En 1978, Kateb Yacine, le célèbre écrivain, fondateur de la littérature algérienne moderne auteur notamment de Nedjma, est désigné en qualité de Directeur du Théâtre de Sidi-Bel-Abbès. Cette «nomination-sanction», assimilée à une résidence surveillée, n’a pas eu l’effet escompté, bien au contraire. L’écrivain engagé profitera de cet exil qui ne dit pas son nom, pour développer un théâtre inédit, tellement simple mais fortement contestataire et engagé, dans une ville qui avait les dispositions pour. Sidi-Bel-Abbès, vivait en ses temps-là, sa faste période culturelle, marquée par la foultitude de groupes musicaux, et par son conservatoire. Kateb Yacine habitait à quelques encablures de la ville, à Ténira précisément où Amazigh son fils passera les quelques années de son enfance, dont il garde des souvenirs impérissables. Il y restera jusqu’en 83/84. Né le 16 septembre 1972, à Staoueli, Amazigh Kateb arrive en France en 1988 où il fonde le Groupe Gnawa Diffusion, en 1992.
Imprégné fortement par le Rai Bel-Abbésien et par son cachet particulier, il considère qu’il n’a jamais quitté le théâtre crée par son père. Kateb Yacine, s’acharnait à utiliser les mots les plus simples pour pouvoir être accessible le plus possible, or, la musique est un moyen plus fort pour transmettre la parole.
Ces principaux albums, « Marchez noir», “Bab El Oued Kingston», Shock El Hal» porte justement le cachet de ce théâtre de transmission d’engagement et de contestation.
En 2014, il enfile pour la toute première fois la veste du comédien en jouant Noureddine, le rôle principal, aux côtés de la belle et talentueuse Rachida Brakni, dans l’adaptation cinématographique du roman d’Arezki Mellal, «Maintenant ils peuvent venir.» Une sortie en salle est prévue prochainement. Questionné sur le signe d’un retour aux sources, Amazigh réfute : «Je ne les ai jamais quitté en fait, puisque enfant, j’étais déjà impressionné par les musiciens du théâtre de mon père. Je ne les quittais pas, j’apprenais leur texte»
Amazigh Kateb a profité de l’organisation de deux méga concerts par son Groupe Gnaoua Diffusion à Alger (le 20) et Oran (le 27 mars), pour réserver les deux soirées du 29 et 30 à Sidi-Bel-Abbès.
BAI a profité de cet évènement pour aller vers Amazigh et lui poser quelques questions. Tout comme son père, Amazigh à spontanément répondu à notre demande. Nous avons même décelé un certain bonheur qu’un organe de Sidi-Bel-Abbès – aussi modeste soit-il- le sollicite. Il n’a pas joué la star, il n’a pas été difficile dans la fixation du rendez-vous. Il a été tout simplement humble, amène et disponible. Appréciez :
BAI : Bonjour Amazigh, comment vas-tu ?
Amazigh Kateb : Bien merci et toi.
BAI : Bien. Alors, on peut commencer.
A.K. A ta disposition.
BAI : Amazigh, tu as rejoins Sidi-Bel-Abbès en 1978 pour ne la quitter qu’en 1983/84. Y reviens-tu souvent?
A.K. Non. Pas trop souvent, quoique je l’aurais fortement souhaité. J’y suis revenu trois ou quatre fois. La dernière remonte à deux ans.
BAI : La rumeur disait à l’époque que ton père refusait de t’inscrire à l’école, préférant t’enseigner lui-même.
A.K. Non, pas du tout. J’ai été à l’école à Tenira. J’y ai fait ma première année primaire à l’école « El malah » appelée ainsi pour sa vétusté et son eau saumâtre. Ma deuxième année je l’ai passée à l’école nouvellement construite au centre du village et tout de suite appelée «Licoul jdid» Bon, mon père m’avait inscrit pour des cours de soutien notamment pour l’arabe et les mathématiques, sans plus.
