Les soubresauts qui ont fait entrer le monde arabe dans des convulsions aux ondes de choc telluriques; et qui donnent l’impression d’avoir réactivé des haines ancestrales venues de la nuit des temps, sont le résultat direct de son dépeçage par les puissances coloniales après l’effondrement de l’Empire Ottoman au sortir de la Première Guerre Mondiale.Et de la propension « monde arabe » à tomber dans tous les pièges.
Le premier scud tiré à partir de l’Irak sur Tel Aviv avait en réalité signé la destruction de ce pays, héritier d’une civilisation millénaire et que certains dirigeants occidentaux avaient juré « de réduire à l’âge de pierres » en représailles et en promesse faite à l’état hébreu.
L’invasion du Koweit, en ayant mal interprété un « feu vert » américain et la guerre meurtrière contre l’Iran , alimentée sept ans durant, devenaient les fossoyeurs de l’idéologie baasiste et de l’unité des partis frères, le « frère syrien » n’ayant d’autre choix que d’autoriser l’utilisation de son territoire lors des guerres contre l’Irak. Pour gagner un simple sursis, sa destruction étant également planifiée. Comme l’histoire l’attestera amplement. Pourtant, la période historique ‘années 50-70) avait exalté la fierté arabe autour de la reconquête du Canal de Suez, du soutien à l’Algérie combattante, et d’une émancipation des systèmes coloniaux et du soutien jadis indéfectible à la cause palestinienne, jugée cause arabe.
Le bouillonnement révolutionnaire des années 50 et l’idéologie panarabiste impulsée par son chantre le colonel Gamal Abel Nasser allaient se fracasser contre le mur des réalités et se concrétiser par l’échec de la fusion entre l’Egypte et la Syrie dans une éphémère République arabe unie, proclamée en 1958. Pourtant la foi dans les transformations sociales et la réalisation à terme de l’union mythique des nations arabes seront le credo du
Baas, parti laïc,crée par le chrétien Michel Aflak et le sunnite Salahddine Bittar. Le Baas qui se voulait le promoteur d’une fusion entre modernisation des sociétés archaïques, respect des identités confessionnelles et
socialisme pensait disposer de la manne des hydrocarbures pour la mettre au service de la construction d’états modernes et unifiés au sein du monde arabe.
Bien avant l’aventurisme de « l’Etat Islamique » terroriste, les dirigeants arabes, souvent portés au pouvoir par des coup d’états militaires jugeaient les frontières héritées de l’ordre colonial comme artificielles. Bien avant l’islamisme djihadiste et la pensée wahabiste, le Baas, parti laïc avait posé l’ensemble du monde arabe comme son champ d’action et sa profondeur stratégique. Les premières années sous la direction de l’idéologie baasiste tant
en Syrie qu’en Irak connurent une ère d’essor économique et de stabilité politique accompagnés de restrictions des libertés individuelles sous la férule de régimes autoritaires. Parti unique, pensée unique et surtout parti pris de
l’infaillibilité du chef et gestion par la peur devinrent des faits objectifs de ce dévoiement de l’idéologie baasiste..
Cette dernière, calquée sur celle du parti communiste constitua au départ un puissant pôle d’attraction qui mobilisait intellectuels, paysans, militaires et d’une manière générale, la jeunesse rêvant de transcender les déterminismes confessionnaux de leurs sociétés traditionnelles et féodales. C’est l’échec de ce projet, de sociétés arabes épousant les défis de leur siècle et l’obligation de modernité, qui seront contrariés par l’Occident.
Ce dernier a sciemment saboté toutes les tentatives de modernisation de la société arabe, contrarié par l’adhésion des sunnites pour les appels à l’unité des arabes, celle des chiites pour plus d’égalité sociale et le calcul des chrétiens qui voyaient en la laïcité le plus puissant des remparts contre l’intégrisme religieux. La tare du projet du Baas , son péché originel venait du fait qu’il ne reposait que sur deux forces organisées, l’armée et le parti ,
deux corps infiltrés par les ambitions personnelles et rattrapés par les pesanteurs sociologiques de la ‘assabiya’ déjà désignée par Ibn Khaldoun.
Graduellement les deux partis baasistes, syrien et irakien se sont transformés en instruments d’oppression et de contrôle de leurs sociétés et la cooptation tentaculaire remit à l’ordre du jour les solidarités claniques qui réaffirment l’allégeance au chef et aux tribus d’appartenance au détriment de la compétence exigible dans tout projet de construction d’un Etat moderne et qui chemine vers le primat du droit et de l’égalité de tous devant celui-ci.
Le pouvoir politique du peuple devint illusion rhétorique et la rente historique se mit au service exclusif des clans qui s’étaient hissés au pouvoir. L’étouffement sévère des idées de l’opposition et la difficulté de transplanter les bases du matérialisme scientifique dans le terreau d’une société ancrée dans les valeurs de l’islam relevaient
du grand écart idéologique. Les autorités planificatrices centrales ont certes utilisé en Irak la manne pétrolière pour transformer les structures socio-économiques, de construction de barrages et de modernisation de l’irrigation, mais les révoltes de Hamma en 1982 en Syrie,et l’implication au Liban mettaient à jour les divisions géopolitiques,
l’autoritarisme et la corruption des dirigeants du parti Baas dans ses composantes irakienne et syrienne..
La chance et la malédiction de la région est l’or noir et c’est au nom du contrôle de cette ressource que viennent les convoitises et que se nouent les pactes qui naufragent la chimérique nation arabe, sur les dépouilles d’un panarabisme aussi mythologique que celui du rêve d’une Oumma unifiée qui souderait la communauté de tous les croyants.
Le captage de la rente religieuse plonge désormais ses racines encore plus loin. Et se veut seul moteur de l’Histoire.
AL HANIF