L’association «Espoir» pour la sauvegarde du patrimoine architectural et culturel à Sidi Bel Abbès, «Espace» par abréviation, qui ménage beaucoup d’efforts pour défendre un patrimoine en péril, composé d’anciens châteaux, manoirs et autres bâtisses à l’architecture unique qui tombent en ruines sous l’effet conjugué d’une indifférence révoltant et de modifications mutilantes durant de longues années
Chaque un de nous a sa part de responsabilité, il est dans la nécessité de mener une réflexion sur notre ville de quelque part, il me semble qu’il serait judicieux de commencer par la question, que penser de notre ville et comment l’observer ? Une question comme celle-ci suppose que nous avons besoin d’un cas pour constater, et le meilleur cas qui se présente à nous est celui de Sidi Bél-Abbès. En ce sens, si j’ai souvent qualifié notre ville d’exceptionnelle, cette qualification ne vient pas cependant de moi. Je la reprends de nos notables, sont nombreux de notre génération qui ne les connaissent pas ou qui les ont tout simplement oublié. Pour ce qui me concerne, les ayant connu à travers mes sources personnelle, je dirai avec un peu d’audace que Hadj Djelloul Talha compte parmi les notables qui sont les serviteurs d’une mémoire urbaine et architecturale qu’ils ont tentée de sauver comme ils peuvent, avec les moyens de bord et sans avoir froid aux yeux. Ceci étant dit, il est regrettable de constater que nous n’ayons pas, comme eux, la plume prolifique, afin de conter par nous-mêmes notre ville. Que la témérité de dire, de dénoncer, de raconter soit en nous une vocation refoulée. Car, une ville a besoin d’être exposée, portée par des verbes simples, investie, inventée et réinventée par des pensées et des actes sincères, qui mettent le moins possible en péril ce côté vrai de son histoire, l’histoire de tous et de chacun. L’histoire est à une ville ce que l’âme est au corps. Chaque rue, chaque arbre, chaque pierre, chaque pavé est une histoire, un témoignage précieux, l’indice d’une mémoire, qu’il faut savoir manier, bouger, toucher, et ausculter avec beaucoup d’amour et de douceur. Oui, une ville n’est rien sans histoire. Cette dernière nous aide à valoriser les espaces négligés, quand même la spéculation est coriace, féroce et vorace.
Une simple réhabilitation du patrimoine architectural et un coup de peinture ne règle pas les conflits de mémoire et le souci de conserver. Un mur noirci, tagué, délabré mais entretenu, est aussi vivant que des barres métalliques qui transforment nos immeubles de pierres en prison. Peindre une pierre est un crime. L’autre forme de crime est de fermer des édifices aussi monumentaux que l’anciens châteaux au grand public.Le potentiel de notre ville est là. Cependant, la gestion sincère, engagée et honnête ne suit pas. A notre grand dam, nous constatons qu’au moment même où le monde développé tente de réussir ses retrouvailles avec des valeurs sûres, d’encourager l’insertion de la verdure, ménager le patrimoine de la ruine, nous continuons encore à faire, avec beaucoup de maladresse, des rues à la manière de celui qui découvre les possibilités de leur faisabilité pour la première fois, des boulevards ratés, et à fabriquer des universités isolées du milieu urbain, comme si le savoir n’avait pas à avoir lieu dans la ville.
Cette même ville, qui souffre de l’absence injurieuse de la culture, doit aussi supporter sa privation du savoir et de leurs lieux de production.Une politique qui perdure depuis l’indépendance et qui recrée malgré les moyens misent à la disposition de la wilaya, aujourd’hui, le spectacle de la ville malade. Manque d’entretien, projets médiocres, irrespect du caractère propre des sites historiques, infrastructures importantes en déphasage avec les réalités économiques et sociales (cet élément nous rappelle le décalage entre la forte dégradation de la ville ancienne du dix-neuvième siècle et l’essor industriel que cette même ville connaissait). Toutefois, Sidi Bél-Abbès n’est pas que désordre, elle continue à se faire de façon très désordonnée. Les chantiers, qui parsèment l’environnement urbain de toute part, renforcent le caractère inachevé et émietté de notre ville.
En ce sens, nous sommes les grands partisans de la contradiction.Tandis que Monsieur le Wali de la wilaya de Sidi Bél-Abbès appelle à la pratique du développement durable, les projets en cours nuisent de façon grave à l’environnement. Mais que peut faire le Wali, en l’absence d’hommes amoureux de la culture, du patrimoine et de la ville, sans lesquels notre ville est condamnée « à languir », pour ne reprendre que quelques propos de nos ancêtres au cours du dix-neuvième siècle ? Et que l’on ne me dise pas que nos ancêtres sont des criminels qu’ils ne faut pas citer, car ce qui m’intéresse, chez ces hommes, est leurs rôles d’urbanistes.
L’urbanisme et l’architecture de notre ville, ont servi pendant l’occupation à écarter les architectes créateurs et les urbanistes engagés, en vue d’installer une politique autoritaire qui gère par la gestion administrative la ville, et ne s’occuper donc par là que de ce qui est prioritaire. Et c’est cette politique là que nous perpétuons, depuis l’indépendance, par l’exclusion de la dimension paysagiste, et dans un cadre d’anonymat total, puisque nous n’aimons pas désigner les responsabilités, à la manière des anciens colons. A dire, qu’entre l’occupation et l’indépendance, nous n’avons pas évolué, et qu’il y a des suites, disons, dans la pratique d’une certaine forme d’urbanisme, qui restent à ce jour inexplorées et proie d’une grande incompréhension. Nous sommes passés d’une certaine manière de la stratégie des délais politico-administratifs, lesquels avaient pour intention d’améliorer les conditions de vie par l’importation du modèle industriel de l’habitat, à la logique de l’autoritarisme politique qui se fait hermétique au désir de contribution des acteurs extra-administratifs qui ne partagent pas les choix des responsables locaux. Ce qui nous semble être certain, c’est que l’échec de la stratégie politico-administrative de l’indépendance, en matière d’urbanisme, vu l’état dans lequel nos villes sont, est incontestable. Parce que, d’une part, elle s’inscrit dans la logique d’un contexte qui n’est pas sien, du fait qu’elle prolonge les pratiques anciennes et d’autre part, parce qu’elles n’ont jamais été suffisamment regardantes sur les demandes des populations citadines et leur état moral.
Kamal Hadri