BAI : Comment passais-tu ton temps. Plutôt dans les jupons de maman ou auprès de papa? Beaucoup plus à Ténira qu’à SBA ?
A.K. En fait, ma mère n’était pas avec nous à Ténira, elle est restée à Alger. J’étais donc seul avec mon père. La journée, lui travaillait à Sidi-Bel-Abbès, moi j’étais à l’école, à Ténira.
BAI : Comment faisais-tu à midi pour le déjeuner ?
A.K. Je rentrais à la maison où il y avait une femme qui me préparait à manger. Cette femme qui était très démunie avait, si je me rappelle bien, deux filles. Nous voyant seuls, elle s’est proposée de nous aider en matière de ménage. Mon père voyant la situation du taudis où elle habitait lui proposa d’habiter avec nous. Depuis ce jour, elle était comme ma mère. Elle me préparait à manger à midi.
BAI : Tu as grandi dans un milieu strictement de culture, littérature et théâtre. Pourquoi alors la musique ? Ou alors ton dernier rôle récemment dans «Maintenant ils peuvent venir» d’Arezki MELLAL, serait-il un retour aux sources ?
A.K. Un retour non ; puisque je ne les ai jamais quittées. Quand j’étais enfant, j’aimais beaucoup la musique du théâtre. Il n’y avait pas de bande sonore. Les musiciens jouaient sur place. J’apprenais les chansons des pièces. Dans le théâtre de Yacine (son père NDLR) il y avait le ballet. Il n’y avait ni décors, ni lumières, juste les costumes. Il travaille dur pour trouver les mots les plus simples pour être accessibles. Il essaye de vulgariser au maximum. La musique fait également de même avec l’avantage de toucher plus de monde, car elle n’est pas confinée dans un théâtre. Tu sais, la musique n’est qu’une autre flèche à ajouter à l’arc des munitions. C’est pour cette raison que j’adore le Rai Bel-Abbesien. «Le Rai Trab» pur, sans artifices. Le Rai de Bel-Abbès est un vecteur de la parole de demain. J’en suis persuadé. Ce que n’a pas pu faire la musique engagé des années 70 et ne pourra jamais faire le Rai du littoral.
BAI : «Sachez messieurs les plumitifs que si j’ai quelque chose à dire, je ne me gène pas, j’avais un micro et plus de 70 000 spectateurs en face. Je vis dans le rapport de force, je n’en ai pas peur, contrairement à certains eunuques des rédactions à la botte.» C’est une phrase lancée rageusement contre la polémique qui a été sciemment montée lors de ton passage au Maroc, autour d’un prétendu refus de porter le drapeau marocain. Penses-tu que l’objectif était l’attaque contre l’amazighité, ou plutôt contre l’Algérie?
A.K. En fait, c’est une attaque contre tout le monde, mais surtout contre le refus de récupération. Cette affaire a été montée juste après que des Marocains venus en Algérie avec leur drapeau ont été empêchés de le brandir. Mais c’est plus tard que j’ai compris le véritable mobile. J’avais composé des paroles d’un poème dont l’auteur est Marocain qui a été torturé par le Mekhzen. Ce poème je l’avais appris du Théâtre. J’étais à la recherche du nom de l’auteur et je n’arrivais pas à mes fins. Je leur ai répondu par une vidéo, où je précise notamment que la Monarchie a énormément de moyens de faire déployer son drapeau pour attendre à ce que cela soit moi qui le fasse! Ensuite, il y eut un article où on m’accuse de plagiat. Et là, ils me donnent le nom du poète Marocain Abdallah EL OUADDEN. Je recherche et finalement, un de ses proches m’a remis l’ensemble de ses textes. Je leur réserve une belle surprise dans mon prochain album!
BAI : Revenons à la musique. Amazigh n’a-t-il pas un projet de rendre hommage à la musique de sa ville d’adoption. Par exemple, adapter une reprise de Zargui, des Amarnas, ou alors composer des paroles de Cheikh Naam, ou inclure la guitare de Attar? Ce serait un bel hommage à la ville que tu dis aimer, non ?
