Le ministre de la justice a déclaré ce jeudi 22 mai 2014 devant les cadres de l’école supérieure de la magistrature :

« Il est inadmissible de continuer à accepter des candidats à la magistrature avec une moyenne de 07 ou de 08. Des dizaines de promotions ont été formées avec de telles notes. Nous ne pouvons pas former de magistrats avec des niveaux aussi bas….Ce sera une école d’élite et non pas de recalés ».

Oui, tel est l’état de nos magistrats qui prononcent aujourd’hui des jugements au non du peuple. Une déclaration grave dans son contenu qui met en difficulté l’administration de la justice vis-à-vis de la société. Monsieur le ministre de la justice a eu le courage de faire un état des lieux d’une institution, pierre angulaire dans la promotion et la stabilité d’une nation. Jadis, le président Chadli Bendjedid pour des raisons électoralistes a permis l’accès à l’université avec la moyenne de 07 obtenue au baccalauréat. Aujourd’hui, ils ont le titre de professeur, et se permettent d’encadrer nos enfants. L’un juge, l’autre enseigne et le peuple subit.
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Par : Driss Reffas(1)

Il est souvent dit dans le débat public qu’il est «interdit de commenter une décision de justice». Si l’on se réfère au code pénal, il est stipulé dans son article 147, alinéa-2-: «Exposent leurs auteurs aux peines édictées aux alinéas 1 et 2 de l’article 144 (Et puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans de prison et d’une amende de 1000 da à 500.000 da, ou de l’une de ces peines seulement) quiconque à travers. Les actes, paroles ou écrits publics qui tendent à jeter un discrédit sur les décisions juridictionnelles et qui sont de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice, ou à son indépendance». En analysant les termes de cet article, il est très claire que celui qui tend à jeter un discrédit, son acte est intentionnel dans le but de nuire, et de ce fait, il sort du cadre juridictionnel par rapport à un commentaire ou une critique qui s’insère dans un esprit de droit et s’il le faut, reste aussi à l’appréciation d’un débat contradictoire. Ainsi, tout commentaire sain qui s’affiche dans un débat contradictoire sain, aboutit à la rédaction d’une décision de justice de qualité. Dans cette optique, l’article 434-25 du code pénal Français, dont le nôtre est fortement inspiré, il est noté: «Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance…» Puis, complété par un alinéa qui précise: «Les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision. ». Un éclaircissement de droit qui ouvre le chemin pour un commentaire de droit aboutissant obligatoirement à une décision de droit donc de qualité. Le droit est une source de cohésion interne, il cimente les valeurs d’une société humaine et rapproche le justicier du justiciable.
La qualité des décisions de justice permet de faciliter l’accès au juge ; elle offre la possibilité de connaitre et de comprendre notamment la norme de droit créée par la jurisprudence.
Dire que le juge ne doit pas être responsable de ses jugements est non seulement d’une aberration totale mais aussi une des attaques les plus virulentes contre le fondement même de nos institutions démocratiques. En tête de chaque décision de justice (jugement ou arrêt) figure la formule au « nom du peuple », précision de taille d’un état de droit où la démocratie est une garantie constitutionnelle. Le magistrat rédige, motive et conclue au nom du peuple, pierre angulaire d’un état de droit. La justice est rendue au nom du peuple, elle est publique, ainsi elle est assujettie au commentaire de droit donc de qualité. Ce principe de l’état de droit consacré par la constitution, permet à tout citoyen de pouvoir vérifier dans quelles conditions les décisions de justice sont rendues. Il est donc légitime de pouvoir en débattre, comme on peut débattre du bien fondé des lois ou des décisions du gouvernement. A ce titre, maitre B.Jorion avocat et spécialiste en droit public précise : « S’il était interdit de commenter ou de critiquer une décision de justice, aucun professeur de droit ne pourrait faire cours, aucun étudiant de cette discipline ne pourrait rédiger une copie d’examen, aucun avocat ne pourrait plaider une cause et, même, aucun magistrat ne pourrait rendre la justice, tant chaque décision se nourrit de la réflexion sur les précédents. En effet, les différents jugements et arrêts, mis en perspective, constituent la jurisprudence qui est une des sources du droit ».Il est clair que la justice doit accepter sa responsabilité et se remettre en cause pour qu’elle puisse adhérer à la notion de «qualité». Le droit de porter un commentaire critique sur une décision de justice est institutionnalisé avec la possibilité de faire appel d’un jugement ou de se pourvoir en cassation. S’il est possible de contester une décision de justice devant une juridiction de niveau supérieur, c’est précisément parce qu’une telle décision, qui est faillible comme toute œuvre de la justice humaine, est contestable.
Le mandant à travers son avocat, fait appel ou se pourvoit en cassation. L’avocat ne fera rien d’autre dans son mémoire que de commenter dans le droit une décision de justice.
L’évolution progressive dans le développement sociale est soumise à une justice performante de qualité, dénuée du mal humain, celui de la cupidité, de la corruption et de l’abus de pouvoir. La justice c’est le droit, et le droit est une force.
