À propos des caricatures de « Charlie Hebdo »

Le Docteur Ahmed BENAOUM chercheur résident, a bien voulu contribuer au sein de Bel-Abbès.info. Malheureusement, la charge de travail ne lui a permis de s’exprimer de manière régulière. Profitant d’un laps de temps, il nous a aimablement transmis cette contribution qui demeure d’actualité.

Nous vous livrons ci-après la contribution du Dr A. BENAOUM illustre anthropologue, fils de Sidi-Bel-Abbès qui reste attaché à sa ville. Nous l’en remercions vivement et lui souhaitons la bienvenue dans la famille de Bel-Abbès.info.

Djillali.C

Dès le début de cette affaire, le doute était installé sur le nom de l’auteur de la vidéo intitulée « L’innocence des musulmans ». Les acteurs du film, manipulés eux aussi, s’étaient exprimés pour dire leur colère d’avoir été trompés. Cependant les manipulations aux premier, second, troisième degré, etc., existent bel et bien chez les soutiens de la diplomatie internationale et dans les arcanes des querelles entre majorités et oppositions dans les régimes dits démocratiques, ou encore dans les dictatures ou l’assassinat politique est un moyen de gouvernement.

Ce qui m’intéresse dans ce bruit et cette fureur autour du « film », ce sont les effets immédiats, ce qui s’affiche, se parle, s’écrit, s’expose À PARTIR de la rumeur, du fait gonflé, manipulé, transformé et massivement et mondialement diffusé. Notamment les « caricatures de « Charlie Hebdo », dont ce n’est pas le premier coup opportuniste (caricatures danoises), pour vendre beaucoup de papier, en exploitant la crédulité d’un lectorat « beauf », à l’affut de sensations fortes et qui aime se faire peur à moindre frais

Tout le monde savait qu’une petite vidéo islamophobe circulait sur le net depuis le mois de juin 2012. Il reste évident qu’on ne saura jamais qui a fait le doublage en arabe en transformant des dialogues “bidonnés” en brûlot insultant le prophète des musulmans, et qui a choisi le moment exact de l’incendie du consulat américain de Benghazi, qui a été le déclencheur de la fureur mondiale. Le problème est pour moi l’incroyable agitation — qui continue tout en s’atténuant — autour de l’exploitation médiatico politique éhontée des effets de cette supercherie car, en dehors des quatorze minutes sur le net, le film n’existe pas, puisque personne ne l’a visionné. Chaque partie (et chaque parti) s’est saisi de l’affaire pour régler des comptes, avancer des pions, marquer des points, déstabiliser l’adversaire, vendre du papier, des images, du sang, provoquer des réactions de nettoyage (Benghazi où l’ambassadeur n’a pas été tué, mais est mort étouffé par les fumées toxiques dans l’incendie).

Comme d’habitude, se produisent des effets “collatéraux” contrôlables ou non, car souvent inattendus. Ces effets ont été complètement maîtrisés par les “services” au Pakistan, au Liban, en Égypte, en Tunisie et au Maroc. Le cas de l’Algérie est un cas d’école : l’impression forte est que, DANS LA CONJONCTURE ACTUELLE, personne  n’a pas intérêt à pousser les fanatiques à bouger, même si la société est en train de sortir rapidement des séquelles de la guerre civile et ne tolère plus les excès de l’agitation religieuse mise au service de la politique.

Ce qui me révolte, c’est cette exploitation éhontée des craintes légitimes des sociétés dites occidentales de la violence religieuse dite « salafiste ». Cependant, encore une fois, ce sont des centaines de millions de musulmans —— qui sont discriminés, insultés et stigmatisés, et qui ne sont concernés en rien par ce bruit et cette fureur médiatico politique à l’échelle du monde. Et ces centaines de millions sont des masses pauvres, et le plus d’êtres humains, souvent extrêmement pauvres du Sahel africain, du Bangladesh, du Pakistan et de l’Inde (300 millions de pauvres hères, affamés, isolés, souvent massacrés, alors que ces deux puissances sont d’ordre nucléaire), de l’Asie centrale, de Thaïlande de Birmanie ( où ils sont quotidiennement génocidés, pendant que le prix Nobel de la paix se tait ! )

Le fumier “Charb” de Charlie Hebdo a-t-il conscience de l’effet de ses dessins vulgaires et grossiers sur ces gens ? Sait-il qu’ils existent ? Que n’insulte-t-il les roitelets du Golfe qui font construire des tours de un kilomètre de haut, quasi inhabitées, une station de ski dans le désert et d’autres aberrations économiques, qui ont pris en otage la Mecque propriété de tous les musulmans de la planète, et qui interdisent aux femmes de conduire des automobiles !

Je ne défends ni la religion en soi (elle n’en a pas besoin), ni les « clergés » professionnels, car j’ai constaté depuis longtemps que le pouvoir, quels que soient ses lieux d’exercice et ses expressions multiples, se sert des systèmes symboliques pour se légitimer ou pour délégitimer des pouvoirs concurrents. Je défends les musulmans paisibles victimes de leurs dictateurs et de leurs roitelets, appauvris et insultés dans leur transcendance et pour lesquels la religion est leur dernier refuge, lorsque tout leur a été enlevé ; Voici ce qu’écrivait le jeune Marx en 1844 — et comme lui, « je ne suis pas marxiste » : « Mais l’homme ce n’est pas une essence abstraite qui reste assise dans son coin hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience renversée du monde, parce qu’ils sont un monde renversé. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son « point d’honneur » spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément cérémoniel, sa raison universelle de consolation et de justification. » Et encore : «  (…) La misère religieuse est à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre cette misère réelle. LA RELIGION EST LE SOUPIR DE LA CRÉATURE OPPRIMÉE, L’ÂME SENSIBLE D’UN MONDE INSENSIBLE, COMME ELLE EST L’ESPRIT DE SITUATIONS SANS ESPRIT” in “Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel” Annales franco-allemandes, Paris, 1844. ( C’est moi qui souligne).

Marx termine le paragraphe par cette phrase infiniment incomprise et au sens torsadé par les croyants et les non croyants : “La religion est l’opium du peuple”. Ce n’est pas ici le lieu de se livrer à une herméneutique de cette affirmation, sauf à dire que cet opium-là, en même temps qu’il calme la douleur quotidienne de la misère du monde, empêche le saut dans la violence insurrectionnelle. C’est le rôle des rituels, du dogme, des liturgies et de l’adoration du Dieu qui donne sens aux sociétés à être ensemble. Oui, l’islam est innocent de ce que peuvent ou ne peuvent pas faire les politiques, lorsqu’ils l’instrumentalisent pour s’auto sacraliser. Il reste à expliquer comment, lorsque les volutes des « fumées opiacées » se dissipent, les sociétés musulmanes surgissent dans leur histoire “au nom de Dieu” et entrent dans les guerres civiles provoquées par l’amour du trône terrestre au nom du trône céleste. On sait, maintenant, de savoir certain ce qu’ont vécu les Algériennes et les Algériens, et l’expérience et l’impérience qu’elles et ils en ont. Salam !