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IBN – SINA (Safar 370 / Août 980 – Ramadan 428/ Juin-Juillet 1037). 2ème partie.

ByMohamed Senni

Avr 12, 2013

                        Son époque, sa vie, son œuvre et esquisse de sa pensée.

                                                      Par Mohamed Senni.

« Dans le monde actuel et parmi trop d’intellectuels ou de militants, on se partage entre adeptes d’une authenticité sans avenir et adeptes d’un modernisme sans racines. Le français traduit mal, en l’espèce, ce qui en arabe vient beaucoup mieux :

                                                                      أنصار المصير بلا  أ صيل وأ نصار الأصيل بلا مصير                                                                                                                                                   

                       Jacques Berque in « Les efforts d’innovation dans l’Islam moderne ».L’Islam, la philosophie et les sciences. Les Presses de l’Unesco. (1401 / 1981).

«Originaire de Balkh, mon père s’installa à Bukhârâ, au temps du règne de Nûh Ibn Mansûr (Roi samanide à 13 ans en 367 / 977-8). Il s’occupa d’administration et devint, sous le règne de celui-ci, administrateur local d’un village nommé Kharmaithan, dans la province de Bukhârâ.‹..›.Près de lui, il y a un village qui s’appelle Afshanah. C’est là que mon père épousa ma mère, y habita  et c’est là que je suis né.‹   ›. Après un certain temps nous déménageâmes à Bukhârâ. On m’emmena au maître qui m’enseigna le Coran et au maître de littérature. A l’âge de dix ans, j’avais déjà  appris le Coran par cœur et étudié beaucoup de littérature, de sorte que je fus l’objet d’une immense admiration.

 »  Mon père fut l’un de ceux qui ont répondu favorablement à la doctrine des Egyptiens et fut considéré ismâ‛ilite. Il assista, lui et mon (jeune) frère, à leur prêche concernant l’âme et l’Intelligence selon leur conception. Quelquefois ils s’entretenaient de ces idées, et moi je les écoutais; je comprenais ce qu’ils disaient, sans l’accepter. Ils commencèrent à m’inviter à les joindre. Ils mentionnaient la philosophie, la géométrie et l’arithmétique indienne que j’appris d’un épicier auprès duquel mon père m’avait placé.

 »  Puis, vint à Bukhârâ Abû ‛Abd-Allâh al-Nâtilî, qui prétendait à la philosophie. Mon père le  logea chez nous pour que j’apprenne de lui. Avant sa venue, j’avais suivi les cours de jurisprudence (fiqh) donnés par Ismâ’îl al-Zahid. Je fus un des meilleurs élèves.  Je devins habitué et rompu aux méthodes de question et d’objection à l’adversaire, selon la manière adoptée chez les maîtres de cette science. Puis j’ai commencé à apprendre l’Isagoge (de Porphyre) auprès d’al-Nâtilî. Quand il m’apprit que la définition du genre est que le genre est ce qui est dit de plusieurs, différents en espèce,  en réponse à la question quod est, j’ai commencé à vérifier le contenu de cette définition d’une manière dont il n’avait jamais entendu parler. Il fut tout admiration pour moi, et recommanda à mon père de ne me faire occuper que de la science. Quelle que fût  la question qu’il me  posait, je la concevais mieux que lui. Auprès de lui j’ai appris les généralités de la logique ; quant aux questions subtiles, il n’en savait rien.

 »  Par la suite, j’ai commencé à lire seul tout en consultant les commentaires et finis par devenir maître de la logique. J’ai étudié aussi le livre d’Euclide (les éléments d’Euclide) : avec al-Nâtilî j’ai étudié les cinq ou six figures du début; puis j’ai résolu moi-même les problèmes du reste du livre. De là, je passais à l’étude de l’Almageste (de Claude Ptolémée v.90- v.168)-dont le titre originel est « la Grande Syntaxe » ; Ayant fini avec les préliminaires, et arrivé aux figures géométriques, al-Nâtili me dit : « lis-les toi-même et résous-les toi-même, puis montre-les moi pour que je te montre ce qui est vrai et ce qui est faux ». Mais je me rendis compte qu’il ne comprenait pas bien le livre (al-Majistî). Je me suis mis à résoudre les problèmes qui se trouvent dans ce livre. Nombre de figures lui étant inconnues je les lui expliquais et les lui faisais comprendre « !

‹   ›. Je me suis appliqué à étudier les livres de physique et de métaphysique, tant les textes que les commentaires. C’est alors que les voies de la science commencèrent à s’ouvrir à moi.

 »  Désirant apprendre la médecine, j’ai commencé à lire les livres la concernant. Ce n’était pas une science difficile. En peu de temps j’excellais dans cette discipline, de sorte que les bons médecins commençaient à apprendre de moi. J’ai soigné les malades. Des perspectives immenses pour un traitement puisé à la pratique s’ouvrirent à moi. En même temps je continuais l’étude de la jurisprudence et la polémique autour de ses problèmes. A ce moment j’avais seize ans.

