La carrière politique de Abdelaziz Belkhadem semble être à l’agonie. Sorti de son village d’Aflou par feu Boumediène qui l’avait remarqué pour son bagout, pour occuper de hautes responsabilités, l’ancien instituteur, dans sa chute, subit des coups de toutes parts. L’homme politique est pugnace et encaisse en faisant preuve de beaucoup de résistance. Il donne l’impression, en convoquant les urnes, de vouloir jouer sa dernière carte.
Dans quelques jours son sort sera scellé, à l’occasion de la session ordinaire du comité central prévue la fin du mois courant. L’opposition s’attelle à préparer sa succession et on peut dire qu’on se bouscule au portillon. Plusieurs noms circulent comme ceux de Saïdani, Bouhara, Khoudri, Boumehdi et d’autres qui se voient prendre les rênes du parti, chacun représentant un courant ou un mouvement défini. Aujourd’hui, Belkhadem crie à la trahison, sachant pourtant parfaitement qu’en politique ce ne sont pas les amitiés qui priment mais plutôt les intérêts. Tant qu’il avait la couverture du président Bouteflika, il était à l’abri. Mais le vent a, semble-t- il, tourné en sa défaveur. Ses opposants des trois générations lui reprochent une litanie d’erreurs monumentales ayant conduit le parti au blocage. Belkhadem aurait fait trop de confidences à ceux qu’il croyait ses proches qui ont fini par sortir le secret de l’alcôve. En se découvrant, il s’est trahi lui-même. Ses ambitions l’ont dépassé lui qui se voyait déjà dans le fauteuil du président alors qu’on lui avait juste demandé d’être un exécutant. Il a suffi d’une phrase ambiguë, à double sens, sur ses prétentions pour qu’il soit lâché sans ménagement. Et aujourd’hui, il a beau invoquer «la nécessité d’un quatrième mandat pour le chef de l’Etat, son vœu de repentance ne plaide pas en sa faveur. Ne dit-on pas que la vanité est le plus grand des péchés ? Ses adversaires, après la démission d’Ahmed Ouyahia, avaient espéré qu’il en fasse autant en quittant le navire sans faire de vagues. Mais lui s’est obstiné à croire en sa bonne étoile qui l’a accompagné jusque-là. Il faut reconnaître à l’homme sa détermination à ne pas lâcher prise facilement mais qui le situe dans une mauvaise posture. C’est sa dernière bataille sauf qu’il ne s’est pas prémuni après avoir fait trop de concessions au nom du parti. Quelle est sa stratégie ? Selon les observateurs qui ont suivi la saga du FLN, Belkhadem, en décidant d’opter pour les urnes, table sur les divergences au sein des mouvements qui lui sont hostiles car ces derniers, qu’il taxe «d’opportunistes qui lorgnent sur son poste et qui n’ont cure du parti et de ses valeurs», n’ont pas encore trouvé le candidat consensuel pour le remplacer. Il est fort de sa conviction que les membres du comité central ne sont pas encore parvenus à récolter les 2/3 nécessaires à son éviction, en dépit de la pétition dûment signée par ses pourfendeurs, siégeant au sein de la structure et le communiqué de «désobéissance» de ses ministres, également membres du bureau, sans oublier une partie des parlementaires dont il a lui-même dressé la liste aux dernières législatives. De leur côté, ses opposants redoublent d’acharnement pour le destituer mais, trop de candidats aspirent à prendre la tête du parti. Selon nos sources, «l’opposition est plutôt en déroute et jusqu’à présent, des noms circulent mais ils sont loin de faire l’unanimité. Certaines personnalités ont proposé après le retrait de confiance d’instaurer un directoire qui regrouperait l’ensemble des tendances en faisant une synthèse du courant des révolutionnaires et les deux générations post-indépendance ».
