiqué, j’ai opté bien sûr pour le deuxième, d’autant que j’allais rentrer au pays le plus réglementairement possible . On m’enmena le lendemain à l’aéroport.
Encore une fois, il ne signale pas comment il a été accueilli par la PAF, il est rentré sans escorte et librement en Février 2011 et depuis il fait le clan à défaut de licence de taxi sur cette clio bleue.
- Une dernière question cher ami, comment vois-tu le pays maintenant que les vannes ont été ouvertes par le président Bouteflika.?
- Ecoutez Bouteflika a compris les jeunes qui n’aspirent qu’à une vie décente et qui n’ont pas de boulot. Je n’ai rien contre lui , c’est un bon président …
Drole de harraga..son histoire est trop lisse..et sa conclusion laisse songeur..il parle d’un bouteflika bon president alors que c’est ce dernier et sa clique qui a mis le pays dans l’état actuel et donc responsable de sa harga..j’ai pas tout compris à ce jeune homme..mais bon c’est aussi le reflet d’une partie des harragas..Sinon un dernier mot concernant les émigrés..ceux qu’ils dénoncent ce sont les derniers arrivés ou les bledards comme ils sont appelés en France..c’est a dire nés grandits et eduqués en Algerie..Venez les voir en France, catastrophique..je vous parle pas de sharragas qui disent fuire la hogra et qui se retrouvent voleurs, truands, dealers..ils donnent une image très mauvaise dont patissent les enfants d’immigrés…Bref, un article à lire avec des pincettes..
Cordialement.