Le seul nom du Club des Pins évoque les mystères impénétrables du régime algérien. Cette résidence d’Etat luxueuse en bord de mer et à deux pas d’Alger abrite les plus belles villas des « décideurs » algériens.
La résidence du Club des Pins abrite les puissants décideurs algériens lors de leurs conciliabules à l’abri des regards inquisiteurs. Mais cette résidence d’Etat n’est plus une simple zone résidentielle où les dirigeants cachent familles, maîtresses ou protégés. Le Club des Pins est devenu le véritable cœur battant où les rapports de forces façonnent les centres de décision en Algérie. Épisodes orageux, anecdotes croustillantes, luttes clandestines, les étés à Club des Pins sont toujours sulfureux.
Naguère une simple forêt
Avant de devenir une zone résidentielle au service des plus influents commis de l’Etat algérien, la zone la plus protégée d’Algérie avec des contingents entiers de gendarmes, policiers et agents du DRS, le Club des Pins était une simple forêt de Pins ! D’où son nom de «Club des Pins». La grande forêt et le lieu de villégiature inspiraient alors la quiétude, la tranquillité et la douceur aux familles d’Alger d’avant l’indépendance.
Dans le sillage des joies interminables de l’Indépendance et la fièvre qu’elle avait procuré à toute l’Algérie, un petit village touristique fut construit en contrebas de cette forêt, en face d’une longue plage de sable fin. Des chalets, des bungalows furent construits et les familles algéroises y courraient chaque été durant les années 70 et 80 pour les louer et passer des vacances des plus inoubliables dans ce petit coin de paradis et de plaisir. Des célèbres boites de nuit ont construit la réputation de Club des Pins comme la fameuse « La Pinède » où les couples et jeunes célibataires y passaient des soirées torrides. Des restaurants, un terrain de tennis et des terrasses renforçaient d’une année à une autre le charme irrésistible de Club des Pins. Et juste à côté, il y avait la célèbre station balnéaire Moretti qui abritait bien avant l’Indépendance d’élégantes maisons coloniales propices aux évasions estivales.
Ce tableau idyllique disparaît brusquement en 1992 date à laquelle les autorités algériennes décidèrent de transformer le Club des Pins en une Résidence d’Etat. En proie aux violences de la guerre civile qui avait ravagé le pays durant les années 90, ces deux stations balnéaires se transformèrent en zone hautement protégée/ Les chefs de gouvernement, les ministres, les secrétaires généraux des ministères, les présidents des commissions parlementaires, les hauts gradés du DRS et de l’Etat-Major de l’armée algérienne, les dirigeants politiques les plus influents, les familles des Moudjahidine les plus réputés et de nombreuses personnalités nationales, dont des journalistes, investissent des villas hyper-protégées.
Un Etat dans l’Etat
Des 1992, la nomenklatura algérienne se réfugiait dans ce qu’on appelle officiellement la Résidence d’Etat du Sahel au Club des Pins pour fuir les violences de la guerre civile. D’une année à une autre, des travaux sont entrepris pour «bunkériser» et sécuriser encore davantage cette bande territoriale coupée du reste de l’Algérie. Des travaux qui se sont poursuivis même après la fin de la guerre civile puisqu’en 2011, Ahmed Ouyhia, qui loge lui et sa famille dans cette résidence, en sa qualité de chef de gouvernement à l’époque avait institué un périmètre «de protection de la résidence d’Etat ». Un décret avait été promulgué pour «délimiter son contour et de fixer les règles de sûreté».
Depuis ce décret, le Club des Pins est devenu plus que jamais secret et impénétrable puisqu’il est interdit «de pratiquer des activités de pêche, de baignade, de plongée sous-marine, de sports nautiques, de survol par parachute» dans toute cette zone. Pis encore, même les activités agricoles et les cultures arboricoles «exercées ou implantées au niveau du périmètre de protection ne doivent pas constituer une menace ou une nuisance pour la résidence d’Etat du Sahel». Pour les communs des Algériens, il s’agissait là d’une privatisation outrancière qui ne dit pas son nom.
Hamid Melzi l’intouchable
La gestion des affaires quotidiennes est confiée au ténébreux Hamid Melzi. On l’appelle Le «Richelieu algérien», véritable baron du régime algérien. Les remaniements passent, les changements se suivent, mais Hamid Melzi n’a jamais été inquiété, lui qui dirige depuis toujours cette Résidence d’Etat, le club des dirigeants algériens. Cet ancien apprenti-maçon a monté les échelons de manière phénoménale. En véritable homme de réseaux, il a tissé petit à petit son influence. Et au début des années 90, il se retrouve parmi les collaborateurs les plus proches du Général Toufik, le puissant patron du DRS, les services secrets algériens. Il devient son homme de main et son confident. Il gère tout à Club des Pins et connait la moindre parcelle de la vie privée des dirigeants algériens.
Aucun secret d’alcôves n’échappe au Richelieu algérien, aucune zone d’ombre ne lui résiste. Il transmet au DRS tous les dessous de la vie privée des dirigeants hébergés à Club des Pins. De ce fait, le DRS dispose d’un incroyable moyen de pression pour soumettre tous les hauts commis de l’Etat algérien à son bon vouloir. En un véritable Richelieu, Hamid Melzi gère Club des Pins et Moretti d’une main de fer.
