IL FAUT SAUVER LE BOUQUINISTE

Peut-on calculer le nombre de supérettes, d’épiceries, de boucheries, de boulangeries, de cafés, de restaurants, et de gargotes à Sidi Bel Abbes ? Difficilement, ils sont trop nombreux.

Peut-on calculer le nombre de librairies et de bibliothèques. Oui, facilement. Les doigts d’une main suffisent.

Peut-on calculer le nombre de cinémas. Très facilement. Ils sont tous morts.

Peut-on ne vivre que de ce que fournissent les épiceries, les boucheries, les boulangeries et les gargotes ? Bien sûr. Mais vivre d’une vie d’abrutis qui n’est en rien différente de celle que mènent les animaux.

Est-ce une fatalité pour la population belabesienne, fille de l’art et de la culture, de ne nourrir que son ventre et ne vivre que pour lui? Évidemment que non, elle mérite un meilleur sort.

Est-ce normal de la part des responsables et des élus locaux de voir l’espace culturel belabesien s’assécher et se réduire comme une peau de chagrin sans réagir ?

Où alors, seraient-ils satisfaits d’une population qui ne lit pas, pour qu’elle ne sache pas, pour qu’elle n’exige pas, pour qu’elle reste prisonnière de sa caverne et ne voir de ses yeux à peine ouverts que l’ombre des marionnettes que les marionnettistes lui imposent ?

Toutes les grandes villes du monde sont fières des nourritures de l’esprit qu’elles offrent à qui y vit ou qui les visite: De leur bibliothèques, de leurs théâtres, de leurs cinémas, de leurs opéras, de leurs librairies et de leurs grandes rues dédiées exclusivement aux bouquins et aux bouquinistes. Même Baghdad la martyrisée, la premiere chose qu’elle a faite quand elle a commencé à revenir à la vie c’était de redonner vie aux commerçants des nourritures de l’esprit, car elle savait que la survie de l’esprit précède toujours celle du corps et que si la population se remet à lire elle peut dépasser ses traumatismes, ses haines et ses rancunes.

Sidi-Bel-Abbes a ses passionnés de la lecture et des livres. Mais ils sont frustrés. Nul part, ils ne peuvent trouver de quoi satisfaire leurs envies des belles lettres et des idées.

Certes il y’a deux librairies, mais elles sont très pauvres pour satisfaire des demandes livresques sérieuses et renouvelées. Certes il y’a une bibliothèque municipale, mais elle infantilise plus qu’elle n’instruit. En revanche, il y’a des trésors cachés chez le particuliers. Un fonds très riche constitué de livres sérieux et précieux qui ne se trouvent dans aucune bibliothèque ni dans aucune librairie. Se fonds immobile ne demande qu’à circuler et à être utile, car à la différence d’un pain, d’un légume ou d’un bout de viande, un seul livre peut nourrir des dizaines d’individus pour peut qu’il puisse changer de mains.

Il ne se trouve dans toute la wilaya de Sidi-Bel-Abbès qu’un seul passeur de livres qui, depuis longtemps, assure ce service d’utilité publique avec des moyens rudimentaires : une carrosse et un parapluie. C’est le bouquiniste Riad Djouhri . Il a fait ses preuves depuis longtemps. Nombreux sont les belabesiens qui lui sont reconnaissants pour les services qu’il rend. Plus nombreux encore sont ceux qui ont réagi favorablement à la demande qu’il a adressé aux autorités locales pour l’aider. Ils trouvent sa demande légitime. Ils la soutiennent. Pourquoi alors ne pas répondre favorablement à sa requête ? Peut être qu’il sera le premier passeur de livres officiellement reconnu qui ouvrira la porte à d’autres. Le premier arbre planté dans un jardin sous l’ombre duquel s’épanouira une jeunesse mieux nourrie et plus rafinée.