 » Je me suis consacré à la science et à la lecture durant une année et demie. J’ai relu la logique et toutes les parties de la philosophie. En ce temps-là je ne dormais pas une nuit entière ; durant le jour je ne me  préoccupais que de l’étude. Je classais des fiches ; chaque argument que j’étudiais je lui en consacrais une  en y inscrivant les prémisses syllogistiques, pour voir ce qu’elles pouvaient conclure ; j’ai pris soin de satisfaire aux conditions requises dans les prémisses, pour aboutir à la vérité de la question traitée. Toutes les fois qu’un problème m’embarrassa et que je ne pouvais pas trouver le moyen terme d’un syllogisme, je me rendais à la mosquée, priant, et invoquant le Créateur du Tout jusqu’à ce qu’Il me révélât la solution de ce problème obscur et difficile. J’avais l’habitude de rentrer, le soir, à la maison, d’allumer la lampe devant moi, et de me mettre à lire et à écrire. Si le sommeil s’emparait de moi, ou que je sentais de la faiblesse, je buvais un verre de boisson (alcoolique ?) jusqu’à récupérer mes  forces, puis je reprenais la lecture. ‹   ›.Tout ce que j’ai appris en ce temps-là est exactement ce que je connais aujourd’hui sans plus. Je me suis rendu maître de la logique, de la physique et des mathématiques.

 » Puis je revins à la métaphysique. J’ai lu le livre d’Aristote la concernant, sans rien y comprendre ; le but de son auteur restait pour moi obscur. Je l’ai relu quarante fois, de sorte que je l’ai appris par cœur. Pourtant je ne pouvais pas encore saisir ce qu’il contenait et ne pouvais concevoir la finalité de son auteur »…Ibn Sina explique qu’il acheta, presque malgré lui, au marché des livres, un manuel ayant pour titre : « Fî aghrad kitab mâ ba’d al-tabî‛a » :

في أغراض ما بعد الطبيعة                                                                                                 

(Les intentions de la métaphysique) d’Al-Farabi. En le lisant il finit enfin par en saisir la portée.

A la même période où il surmonta l’obstacle qui faillit le décourager, le Sultan de Bukhârâ fut atteint d’une grave maladie. Sur conseil de ses médecins il fit venir Ibn Sina qui le soigna avec eux. Attaché à son service, il obtint de lui la permission de visiter sa bibliothèque qui consistait en un ensemble de maisons qui contenaient, chacune, une seule science. Il y avait des livres très peu connus. Ibn Sina lit tout ceux qu’il n’avait pu avoir avant. A 18 ans il en avait fini avec toutes les sciences connues de son temps.

Un de ses voisins, Al-‛Arudhî lui demanda un résumé de toutes ces sciences. Il composa, pour lui un recueil qui porte son nom : « Ar- Rissala al aroudhiyya». « الرسالة العروضية » Ce fut sa première œuvre. Toutes les sciences y sont exposées à l’exception des mathématiques. Ibn Sina a alors 21 ans. Un autre voisin Abû Bakr al- Barqî lui demanda un commentaire des livres de philosophie. Il composa pour lui « al-hâsil wa al-mahsûl » (الحاصل والمحصول) en vingt volumes. En morale il écrivit également pour lui « al birr wa al-ithm ». (البر والإثم). Selon Ibn Sina, ces livres ne furent pas recopiés. Son père mourut et le fils, à 22 ans, entreprit une série de pérégrinations pour atterrir à Jurjân où il se lia avec celui qui deviendra son plus fidèle disciple : al-Jûzajâni.

Dans cette ville, Abû Mohammed Al-Shîrāzi, féru de sciences philosophiques, offrit à Ibn Sina une maison à côté de la sienne. Al-Jûzajâni y étudia l’Almageste et écrivit, sous la dictée de son maître « Le Résumé Moyen» de logique. Pour  Al-Shîrāzi, il composa « al-Mabda’ wa al-ma‛âd »(المبدأ والمعاد ) et « al-Arşâd al-kulliyyah» ( الآرصاد الكلية ). Il écrivit d’autres livres et entama le début du «al-Kânûn» (القانون في الطب ), (le Canon en médecine) et le Résumé d’Almageste.

Il se rendit ensuite à al-Rayy – Téhéran – où il se mit au service de la Dame et de son fils Majd al-Dawlah. Celui-ci atteint de mélancolie, fut soigné par Ibn Sina. Il rejoignit ensuite  Shams al-Dawlah et de là   Kazwîn puis  Hamadhan où il fut au service de Kadhbânawayh. Atteint de colique,  Shams al-Dawlah le quémanda pour le soigner ce qu’il fit. De retour à Hamadhan, il accepta d’être ministre, mais l’armée s’opposa à sa nomination. Sa maison fut pillée et lui,  prisonnier, fut conduit par l’armée chez le Prince pour en obtenir l’ordre de l’exécuter. Le prince refusa et se contenta de l’exiler. Après quarante jours vécus en cachette, on vient le solliciter pour soigner Shams al-Dawlah toujours pour son problème de colique. Une fois revenu, le Prince lui présenta ses excuses et le chargea une deuxième fois d’une fonction ministérielle.