Il choie ses invités, il les dorlote, il les répond aux moindres de leurs caprices. Ainsi, à chaque fin d’année, il envoie lui-même des repas luxueux et des buches délicieuses à tous ses résidents. Le lendemain, racontent de nombreuses sources concordantes, on retrouvait une grande partie de cette nourriture dans les poubelles pour la simple raison que les femmes de plusieurs dirigeants algériens ignorent que la buche est le gâteau symbolique des fêtes de fin d’année…
Les chinois en embuscade
Et lorsque l’un des résidents tombe en disgrâce, Hamid Melzi le pourchasse pour le contraindre à quitter les lieux. Son flair et ses réseaux qui lui sont favorables finissent par faire de lui un véritable «businessman». Il s’impose rapidement comme l’intermédiaire avec de nombreuses sociétés chinoises, notamment le groupe CSCEC en charge de plusieurs projets dans le pays, qui investissent en Algérie.
Peu à peu, il étend son empire et gère lui-même pas moins de 5 entreprises publiques dans le domaine du tourisme et de l’hôtellerie, dont la Société de développement hôtelier (SDH) qui cogère le célèbre Sheraton d’Alger. De l’argent, Hamid Melzi en a beaucoup grâce à ses affaires et son réseau d’influence. Sa maison à Barcelone en Espagne, un véritable palais selon les personnes qui l’ont visitée, témoigne de sa fortune. Ses propres enfants s’impliquent dans la gestion de Club des Pins. Le célèbre restaurant le «Hacienda» vient d’être cédé à son propre fils Mouloud Melzi.
Luxe, confort et opulence
La même opacité entoure la gestion de toute cette Résidence d’Etat qui est officiellement rattachée aux services du Premier ministre. Officiellement un budget de 10 millions d’euros est accordé chaque année pour gérer et s’occuper des chalets et logements de cette Résidence. Un chiffre qui ne correspond nullement à la réalité puisque chaque année, les villas des dirigeants hébergés à Club des Pins connaissent des travaux de rénovation pour y installer des piscines, des pelouses gazonnées, etc., et ces réaménagements sont pris en charge par les ordinaires contribuables algériens puisque c’est tout est financé par l’argent public.
Plusieurs sources, dont des anciens habitants et locataires de Club des Pins, estiment qu’entre 30 et 50 millions d’euros sont dépensés annuellement pour garantir un séjour tranquille à la Nomenklatura algérienne qui profite allègrement des 141 appartements, 19 résidences, 285 maisons coloniales de Moretti et 350 villas de Club des Pins.
Pourtant, les conflits sont légion dans ce petit paradis. Les jalousies se créent rapidement et chaque dirigeant, ou son épouse, exigent un traitement de faveur. Ainsi, lorsque Abdelaziz Belkhadem, l’ex Chef de gouvernement et patron du FLN a bénéficié d’une belle piscine dans sa villa, une proche du Général Toufik est montée au créneau pour exiger qu’on l’équipe d’une plus belle piscine !
Et Melzi, l’intendant, s’est exécuté rapidement. Forcément
ENCADRÉ
La sœur de Bouteflika en juge de paix
Quelques fois, les heureux habitants de Club des Pins s’énervent et partent jusqu’à la Présidence de la République pour réclamer à Bouteflika d’intervenir ! C’est ce qui s’est produit avec Mme Djemri, veuve de l’un des généraux les plus influents de l’armée algérienne. Cette dame occupe une résidence au Club des Pins. A la mort de son mari, Hamid Melzi a tenté de la chasser pour récupérer sa villa. Pour la déloger, il emmure tout bonnement la porte d’entrée sans l’avertir. Au petit matin, Mme Djemri et son fils ne peuvent plus sortir leur voiture. Le choc est incommensurable.
Du coup, la mère et le fiston détruisent le mur à coup de pioche et de pelle. Fous de rage, ces deux là se dirigent vers la résidence du 1er ministre, Abdelmalek Sellal, leur voisin et l’apostrophent vivement. Sellal s’en lave les mains et assure qu’il n’y est pour rien dans cette drôle d’affaire.
Mais Mme Djemri refuse de se taire et s’engage dans un bras de fer. Elle contacte son amie qui n’est autre que la sœur du Président Bouteflika, Zhor Bouteflika. Celle-ci intervient très vite auprès de son frère pour secourir sa copine. Et depuis, Mme Djemri n’est plus harcelée par Hamid Melzi qui, non seulement, a arrêté de la persécuter mais a entrepris des travaux pour refaire toute sa résidence au frais de l’Etat !
Même les disputes et les bagarres sont traitées de façon étrange à Club des Pins comme cette querelle qui avait opposé l’ancien ministre de la Santé et des Transports, Amar Tou, au fils du défunt Kasdi Merbah, l’ancien charismatique chef de la Sécurité Militaire algérienne qui deviendra chef du gouvernement de l’Algérie du 5 novembre 1988 au 9 septembre 1989, avant d’être assassiné, le 21 août 1993, en revenant de Suisse.
Or, Abdelaziz Bouteflika avait décidé d’accorder une villa aux descendants du défunt Kasdi Merbah. Et lors d’une soirée bien arrosée, le fils de Kasdi Merbah crie et fait du tapage nocturne. Amar Tou sort de sa villa pour rappeler tout le monde à l’ordre. Les échanges entre les deux hommes finissent par se transformer en altercation. Amar Tou dépose plainte. Et devant le juge, le fils de Kasdi Merbah se lâche : «vous voulez me condamner ? Alors, dites-moi maintenant qui a tué mon père ? Je dépose plainte moi aussi et je veux qu’on me dise la vérité, toute la vérité sur l’assassinat de mon père». Le juge panique et il met fin au procès.
Au sommet de l’Etat, on étouffe cette affaire et on rassure le fils de Kasdi Merbah. Amar Tou se résout au silence et oublie sa rancune. Tout est orchestré pour que personne ne trouble la douce tranquillité du Club des Pins.
Sources: Mondafrique
‘ce qu’on est incapable de le changer, il faut au moins le décrire’ Reiner Werner Fassbinder