Il semble que les deux mots: voir et plus, accolés à la fin d’un paragraphe dans une publication sur les réseaux sociaux, ont un effet répulsif, qu’ils coupent l’envie d’aller plus loin dans la lecture et font automatiquement glisser le pousse sur la face tactile de l’appareil que l’on tient en main, pour fair disparaître dans le néant du haut de l’écran la longueur « ennuyeuse » d’un texte que l’on rejette à priori, sans connaître la richesse qu’il pourrait contenir.
Cet « automatisme » de rejet des publications qui dépassent quelques lignes est plus frappant chez le plus jeunes d’entre nous. Ceux que Michel Serres nommait « les petits poucets et les petites poucettes » ou « les indigènes du numérique »; cette génération d’humains mutants, nés avec l’intelligence artificielle, l’internet à haut débit, les téléphones intelligents et les Big data, qui utilise avec art et dextérité les deux pouces, reléguant les autres doigts des mains à un simple support de l’appareil magique qui absorbe les yeux, les esprits et les cœurs et qui nourrit comme nourrissent les McDonald’s ou les Burger King; c’est a dire rapidement, trop richement, et très mal quand on en abuse.
Noyés dans un océan d’informations et de données, nos enfants n’ont plus de temps à accorder aux pavés. Les « vieux » Tolstoï, Proust, et autres auteurs qui aimaient étaler leurs sagas et qui meublaient le vide et le temps long de leurs parents, ne trouvent plus grâce à leurs yeux. Pressés virtuellement dans leur immobilité réelle, tout pour eux doit être rapide. Donc bref. Donc superficiel.
Peut-on « redresser ce tort »? Peut-on lutter contre l’air du temps? Peut-on aller à rebours du progrès? Ou doit-on, nous les-déjà-ex, nous adapter à ces enfants pressés et légers faute de pouvoir les ramener à notre raison à nous ? Doit-on faire toujours court. Synthétiser toujours. Chercher pour eux dans les abysses de nos océans les meilleures perles à leurs offrir, puisqu’ils n’ont plus la passion de l’ivresse des profondeurs ni le souffle des plongées en apnée dans l’insondable monde de la connaissance, des belles lettres et des grandes idées?
Michel Serres, philosophe et pédagogue, savait, dans sa grande vieillesse, traiter avec les jeunes. Il se demandait comment faire pour cohabiter avec eux, pour le peu de temps qui lui restait à vivre, dans un monde qui est désormais le leur, comment les intéresser, comment leur enseigner ce qu’ils ont déjà entre les mains, à porter d’une clique, comment rendre attractifs ses cours et sa façon déjà archaïque de voir le monde, comment leur réapprendre à apprendre, à chercher la profonde connaissance au lieu de se contenter de la simple information ?
Ces questions là, essentielles, existentielles, devraient être aussi les nôtres chaque fois que l’on parle, que l’on écrive et que l’on s’adresse à ces enfants du temps présent et à venir, sinon ils nous trouveraient vieux jeu, ennuyeux, pas aussi intéressants que leurs smartphones.