Elle était frappante avec sa longue chevelure noire, son teint basané, et ses grands yeux amandes. Elle avait la particularité de ne point se maquiller comme une star. Elle apparaissait à l’écran comme une femme respectueuse, s’habillant sobrement. Sa voix mélodieuse embaumait les cœurs de nos mères. Sa taille frêle imposait un regard de respect et reflétait une humilité des gens de bonne famille. Elle forçait le respect dans une époque pourtant trop conservatrice où il était ardu d’allier l’exercice de la chanson et le respect, l’honneur et l’humilité durant une période où le sacré et les traditions avaient leur pesant d’or. Elle l’a fait.
Durant les années cinquante-soixante, elle n’était connue qu’à travers cette voix. Il n’y avait que la Radio et en particulier «Ici, Paris» de l’ORTF où vaquait notamment une certaine Meriem ABED qui se faisait un malin plaisir à «tourmenter» nos mères et grand-mères avec ses disques depuis Radio Alger. Je l’ai « rencontrée » à peine à 15 ans. Sans connaître l’impact de la musique, je l’ai appréciée. Je ne sais pas si ce qu’elle chantait me ravissait, où n’était-ce que l’influence de ma mère qui lui vouait une adoration extrême.
Noura Aljazairia, Fatima Zohra BADJI de son vrai nom, est née à Cherchell en 1942, dans une famille profondément attachée aux valeurs traditionnelles.
Sa biographie nous apprend qu’entourée d’affection et d’attention, la jeune fille fit montre, au cours de sa scolarité, d’une grande intelligence. Elle excelle aussi bien en langue arabe qu’en français.
Son père, fier d’elle, l’initie dès son jeune âge à l’histoire antique de sa ville natale dont le prestige est lié à la résistance berbère contre l’occupation romaine, à la grande figure du roi JUBA II et de sa femme Cléopâtre Séléné.
La jeune Fatima-Zohra, éveillée mais néanmoins réservée, a un goût prononcé pour la solitude. Elle passe le plus clair de son temps à écouter de la musique à la radio sur un poste offert par son père. A travers cet appareil magique pour l’époque, elle apprend à apprécier la diversité des chants et rythmes de toutes les régions d’Algérie.
Ces prémices d’une vocation certaine doublé d’un talent que seul le don peut offrir, devient, après un drame familial né d’une séparation du couple de parents, un moyen de subsistance salutaire. Ainsi, elle met fin à ses études pour se consacrer pleinement au métier d’artiste ; nécessité faisant loi.
C’est lors d’un concours de recrutement de speakerines à la radio, qu’elle rencontre Saïd Rezzoug, directeur de la chaîne. Mise à la disposition du compositeur et chef d’orchestre Amari Maâmar qui, après l’avoir auditionnée, avoue avoir été subjugué par la musicalité de sa voix et sa sensibilité artistique. C’est ainsi qu’il décide, vers la fin de l’année 1957, de diriger son premier passage, en direct à la radio avec une chanson intitulée «baâd ma chafet » (après qu’elle eut vu) écrite et composée par Mohamed Réda et composée par lui-même.
Le poète Sid Ahmed Lakehal, visiblement ravi par sa prestation, dit spontanément « Noura, vous avez été magnifique !» Le pseudonyme est né.
Ses débuts pleins de promesses ont aussitôt suscité chez elle la soif d’approfondir ses connaissances lyriques et dramatiques. Elle s’inscrit alors au conservatoire municipal d’Alger en 1958 où elle apprendra la musique et le chant et découvrira le théâtre. A l’issue de cette formation, elle obtient deux premiers prix, l’un en déclamation, l’autre en musique classique.
Amari Maâmar lui offre une seconde chanson « El ouarda souda » (La rose noire) écrite par Saïd Hayef. Dans la même période, elle tient un rôle dans une opérette intitulée « ana elouarqa el meskina » (Moi,La pauvre feuille) écrite par Mustapha Kechkoul et composée par Mustapha Skandrani. Cette chanson sera reprise, plus tard, par Lili Boniche en France.
Dès la fin des années 1950, elle rencontre des personnalités majeures du milieu artistique algérien. Outre Missoum, elle collabore avec Mustapha Skandrani, Haddad el Djillali, Mahboub Bati, Abdelhamid Ababsa et Ahmed Wahby. Ils contribueront tous à faire d’elle une représentante authentique du « âasri, » style musical moderne, à la mode dans les années 60, caractérisé par un emploi discret d’instruments électriques
Dans les années 50, Nora est engagée à Radio Alger qui cherchait de nouveaux talents pour animer une émission destinée aux enfants et se fait repérer en interprétant des pièces de théâtre et des opérettes. Elle chantera notamment sous la direction de cheikh Mustapha Skandrani. Grâce à Mohamed Jamoussi et à Mahboub Bati, elle deviendra très vite une vedette de la chanson algérienne.
Nora est reconnue comme la première chanteuse algérienne, qui a bénéficié du statut de star. Abordant les thèmes divers où elle a chanté L’Algérie avec «Ya nass amahou» l’exil avec «Gal el Menfi» (le banni), «Ya Rabbi Sidi » où elle « reproche à la Française de lui avoir pris son fils » et l’Amour avec «Houa, Houa» (Lui, lui, je n’aime que lui) ainsi que « kan hbibi ywallili » (si mon amour me revient)tout comme elle a exploité différents registres des folklores régionaux. Elle est la première chanteuse maghrébine à obtenir un disque d’or en 1971 pour un million d’albums vendus. A l’époque où il n’y avait ni télé, ni internet, il faut reconnaître que c’est un véritable exploit. Elle était une icône !
Je me souviens jusqu’à aujourd’hui de nos mères paysannes qui trouvaient en cette modeste «idole» un alibi de défoulement, de découvrir l’Amour. Je me souviens nettement, tout jeune, voir ma mère disparaître, emportée par ses rêves, quand elle écoutait une de ses chansons. Ces chansons mélodieuses, la voix au timbre ensorcelant, les transportaient dans un rêve beaucoup plus paradisiaques que ceux des vedettes de feuilletons turcs aujourd’hui. La différence, c’est qu’elle, elle était Algérienne.
Ce n’est qu’à la fin des années 70 que nos mères découvrent son visage grâce à la télé noir et blanc qui commençait à peine à meubler les salons des Algériens. La Télé Nationale les gavait de Nora.
Sa vie prit une autre tournure au moment où elle connut Kamel HAMMADI musicien et compositeur Kabyle. Elle l’épousa. Celui-ci étant Kabyle, le fait qu’elle ne maîtrise aucun mot de la langue Tamazigh ne fut pas un handicap pour elle, bien au contraire. Son talent s’exprima même sur le terrain de la langue, puisqu’elle l’apprit très vite, jusqu’à le parler couramment et même chanter plusieurs chansons en tamazigh et Français dont « Une vie » de Michel Berger.
Sa discographie comporte plus de 500 titres de chansons en langues arabe, kabyle et même française.
Elle vient de décéder dimanche à l’âge de 72 ans dans un hôpital parisien suite à une longue maladie. L’auteure de «Ya Ness Amahou» a été admise à l’hôpital il y a une vingtaine de jours dans un état jugé grave. Dernière volonté: Elle a demandé à être enterrée dans son Pays. Elle le sera ce jeudi, aujourd’hui, au Cimetière de Sidi-Yahia, à Alger.
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