Ces derniers jours la France ressemble à la ville frontalière de Maghnia du temps ou les frontières avec le Maroc étaient une vraie passoire, où il suffisait de payer pour faire passer drogues, armes et êtres humains, ou les tranchées n’étaient pas creusées profondément, ou le carburant était rare et l’argent coulait à flot, ou rien n’était normal.
En ce temps-là il était impossible de s’approvisionner en carburant à maghnia. Non que les stations d’essence n’étaient pas fournies, mais parce que sitôt alimentées, sitôt elles étaient vidées par les trafiquants de tout genre qui avaient pignon sur rue et qui y faisaient la loi.
Les étrangers à la ville qui étaient de passage étaient étonnés de n’y voir que des sauvages. Dans les stations d’essence il y avait toujours une très forte présence de jeunes et de moins jeunes, effrontés, devenus par la force des choses très violents, au volant comme dans la vie courante. Pour faire le plein des réservoirs gonflés et des jerricans multiples, ils étaient capables de tout, y compris de corrompre gérants, pompistes et gendarmes, y compris de commettre des crimes.
En raison de ce trafique illicite qui avait créé une crise durable de carburant, toute la région était en permanence sous tension; stressée, nerveuse, inflammable, toujours prête au pire. Les longues heures d’attente, les coups de poing et les coups de couteaux étaient un lot quotidien et l’ensauvagement qui avait contaminé une grande partie de la population était devenu presque naturel chez la majorité des gens.
C’est, me semble-t-il, ce qui ce passe aujourd’hui en France à la suite de quelques jours de pénurie de carburant. Il a suffit de peu pour que s’amorce le même processus d’ensauvagement chez ce peuple jusque là délicat, cultivé et raffiné. On s’énerve en France comme jadis à Maghnia, on s’y organise en bandes de trafiquants, on tente de s’approvisionner par la force, on n’hésite devant rien, on fait fi de la loi, on donne des coups de poing et des coup de couteau, et on jure et on râle tout le temps.
Ce n’est plus la douce France que chantait Charles Trenet avec nostalgie. C’est désormais la France des crises en cascade. C’est la France décadente. C’est la France en perte de vitesse et de valeurs. C’est la France qui peut facilement devenir aussi sauvage que les sauvages qu’elle voyait partout sauf chez elle, il suffit pour cela que la crise actuelle dure six mois.
S’il y’a une leçon à tirer des évènements qui se passent actuellement en Europe c’est bien celle-là : la bonne morale, la délicatesse des mœurs, le respect et la civilité sont un luxe que seuls permettent la vie facile et l’aisance matérielle. En revanche, les temps durs, les crises, les peurs de l’avenir mettent à l’œuvre l’instinct de survie, corrompent la nature humaine, exacerbent les égoïsmes, font de la cité une jungle…ensauvagent. À Maghnia, comme à Paris ou à New-York.
Eric Zemmour et l’extrême droite française et une partie de la droite, croient à leur supériorité et que l’ensauvagement est une question de races. Non, ils se trempent lourdement et ce que vit leur pays détruit leur croyance. L’ensauvagement comme la barbarie sont question de circonstances. Rien n’est acquis pour toujours, rien n’est inscrit sur le marbre de la République. Les sociétés les plus policées peuvent vite chavirer et devenir les plus sauvages. l’Allemagne n’était-elle pas la société la plus cultivée, la plus humaine avant que subitement elle devienne durant la fin des années trente la société la plus barbare qu’à connu le monde?