Al-Jûzajâni lui demanda de composer un commentaire sur les œuvres d’Aristote. Il s’excusa de ne pouvoir le faire car il avait projeté de composer un livre dans lequel il ferait l’exposé des sciences philosophiques. C’est ainsi qu’il commença la rédaction de son chef-d’œuvre : «Al Shifâ’» en commençant par la physique.

Shams al-Dawlah mourut de sa maladie et son fils, Tâj al-Mulk, fut proclamé Prince. Il proposa à Ibn Sina de rester ministre ce qu’il refusa ayant résolu de se mettre au service de ‛Alâ’ al-Dawlah qu’il avait contacté secrètement. Al-Jûzajâni le pria de compléter le Shifâ’. En deux jours, Ibn Sina écrivit les titres des chapitres de tête. Puis il rédigea chaque chapitre écrivant cinquante feuilles par jour terminant ainsi toute la physique et toute la métaphysique sauf les deux livres sur les animaux et les plantes. Puis il s’attaqua à la logique.

Tâj al-Mulk, informé de l’intention d’Ibn Sina de rejoindre ‛Alâ’ al-Dawlah le fit arrêter et l’enferma dans la forteresse de Fardajân où il allait passer quatre mois. Dans sa cellule, il composa « Al Hidâyât »,  «Hayy ibn Yaqdhan » et le livre de « Colique».

Déguisé en habits de soufi et accompagné de son frère et d’al-Jûzajâni, il se rendit à Ispahan où il fut reçu à la cour de ‛Alâ’al-Dawlah avec tous les égards. Le Prince décida de réunir, tous les vendredis, les savants pour des séances où Ibn Sina s’affirma comme le maître incontesté dans toutes les sciences. Il se mit à achever  le Shifâ’: il composa la partie logique et la partie géographique et astronomique (almageste). Le livre fut achevé sauf pour les parties : botanique et zoologie qu’il composa au cours d’un voyage avec le Prince, voyage au cours duquel il écrivit le «Najat ». Une nuit, à Hamadhan, on parla devant le Prince des lacunes qui existent dans les calendriers faits d’après les anciens calculs astronomiques. Il demanda à  Avicenne de s’en occuper et, disposant de tous les moyens matériels, il se mit au travail.

Son élève rapporte que sa force de copulation domina toutes les autres ce qui, avec l’alcool, affecta  sérieusement sa santé. Au cours d’un déplacement avec le Prince, il fut pris d’une colique atroce. Il se piqua huit fois en un seul jour. Il rentra à Ispahan dans un grand état de faiblesse. Il se soigna lui-même et reprit ses participations aux réunions. Accompagnant le Prince à Hamadhan, il subit une nouvelle attaque. Il négligea de se soigner. Après quelques jours il meurt dans cette ville en plein mois de Ramadan de l’an 428 / 1037 âgé de 58 ans et 7 mois lunaires soit 56 ans, 8 mois et quelques jours solaires.

Les sources suivront la fin de la quatrième et dernière partie.

A suivre…

2 thoughts on “IBN – SINA (Safar 370 / Août 980 – Ramadan 428/ Juin-Juillet 1037). 2ème partie.”
  1. Bonsoir.Un article sérieux, consistant et surement bénéfique pour nos générations montantes. La biographie d’Ibn-Sina(Cheikh el-Raïs) dans les encyclopédies et pages web est trop « latinalisée » et fragmentée. Je dirai même endommagée et déformée puisque dans la plus part de ces encyclopédies en remarque cette « souillure » qui montre qu’il ne s’agissait pas de philosophie « illuminative », mais de philosophie « orientale » ; bref, c’est-à-dire qu’il convenait de lire mashriqīya et non pas mushriqīya.(éclairante) !
    Il faudrait attendre la 3° et 4° partie pour concevoir cette question (Sa Mort évoquée dans la 2°partie). En effet ! Le passé n’est important que lorsqu’il « glisse » un message au présent. Donc la pensée d’abou ali hassen Ibn-Sina ou cet authentique avicennisme latin aussi a t-il survécu au temps ? C’est lui qui a traduit Hippocrate parait il .Pourquoi le chiisme a mieux exploité ses pensées que les sunnites ? Enfin et surtout pourquoi les penseurs fondamentalistes ont une dent dure contre ce philosophe ? Hassane El-Bana et Sayad Kotb ….Madoudi et selon des ouvrages très connus associent une place « grecque après Aristote » à ce personnage pensant et très persan. Fraternellement Mr Senni.

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