Les péchés capitaux de Belkhadem
A faire le récapitulatif de la crise au FLN, on constate que Belkhadem a commis d’énormes erreurs. Il n’a pas su s’entourer des bons conseillers et tout au long de son parcours, il a généré trop de frustrations au sein de ceux qui l’ont porté au pinacle. En outre, si le pouvoir est euphorique, il faut s’en méfier. Il a rendu aveugle Belkhadem, selon ses exalliés, qui a «voulu s’éterniser en étant le maître absolu». Sans doute a-t-il pris exemple sur son mentor, le président Bouteflika. Il voulait le poste de président du Sénat dévolu à Bensalah (ce dernier y a effectué plusieurs mandats pour on ne sait quelle raison). Il fantasmait depuis des lustres sur ce poste pour devenir le deuxième homme de l’Etat. Une porte dérobée vers la magistrature suprême en cas de crise au sommet. Et voilà que le statut de SG du FLN, le plus prestigieux des titres politiques dans le pays, lui file entre les doigts, lui qui a mis tant d’énergie à s’y maintenir «au prix de trahisons, de coups bas et de procédés machiavéliques», selon ses pourfendeurs, qui lui reprochent une quantité astronomique de fautes. Le premier péché politique qu’il a commis est d’avoir procédé à une purge au lendemain de la disgrâce de Ali Benflis, qu’une justice aux ordres a cautionnée à travers un jugement pris de nuit. La purge a continué en touchant des compétences qu’il aurait gagné à garder. Son deuxième péché est de s’être entouré d’opportunistes et d’intrus en les plaçant en haut de la pyramide du parti. Son troisième péché est d’ordre organique. Il a consacré le retour des anciennes structures tels le bureau politique et le comité central en introduisant dans le premier des ministres originaires de l’Ouest alors qu’il aurait été préférable de mettre des cadres sans mission dans l’Exécutif, créant ainsi un conflit d’intérêts (on l’a vu récemment avec les réformes politiques et la loi sur les hydrocarbures ne laissant aucune marge de manœuvre au parti d’exprimer ses réserves). Le bureau politique (à l’image de l’exécutif) consacre le régionalisme, dans une formation nationale, au lieu d’un équilibre dans lequel toutes les sensibilités auraient dû être représentées. D’aucuns disaient que le conseil national et la commission suprême issus du congrès réconciliateur contenaient tous les courants et absorbaient les contestations, étant un espace de concertation et de débats. Les AG des structures de base ont cessé de fonctionner et leurs chefs sont désormais désignés et non plus élus. Belkhadem aurait pu éviter le vent de redressement qui l’a essoufflé en préservant un tant soit peu une démocratie participative qui régnait auparavant. Quatrième péché, et pas des moindres, est celui d’avoir rejeté l’idée, pourtant retenue, en préambule des textes du 9e congrès, d’un comité des sages pour les «révolutionnaires » comme Salah Goudjil et Abdelkrim Abada en les écartant de manière avilissante alors qu’ils l’ont aidé dans son entreprise de réconcilier les frères ennemis, comptant eux-mêmes parmi les légalistes, il a sous-estimé leur capacité de «mobilisation » et n’a pas compris que ces derniers étaient garants de sa longévité à la tête du parti. Ce n’est pas fortuit, s’ils sont devenus ses plus farouches adversaires et chefs de file des mouvements contestataires. Son autre erreur réside dans son incapacité à user de pragmatisme quand il s’est agi de gérer le parti et d’écouter la voix de la sagesse et du bon sens. Si son parti a perdu du terrain et n’a eu que la présidence de 380 APC, c’est parce qu’il a cautionné des textes (le code électoral) dont le contenu ouvrait la voie à des interprétations multiples tant le flou les entourait. Et pourtant, ledit code avait été vivement contesté par les P/APC et les P/APW FLN. Quant à la loi sur les hydrocarbures, les députés FLN y ont bel et bien introduit des amendements, notamment sur la question du gaz de schiste qui présente, selon les voix discordantes, autant d’experts que de juristes, une menace pour les générations futures. Belkhadem en donnant instruction à ses députés de les retirer et de voter la loi à mains levées, a laissé une tare dans l’histoire du FLN qui est pourtant d’essence nationaliste. C’est, entre autres, à la suite de ces amendements que les ministres ont franchi le pas en lui manifestant leur «désobéissance». C’était un prétexte pour le désavouer car ces derniers, selon nos informations, étaient déjà dans les tranchées des mécontents sans oser le déclarer publiquement. Sans doute, attendaient-ils «un signal fort d’en haut ?» Cependant, la plus grande erreur, selon les observateurs, c’est d’avoir piégé le parti en instituant le poste de président organique du FLN en le dédiant exclusivement à Bouteflika. Le FLN historique n’a jamais eu de zaïm et a toujours fonctionné à travers une direction collégiale. La suite des événements nous éclairera un peu plus sur l’avenir du parti qui a vieilli sans… s’améliorer.
Fatma Haouari (Le soir)