La seule condition pour être embauché consiste à accepter le partage du salaire avec celui qui nous donne ce job, pour le reste, «l’employeur» s’en occupe.
On est assis dans un quartier des hauteurs de la capitale avec un groupe de jeunes. Soudain, Soso, un de leurs amis vient les rejoindre tout sourire. Il a une bonne nouvelle à leur annoncer: il leur a trouvé du boulot, enfin…presque! «J’ai un oncle qui est élu à la mairie. La commune a bénéficié d’une grosse enveloppe de la part d’un fonds international pour sauver l’environnement. On doit entre autres recruter neuf agents de nettoyage des ruelles», raconte-t-il à ses jeunes amis chômeurs, mais «vexés» qu’on leur propose un poste de balayeur.
Mais Soso fait vite de les rassurer: «En fait vous allez être payés sans avoir besoin de travailler!». C’est l’étonnement général. Il est où le piège? «C’est juste que vous allez recevoir la moitié du salaire. C’est simple, mon oncle va ramener trois vrais employés qui travailleront et qu’il payera normalement. Vous, vous ne vous rendrez à la mairie que pour encaisser votre salaire, que vous partagez avec mon oncle. Voilà le deal…», explique-t-il devant des jeunes complètement conquis par l’idée. «Et ce n’est pas risqué?», osent-ils quand même demander. «Non, ne vous inquiétez pas. Il faut juste que vous soyez discrets en n’en parlant à personne. Après pour le reste, il n’y a rien à craindre. Mon oncle m’a dit qu’à la mairie, ils faisaient déjà ce genre de pratique avec l’emploi jeune, et ce depuis des années», réplique-t-il pour rassurer ses amis qui acceptent vite la belle proposition. «Ce sont 10 000 dinars par mois qui tombent du ciel sans avoir besoin de travailler», se réjouissent-ils en ne sachant pas qu’ils sont en train de participer à un véritable crime contre le pays, mais aussi contre leur propre avenir. C’est le grand drame des petits emplois fictifs!
Avant cette rencontre fortuite avec ces jeunes, on entendait parler de ce genre de pratique, mais on ne soupçonnait pas l’ampleur des choses. En creusant juste un peu, mais vraiment juste un peu, on a pu découvrir qu’il était plus facile d’avoir un poste de travail fictif qu’un vrai emploi, particulièrement dans les petites communes du pays. On a par exemple réussi à se faire «recruter» dans une petite commune de la wilaya de Aïn Témouchant en tant qu’agent communal.
Plus facile d’avoir un poste fictif qu’un vrai emploi
On a eu aussi une offre d’emploi du même genre à Skikda. Or, on ne réside pas dans ces communes donc normalement au départ on n’ouvre pas droit à un poste du genre là-bas. Mais comme on connaît quelqu’un qui connaît un maire, un élu ou juste un employé de la commune qui est dans ce genre de combines, tout est facile pour nous. D’ailleurs, un ami d’une ville de l’est du pays s’est vanté d’avoir fait recruter fictivement une dizaine de ses amis dans différents domaines en passant de l’agent de sécurité à l’agent de nettoyage. «Mais ils n’ont jamais levé une pelle de leur vie…», nous avait-il assuré fièrement. Il ne nous a pas trouvé directement d’emploi, vu que nous a-t-il dit, pour le moment tout les postes disponibles ont été «attribués». Néanmoins, il nous a demandé d’être un peu patients et il nous fera vite embaucher! Dans tous ces postes, la condition est la même: accepter de partager le salaire avec celui qui nous donne ce job. Le pourcentage varie d’un endroit à l’autre et selon le nombre d’intermédiaires, mais c’est généralement du 50-50. Pour ce qui est du reste, c’est l’employeur qui s’en occupe. Vous le verrez juste les jours de paie, c’est également le seul jour où vous vous rendrez au travail…Il est difficile de connaître le nombre de ces emplois qui ne sont pas seulement l’apanage des collectivités locales, mais aussi de certaines entreprises et institutions publiques, néanmoins, selon les «spécialistes», ils sont l’un des moyens les plus faciles pour détourner l’argent des collectivités. C’est même le b.a.-ba du bon voleur…Ils sont les plus faciles à mettre en oeuvre et les plus difficiles à être détectés. On ne découvre le pot aux roses que quand un gros scandale éclate. Ils sont la dernière maille de ce scandale. Comme par exemple, ce que nous apprend le journal arabophone Ennahar dans son édition d’hier. Celle-ci parle du maire d’une grande commune de la banlieue Ouest d’Alger qui aurait «abusé» de ce stratagème pour se remplir les poches. La même source révèle que les services de sécurité enquêtent sur 2210 contrats de travail suspects. Ce serait des contrats à temps plein et à mi-temps avec des employés que l’on n’aurait jamais aperçu sur leur lieu de travail. L’un d’eux serait même en prison mais continuerait à toucher son argent. Ce qui a mis la puce à l’oreille des enquêteurs est le fait qu’une petite école primaire se retrouve avec 14 gardiens, et une autre avec 41 employés d’entretien!
Des affaires ont déjà éclaté en attendant d’autres…
On se souvient aussi de l’affaire des 300 éboueurs d’Oran en 2013. Des communes recrutent des éboueurs pour occuper des postes administratifs. Une pratique illégale mais pratiquée au vu et au su de tous dans la wilaya du fait du manque de postes budgétaires. C’est certes différent, mais cela montre la facilité avec laquelle on peut créer ce genre de postes. A Constantine, en début d’année, les services de sécurité avaient ouvert une enquête relative aux emplois fictifs et contrats de travail non honorés au niveau d’au moins deux communes sur les 12 que compte la wilaya. Sur demande du wali, les enquêteurs ont commencé à éplucher les listes des travailleurs enregistrés au niveau des communes, dont celle du chef-lieu et constateront un nombre considérable de contrats de travail élaborés au nom d’étudiants, de fils de hauts responsables et de personnes extra wilaya qui perçoivent régulièrement leurs salaires sans toutefois se présenter à leurs postes de travail. Le chef de l’exécutif a ordonné l’assainissement des listes des travailleurs au niveau de toutes les communes instruisant ainsi les responsables des ressources humaines à lui communiquer les listes effectives et ce, dans les plus brefs délais. A titre d’exemple, ils avaient découvert que la commune de Constantine qui compte sur papier près de 4000 employés, n’en emploie en réalité que 1500. Un fait très grave, quand on connaît la crise dans laquelle est plongé le pays, quand on sait qu’il y a des millions d’Algériens qui ne trouvent pas comment gagner leur croûte. On se demande alors pourquoi autant de dysfonctionnements dans le pays en général et dans nos collectivités en particulier. Le wali de Constantine a eu le courage d’ouvrir le dossier. Mais combien d’autres cas similaires existent-ils dans les autres wilayas? Les emplois fictifs, un autre scandale qui «pompe» l’Algérie…
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