Le Docteur Bouazza Feham, frère du regretté Docteur Youcef Feham a adressé une correspondance à notre ami Si Al-Hanif où il trace un envol de ce que fut son frère et auquel il n’a jamais fait la moindre allusion. La grandeur d’âme, la noblesse des vertus et le sentiment de n’avoir fait que son devoir lui interdisaient d’en parler. Un témoignage, même fait – peut-être – sous l’effet de l’émotion peut être interprété de diverses manières . Mais là, l’écoulement du récit fait frissonner et remet en surface notre propre douleur quand nous avons appris sa disparition. Aussi, nous nous faisons un devoir de le publier d’abord pour nos lecteurs et ensuite pour les siens en priant Dieu de combler le vide qu’il a laissé. La Rédaction.
Par le Docteur Bouazza Feham:
Je suis le frère cadet de Youcef, né lui le 12 Août, 1946 à Bedeau. Malgré les trois ans qui nous séparaient, nous étions inséparables à l’enfance et toujours très unis adultes. Dernièrement, je me suis presque surpris à demander à sa veuve: « Youcef a -t-il téléphoné? »
Je ne réalise pas encore qu’il est parti définitivement même si je sais que l’on n’est jamais mort tant que l’on vit dans le cœur des gens. Et Youcef continue de vivre dans le cœur et les pensées de beaucoup de monde.
J’aurais dû commencer par te demander Si Al Hanif de remercier tous ceux qui ont honoré sa mémoire et vos amis du journal. On a lu la page qui lui a été consacrée en famille et elle nous a arraché des larmes.
C’est bizarre mais je ne me fais pas à l’idée de sa disparition et c’est comme s’il était absent quelque part. Qu’il allait ouvrir la porte et faire entendre son rire tonitruant.
Attention, je ne remets pas en question « Al Ajl » et Youcef est parti dans un assoupissement un vendredi sain au retour de la prière à la mosquée de Tourcoing.
Celui qui continue de vivre en moi est le petit Youcef, élève surdoué qui s’improvisait à 10 ans infirmier du docteur Jean Yves Idate du camp d’internement de Bossuet. Le fou de savoir qui continuait de faire ses devoirs à la lumière du lampadaire et faisait dire aux soldats en patrouille » c’est encore le petit Youcef qui potasse. Il finira toubib! »
Peu de gens savent qu’il fut l’adjoint du Lieutement Ma3rouf en qualité de secrétaire de la commission du cessez-le-feu du 19 mars 1962 à l’âge de 15 ans seulement.
Il ne fut ni néo-malgache, ni homme de pouvoir car sa passion était la médecine et de soulager les malades avec dignité. Lorsque je lui rendais visite à son cabinet de Saïda, je le voyais fréquemment ouvrir le tiroir pour donner de l’argent aux malades venus le consulter. Et se fâcher avec des collègues qui attentaient à la dignité du malade.
Non Youcef n’avait même pas de voiture et empruntait bus et métro pour se déplacer se contentant de me dire que sa seule richesse tenait dans ce qu’il y avait entre ses deux lobes.
J’ai envie de te raconter comment il avait sauvé la vie de Pascal Dias, militant pro-Fln visé par un attentat de l’Oas et comment il profitait de sa tournée pour vendre des journaux pour aller aux renseignements.
Lors d’une rafle, il fut missionné, enfant qu’il était, de s’enquérir des traces de vie de notre cousin Mohammed porté disparu. Youcef l’avait retrouvé dans un trou au milieu de la caserne, victime d’un rituel sadique qui consistait à faire uriner sur lui tous les bidasses.
Ma tante ne retiendra que la bonne nouvelle de sa survie. Pascal Dias lui fut exfiltré vers le maquis pour le protéger alors que notre maison était le sanctuaire des katibas, son infirmerie, son centre logistique et la trésorerie des collectes de l’impôt révolutionnaire.
Je dirai peut-être qu’un rapport de Youcef sur les agissements du capitaine pro-oas Schedeke valut à ce dernier d’être démis de ses fonctions et annonce en fut faite à la radio.
En médecine, l’intérêt académique de Youcef le portait vers la sexologie et il aurait aimé s’y spécialiser à Montréal. Il écrira d’ailleurs un livre sur la question dont les droits sont en déshérence chez un éditeur peu scrupuleux.
Youcef ne laissera ni héritage, ni maison, ni voiture, ni liquidités mais bien plus que cela, l’image d’un savant humble parmi les humbles.
De la promotion de Lakhehal Benyahia, j’ai vu beaucoup de gens changer avec l’accès au pouvoir et Youcef rester Youcef.
Je ne sais si c’est folie de continuer à voir Youcef vivant mais ma proximité professionnelle avec les tables de vivisection ne m’empêche pas de croire à la force de l’esprit.
….Nous gardâmes le silence un long moment et pendant tout ce temps Youcef était avec nous.
Allah Akbar!
Cher Bouazza,
Je ne sais si tu te rappelles que tu as été le premier à me diagnostiquer un perforation du tympan, suite à un coup reçu dans un match de foot-ball! Tu m’avais promis une tympanplastie (je crois que c’est comme ça que ça se dit dans votre jargon!) que je n’ai jamais faite, et je me porte mieux! Si je te raconte ça, c’est pour te dire qu’il y de simples souvenirs qui marquent par leur simplicité, comme les cadeaux! Et le souvenir que j’ai de Feu Youcef, c’est justement son dévouement au profit du journal et de ses lecteurs. Sa promptitude à répondre à ma sollicitation et d’amener son fiston Tarik. Le peu de moments qu’il a passé avec nous, lui ont suffi pour être adopté par le lectorat mieux que nous tous. C’était sa bonhomie, sa manière de percevoir la vie. Ses contributions étaient d’un haut niveau, mais écrites simplement pour que le lecteur profane puisse les comprendre.
Je voudrais que tu saches, que sa famille sache qu’il a laissé un grand vide à BAI.
Je prie Dieu de lui accorder toute sa Miséricorde.