A.K. En fait, il y a beaucoup de choses à faire. Le Rai de Bel-Abbès n’est pas galvaudé. Il porte quelque chose de particulier. Il est dissident, contestataire, poussiéreux, mais jamais narcissique à la différence du Rai du Littoral. Le Rai de Sidi-Bel-Abbès à l’esprit rock. Déjà, dans la musique du groupe El Amarna, il y a de la contestation, du ras-le-bol. Dans les paroles de Cheikh Naam, également, alors que chez Zargui, la contestation est plus « hard».
Il faut garder cette sincérité du Rai Bel-abbésien. Il faut prendre son énergie et lui ajouter le plus nécessaire. Il consacre la Liberté en respectant le dictionnaire qui lui confère l’absence de limites. Or à l’école, on enseigne à nos enfants que la liberté s’arrête là où commence celle d’autrui. Ils veulent nous mettre en prison.Ce n’est pas normal. Quand quelqu’un habite dans une cité dortoir et qu’il entend tout ce qui se dit et se fait chez le voisin, il est scandaleux de venir lui enseigner que sa liberté s’arrête là ou commence celle d’autrui.
C’est pourquoi, je dis qu’il faut écouter et apprendre la langue. La musique est une langue. Il y a l’esprit de Bel-Abbès, son propre parler. Il faut que je me re-baigne. Que je vienne avec ma famille. Pourtant, il y a longtemps que je voulais le faire. Et je le ferais. Lorsqu’on m’a demandé de faire une musique pour le Film l’Oranais, j’ai fait du Rai Bel-Abbésien. Lors des soirées à Sidi-Bel-Abbès, Lotfi (ATTAR) sera invité sur scène.
BAI : «Ce n’est qu’un tchi-tchi de Grenoble» cette phrase a été lancée sur une chaine TV privée algérienne par BAAZIZ quand l’animateur l’interroge sur Amazigh KATEB ? Une réaction?
A.K. Ce n’est qu’un chanteur de publicité. Il est irrespectueux. Il se prend pour l’imam des artistes. Alors, no comment!
BAI : Tu as comparé Sidi-Bel-Abbès au Mississippi. Tu cibles l’État ou le Fleuve je n’ai pas compris cette comparaison?
A.K. : D’abord, je ne suis jamais allé au Mississippi. Quand je dis que Sidi-Bel-Abbès me rappelle le Mississippi, c’est par rapport à une image. Je vois un village presque désert, quelqu’un avec une guitare pas très neuve, jouer de la musique folk ou blues, et l’immensité de la plaine, cela me rappelle inévitablement Ténira. C’est cela l’image que j’ai. Tout est sincère. La musique, la nature…
BAI : Deux méga concerts à Alger le 20 et à Oran le 27. Le tournage d’un clip entre les deux. Cela ne t’empêche pas de programmer deux soirées (les 29 et 30) à Sidi-Bel-Abbès quel message doit-on y lire?
A.K. Oui. Deux : d’abord j’aime cette ville. J’aime son théâtre. J’ai la chance cette fois-ci d’y être avec l’ensemble de mon équipe. Tu sais les musiciens travaillent avec d’autres et il est très difficile de les regrouper, alors une fois que l’occasion se présente, il ne faut surtout pas la rater. Je serais très heureux de les avoir avec moi au théâtre. Le deuxième message, c’est pour dénoncer cette centralisation. Il n’y a qu’à Alger où l’on peut se distraire, avoir de la culture, du théâtre. Non, basta. Il faut aller à l’Algérie Profonde. J’ai discuté avec mes amis de Bel-Abbès pour organiser des spectacles sur une scène en plein air à Ténira. Ils ont pu déjà trouver la scène. Je prévois dans un proche futur de le faire et même organiser des mini festivals. Deux jours par village.
BAI : Si je te demande : un lieu, une personne, un évènement qui t’ont marqué à Sidi-Bel-Abbès.
