Alger Rit, Alger pleure.

Quelle idée de s’aventurer dans les contrées du guépard, sur les hauteurs d’Alger quand on se sait gnou.Il aurait été plus sage d’aller brouter en lisière de la Mekerra mais la force irrésistible du tropisme des voyages se maintient en dépit du bon sens, chez notre espèce, les gnous comme chez celle des hommes léopards.Dans les méandres, les plus reptiliens de notre cerveau, on sait pourtant qu’il y a des contrées dans lesquelles il ne faut s’aventurer.

À Hydra, l’hydre a enfanté à profusion et génère des revenus locatifs qui feraient pâlir les actionnaires d’une multinationale.
Une invitation sésame pour assister à un mariage nous tiendra lieu de sauf-conduit et garantira notre sécurité pour une courte période.
Notre hôte qui s’était mis dans la tête de devenir très riche après avoir abandonné la politique continuait à travailler comme un forcené, se levant avant sa domesticité pour enlever les mauvaises herbes de la pelouse menant à la piscine. Je l’ai aperçu à l’aube qui parlait à ses palmiers géants comme à des enfants et reprochant aux bougainvilliers d’afficher pâle mine.
Je l’avais bien connu autrefois quand on se cotisait à trois ou quatre amis pour louer un cabanon à l’orée de l’été sans jamais oublier de régler les factures et de rendre les clefs au service concerné.
Nous découpions l’été en tranches de dix jours pour contenter tout le monde: la famille,les voisins, les adolescents à qui on intimait l’ordre de pas faire d’esclandre (sans vraiment y croire) et laissions la primeur aux intimes.
Nous ne descendons plus à la plage asséna notre hôte car nous sommes envahis par la plèbe qui squatte chaque grain de sable.

Puis il s’en prit aux autocars qui déversaient leur cargaison paillarde et échevelée à toute heure. Il vivait chaque arrivée comme un affront personnel et avait fini par confier sa somptueuse demeure de la côte algéroise à un jardinier ravi de l’aubaine et à se réfugier en Espagne pendant la canicule.
il avait acquis un bien dans un complexe hôtelier, une véritable mocheté encerclée la nuit par des guirlandes de lumière qui conférait à l’ensemble un aspect apaisant et une pâle copie de l’urbanisme de Floride.

Au bout du deuxième jour, je fis une demande saugrenue. je voulais me perdre dans Alger la populaire et siroter un café au Tontonville; Et à ce moment précis,ce prétendu voyage avait trouvé un sens.
Jusqu’alors, je n’avais que jouer le rôle de faire-valoir, celui de l’ami qui n’a pas réussi mais que l’on n’oublie pas d’inviter aux moments qui comptent; comme on invite sa mauvaise conscience.

Aurais-je le courage de lui dire que pour moi, cet Alger des faubourgs était celui qui riait à travers les larmes et combien j’avais détesté cette agglomération artificielle au nom de Bénidorm, ville sans passé ni traditions baignant dans l’ocre odeur de la bière et l’alacrité des vessies soulagées dans les ruelles obscures.
Quand aux plages, j’avais au fil du temps développé une aversion placide pour les ébats nautiques collectifs. Le souvenir d’une dame en burkini s’ébrouant dans cette Méditerranée gris turquoise me fit songer que l’indignation met à un certain temps à se mettre en branle.Personne ne semblait choqué cet été là!

Pris d’une pulsion soudain, j’embarquai à bord d’un antique autocar aux amortisseurs sur-sollicités qui cingla vers la côte. Dans l’eau, rires, éclats de voix, burkinis, djebabs, bikinis et robes de ville emprisonnan.

EL HANIF