De passage à Tours, j’étais attiré par ces grandes banderoles verticales accrochées aux longs des poteaux , des deux cotés du boulevard Heurteloup, un long boulevard qui commence à la fin du boulevard Beranger , un autre grand boulevard, tous les deux traversent une grande partie de la ville du sud-ouest vers le nord-est et ce ,à une centaine de mètres, parallèlement à la Loire. En haut dans chaque banderole et au dessus d’ une grande image retraçant la période coloniale, était écris en gros « Pierre Bourdieu : Images d’Algérie, une Affinité élective » . Vers le bas , il était indiqué que le « jeu de paume organisait cette exposition dans le château de Tours du 16 juin au 4 novembre 2012 ». Je me demandais si cela coïncidait avec la célébration du cinquantenaire en Algérie et en tant que visiteur Algérien dans cette ville et surtout un féru de la photographie que j’étais, j’avais décidé d’aller voir de quoi il s’agissait.Bien sur et au passage,la ville de Tours est probablement l’une des plus belles villes de France que j’ai tant aimé tant qu’elle renferme le plus grand nombre de châteaux et d’espaces verts , de jardins et endroits touristiques inégalés. Dans le guide touristique qu’on vous remet , il est indiqué que « Tours est une ville d’art et d’histoire, une cité Gallo-Romaine », elle était la capitale du Royaume de France renfermant un nombre considérable de châteaux et je vois maintenant pourquoi elle « conserve son statut intemporel de » jardin de la France » et pourquoi les célèbres hommes de cultures, écrivains et autres Balzac, Léonard de Vinci et bien beaucoup d’autres l’ont choisi comme demeure . Au niveau du spacieux centre d’accueil de l’office du tourisme, situé en plein centre et où on m’a remis le guide de la ville avec une multitude de prospectus touristiques ,on vous propose de nombreux sites à visiter y compris une vingtaine de grands châteaux de la Loire et des paysages paradisiaques tel le « Val de Loire » inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco mais j’étais là surtout pour qu’on m’indique le château de tours où se déroulait l’exposition Pierre Bourdieu.Une longue explication me fut donnée sur l’itinéraire pour aller au château de tours situé à quelques centaines de mètres de là.
L’entrée au château était à 3 Euros mais si vous êtes journaliste ou exercez une fonction artistique, c’est la moitié du prix et on vous remet des notices et brochures explicatives sur l’auteur et de ce qui est exposé après acquittement des frais ensuite on vous montre le cheminement à travers les grandes salles d’exposition sur trois étages du château.L’exposition des images d’Algérie occupait le rez-de-chaussée et l’étage supérieur, le troisième étant dédié à une autre exposition de tableaux et d’objets d’art par « les nommés du prix Marcel Duchamp 2012 » . Tous les quatre murs de chaque salle étaient revêtus d’un papier peint blanc mat qui permettait une vision contrastée et de la photo en noir et blanc et de sa légende en noir ou parfois accompagnée d’une longue citation du sociologue écrivain Pierre Bourdieu.Toutes les trois salles se communiquaient entre elles par une petite porte centrale.La prise de photos était interdite et on devinait aisément la crainte des organisateurs et sponsors de ce coté là, car ce qui était exposé semblait avoir une grande valeur artistique tant qu’il retraçait une époque chère à l’auteur.
Il est dit dans le prospectus que cette exposition de cent cinquante tirages en noir et blanc retrace l’époque coloniale de 1958 à 1961 telle que vécue par Pierre Bourdieu. Elle est organisée par l’association « jeu de paume » subventionnée par le ministère de la culture et de la communication à l’occasion de la « célébration du 50 eme anniversaire des accords d’Évian ». Toutes les images du rez-de-chaussée retraçaient une vie sociale des autochtones de la région de Collo alors que d’autres montraient la vie qu’endurait nos concitoyens dans la région de Djebabra, Chelif ,Cheraia et autres localités. L’étage supérieur présentait des images sur le même thème dans la région de Blida.Mais toutes montraient « une Algérie en pleine mutation » telle que visionné par le sociologue Pierre Bourdieu, déclaré comme « adversaire résolu du colonialisme Français et de l’oppression militaire ». »Il voulait témoigner de tout ce qu’il observait, il voulait comprendre un monde social déboussolé et traversé de contradictions et d’anachronismes ». On signale également qu’une grande partie de ces photos enfouies pendant quatre décennies dans des cartons ,n’a été dévoilée au public qu’après la mort de Pierre Bourdieu en 2002. Il était directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales et professeur au collège de France.Bien avant ,il a enseigné à la faculté des lettres d’Alger de 1958 à 1961 alors qu’il était sous les ordres de Robert Lacoste. On dit qu’il avait mobilisé ses étudiants et se lança dans des enquêtes sur la transformation du monde rural et urbain à travers l’Algérie. Assisté par l’un de ses étudiants en la personne de Abdelmalek Sayad, son interprète et conseiller , ils pénétrèrent dans l’Algérie profonde , à la recherche d’éléments d’informations et d’images réelles sur les « terribles regroupements de population que le pouvoir Français a opéré.Bref , tout un parcours d’un appelé du service militaire Français, muté tout d’abord au service psychologique de l’armée de Paris en raison de son refus à suivre une formation d’élèves officier de réserve ensuite réaffecté une deuxième fois à Alger pour raison disciplinaire (il a été trouvé en possession d’un N° censuré du magazine « L’express » qui parlait de la guerre d’Algérie) et de la petite section de surveillance d’un dépôt d’essence à Alger et en raison de ses « capacités rédactionnelles » , il fut affecté dans l’administration sous les ordres de Robert Lacoste.
Un des nombreux extraits apposé à coté d’une image d’Algérie :
La guerre, emportée par sa logique, a dévoilé le vrai visage du système colonial. Tous les faux-semblants et toutes les ambiguïtés s’effondrent ; de là, chez nombre de membres de la société dominante, la peur consciente ou inconsciente de la paix, motivée par la conscience que la guerre a déterminé une mutation irréversible mais qui ne peut venir à l’existence pleine que par la paix ; de là aussi, chez certains, le vœu avoué ou inavoué de la guerre totale aboutissant à la victoire absolue, c’est-à-dire à la restauration de l’ordre des castes dans son intégrité inaltérée. Pour les membres de la caste dominée, le divorce et la contradiction entre la France idéale, souvent passionnément aimée, et la France coloniale, fondant sa domination sur la force et la discrimination, éclate en pleine lumière. Ainsi la guerre, comme répression, tend par sa seule logique ou, si l’on aime mieux, par la force des choses et souvent contre le dessein de ceux qui la font, à révéler à la fois sa propre nature, la nature du système colonial et la France comme puissance coloniale. Le voile est tombé
Pierre Bourdieu « révolution dans la révolution » esprits 1, janvier 1961