Le football est une drogue dure dont le sevrage laisse toujours un goût d’amertume dans la bouche.c’est que l’on craint toujours la rechute lorsque les couleurs nationales joutent dans une arène internationale, comme lors de la dernière coupe du monde du football au Brésil, terre d’élection de cette religion planétaire et qui n’épargne même plus les femmes. Et c’est un repenti qui en parle pour brûler la dernière des idoles de sa jeunesse.
Pour mesurer la guérison, je peux contempler la dernière déroute de l’équipe nationale en terre gabonaise avec indifférence et je peux même lire l’aphorisme du grand auteur argentin, Jorge Luis Borges sans acrimonie aucune:
« Le football est populaire car la stupidité est populaire ».
Du temps de l’addiction, cela aurait été un cas de casus belli, une déclaration unilatérale de guerre totale et permanente. Et si c’était lui qui avait raison de voir dans ce jeu et son invention, les plus grands méfaits de l’Angleterre impérialiste. Onze énergumènes en short, confrontés à onze autres , qui courent après une balle, et qui continuent la guerre avec d’autres moyens!
Enrôlés dans un nationalisme fanatique qui utilise leur popularité, les joueurs concoctent une recette politique qui fait école. Expérimentée par les plus grands dictateurs du Chili, au Brésil en passant par l’Argentine, cette version moderne des jeux du cirque romains ( du pain et des jeux) nous rappelle que nous avons tous sacrifié à la religion du football à un moment de notre vie. Si ce n’était qu’un sport, le football serait demeuré un aimable divertissement, mais cela reviendrait à ignorer que l’instrumentalisation du nationalisme est un grand classique et le football n’étant qu’un alibi commode et efficace pour déchaîner les passions et ouvrir les digues de l’irrationnel.
Le football eut même sa vraie guerre qui opposa en 1969 le Honduras et le Salvador, à laquelle les livres d’histoire se réfèrent comme à « La guerre des cents jours ». À l’évidence, le football ne servit que de catalyseur à une confrontation militaire qui se solda avec 6000 morts et 15000 blessés. Un parent sexagénaire, toujours apprécié pour sa modération m’a conté par le menu et avec des trémolos dans la voix, son expédition au Soudan pour laver l’affront égyptien et vanter l’efficacité du pont aérien qui avait déversé des milliers de supporteurs à Khartoum. « Dès l’arrivée, m’avait-il dit, » Nous avions loué des taxis pour toute la journée en leur demandant de klaxonner à travers la ville, tous drapeaux déployés ». Docteur Jamel et Mister Hyde ai-je noté au passage avec une pointe d’admiration devant ses yeux furibards à cette seule évocation.
Ma désaffection avec « le sport roi » est plus ancienne. Elle vient également du constat que les lois du libéralisme ont enfanté d’une société du spectacle qui a cannibalisé les sportifs pour en faire des supports publicitaires à la gloire des grandes marques du capitalisme prédateur et triomphant. Les transferts de joueurs mentionnent des sommes indécentes, qui contribuent à nous déréaliser et à faire de nous des complices de la mondialisation. Le sportif n’est plus qu’un produit spéculatif dont la côte varie et est indexée sur sa valeur marchande. En assouplissant les règles sur les quotas des joueurs, le capitalisme a permis une concentration des meilleurs joueurs dans les clubs les plus riches en faussant la logique sportive de la glorieuse incertitude du sport.
le mercenariat est devenu endémique et l’attachement aux couleurs, une fable passée de mode. Ainsi, à un moment de son histoire, le club londonien d’Arsenal n’évoluait plus avec un seul joueur anglais.La généralisation de ce phénomène a affaibli l’équipe nationale anglaise et un parallèle peut être dressé avec l’Algérie qui ne secrète plus de joueurs compétitifs au sein de leur propre championnat.
Désormais, les joueurs se moquent éperdument des couleurs si elles ne rentrent pas dans un plan de carrière qui se décline comme suit:
– Accéder à un championnat attractif;
– évoluer dans un club tremplin;
– intégrer le championnat le plus rémunérateur.
Heureusement que le coup de boule planétaire de Zidane nous rappelle que le Nif contrarie tous les plans de communication!
AL-Hanif