A.K. : Beaucoup. Mais essentiellement La GRABA où j’allais avec mon père prendre une Hrira et boire de la musique. C’était le fief de la musique. J’étais dans la solitude de l’enfance, j’observais donc beaucoup. Cela me sert aujourd’hui Et El GRABA reste incontestablement le lieu qui m’a le plus marqué.
Yahia, le simple d’esprit de Ténira est le personnage qui m’a le plus marqué. Il avait deux caractéristiques. Il était bâti comme du roc ce qui lui permettait d’aider les gens qui avaient besoin de muscles, et s’évertuait à porter deux manteaux même en été. Un jour, avec l’innocence de l’enfance, je lui ai demandé pourquoi il était devenu fou. Il m’a répondu : «Je regardais chaque jour l’oisillon sur l’arbre. Lorsqu’il a grandi et prit son envol, ce jour là, je suis devenu fou.» Je n’ai jamais oublié ni ce moment, ni ce personnage.
Quant à l’évènement, c’est incontestablement au théâtre : Un jour il y avait la présentation de la pièce « Palestine trahie » je crois. Mon père avait prévu deux comédiens qui portaient les noms de scènes Mohamed et Moussa. Il y eut des critiques et les gens voulaient que mon père changent les noms, parce qu’on n’avait pas le droit de représenter les prophètes. Mon père répondit : «Mais où est-ce que vous voyez les prophètes? Il y a des tas de gens qui s’appellent Mohamed et Moussa et ceux ne sont pour autant des prophètes? » Rien n’y fit. Les gens étaient intransigeants. Alors ; mon Père dit : «Écoutez, je n’accepte aucun chantage. La pièce reste telle quelle. Celui qui n’est pas d’accord, n’a qu’à quitter la salle » La moitié de la salle se vide et le spectacle continue. J’ai vraiment aimé ce refus de chantage, de l’autocensure pour faire plaisir à quelqu’un.
BAI : Quelle est la première chose que tu feras une fois à Sidi-Bel-abbès.
A.K. : Voir mes amis, les gens du théâtre. Mes tontons et leurs enfants.
BAI: Mais le prix du billet est excessif pour les jeunes qui sont fans de Gnawa diffusion? Ne trouves-tu pas?
A.K. Si. Mais que puis-je? Les couts de production sont exorbitants. La sono dont ne dispose pas le théâtre de Sidi-Bel-abbès est ramenée de Constantine. Je t’assure que je ne gagne pas dans les spectacles de Sidi-Bel-Abbès. Et puis, il y a le prix des autres concerts d’Alger et d’Oran qui sont les mêmes. On ne peut donc fixer des prix plus bas, sous d’être accusés. Mais tout cela est du au fait que nous ayons un Ministère de la Culture qui veut faire de la Culture au lieu d’accompagner les gens de la Culture. C’est le rôle de ce département de nous accompagner pour pouvoir mettre la culture à la disposition des citoyens. Chez nous, au Ministère de la Culture, on veut être des artistes. C’est comme si au niveau du Ministère des Transports on veut être tous des chauffeurs.
BAI : Un dernier mot, Amazigh.
A.K.: Oui. Je suis pressé d’arriver. Vous m’avez demandé les choses qui m’ont marqué. Eh bien, les couleurs du printemps à Bel-Abbès m’ont vraiment marqué. J’adore! Il n’y a pas de couleur pastel. Les couleurs sont violentes. Le rouge est rouge, le marron est vraiment marron. J’ai hâte d’y être.
Et puis permet-moi de lancer un appel aux jeunes musiciens Bel-abbésiens qui souhaiteraient faire un passage en ouverture de la soirée du 29. Ils n’ont qu’à envoyer à ma page face book un enregistrement de son pour pouvoir être sélectionnés.
BAI : Merci beaucoup, Amazigh.
A.K. C’est moi qui vous remercie. Je vous attends le 29 et le 30