Le droit, il est même l’arme de toute civilisation. Machiavel l’a bien dit: «Il y a deux manières de combattre, l’une par les lois, l’autre par la force: La première sorte est propre aux hommes, la seconde est propre aux bêtes». Le renforcement du droit comme arme de l’épanouissement d’une nation nécessite une mise en valeur juste de la place et du rôle du magistrat qui, tout en restant le symbole de l’autorité de l’Etat de droit, doit aussi être un porte-parole de la société dont il est issu. Il n’existe pas d’arme du droit sans une reconnaissance de l’autorité du magistrat et sans une pleine et entière exécution de ses décisions justes et de qualité. Le magistrat est aussi attaché à l’application concrète et effective du droit et de ses jugements et à leur réception dans l’esprit de la nation. Il est, tout autant qu’une expression du droit, un juge des faits, du dossier, un juge en prise avec les évolutions et la structure de la nation. Dans cet ordre des idées, le magistrat se doit d’assumer pleinement ses responsabilités, énumérées dans son indépendance et son impartialité, forces de droit. Ces deux qualités sont constitutives de l’identité du magistrat. Pour que le droit remplisse sa mission de modération de la puissance du politique, il ne doit pas être qu’une expression de l’État lui-même.
Il doit aussi être une force de protection et de promotion de la nation. Ainsi, on peut mesurer la position sensible du magistrat dans l’évolution de la nation. Certainement, une évolution saine de cette dernière dépend aussi de la qualité de l’appareil judiciaire et de son élément essentiel à savoir le magistrat et la qualité de sa décision. Poser la question de la qualité de la décision de justice amène à s’interroger sur le lien entre justice et la nation. La décision de justice est, en effet, le moyen par lequel le magistrat remplit l’une de ses missions sacrées : Produire du lien social.
Se soucier de la qualité de la décision de justice, c’est aussi se soucier l’appareil judiciaire tout entier, car la qualité des décisions de justice en est la finalité. Si la justice est un service public, tout justiciable est en attente légitime de la qualité du jugement. Dans ce sens, le magistrat doit être à la mesure du droit, et refuse que ce dernier soit porter à sa mesure.
Pour P.MBONGO professeur à la Faculté de droit de Poitiers et à l’Institut d’études politiques de Paris, il aborde la conception de la qualité de la justice comme suit:«Il est assez facile de parler des qualités et des défauts de la justice. Les citoyens et les professionnels ont sur ce sujet des idées puisées dans leurs expériences personnelles ou fondées sur les réactions que suscitent les dysfonctionnements judiciaires. Lenteur, coût, distance, complexité sont les défauts de la justice constamment rappelés. Indépendance et compétence lui sont parfois reconnues. Mais donner une définition du concept de qualité de la justice est beaucoup plus difficile et peu s’y risquent. Cela tient sans doute au fait que la notion de « qualité de la justice » est la synthèse complexe de facteurs nombreux, relevant de plans différents et qui ne peuvent tous être saisis par les mêmes outils. Ceci pourrait se traduire par l’idée que la qualité de la justice est comparable à un triangle, dont les côtés seraient l’efficacité, l’éthique et la légitimité. Seraient alors conformes à une justice de qualité le système judiciaire national et les procédures, le tribunal et les juges (pris individuellement), qui se situeraient à l’intérieur du domaine ainsi délimité. Ces trois facteurs principaux sont unis entre eux par des interactions réciproques qui marquent leurs rôles convergents dans la construction d’une justice de qualité.
Cette interactivité doit être prise en compte chaque fois que les responsables en charge de la justice entendent agir sur l’un de ses éléments ou constatent sa modification ». Ce qui nous amène à comprendre que la qualité d’une décision de justice offre la possibilité de connaître et de comprendre notamment la norme de droit créée d’une part par la jurisprudence, et d’autre part par le temps nécessaire a apprécié les éléments du dossier constitutifs de la notion de la preuve ou du motif. De ce fait, le justiciable et au vu d’une décision de justice bien rédigée, bien motivée, bien comprise c’est-à-dire de qualité, peut enjamber les recours (appel, pourvoi en cassation). Dans cet état d’esprit, la décision est garant de la légitimité du magistrat et de la confiance placée en lui. Le seul souci du magistrat, c’est de fonder et de motiver sa décision qui peut avoir un impact direct sur la vie du citoyen justiciable. Prononcer une décision de justice de qualité, est une forme de respect pour le justiciable. Ainsi, une décision de justice de qualité ne peut se fonder que sur des preuves recherchées et produites dans le respect du droit, et contradictoirement discutées. Une décision de justice de qualité définit la compétence du magistrat et l’éloigne de la faute et toutes ses répercussions sur le justiciable. En termes clairs, lorsqu’on s’éloigne de la qualité, cela veut dire que la compétence n’est pas acquise, et de ce fait on flirt avec la faute. On ne peut pas obliger quelqu’un à faire mieux s’il n’a qu’une habilité limitée qu’il exploite déjà totalement. Là, intervient l’évaluation du magistrat à travers ses décisions rendues et l’orienter selon ses capacités. Cette règle universelle qui doit s’appliquer à tout professionnel, est indiquée encore plus au magistrat. Ce dernier exerce une telle responsabilité, dispose d’un tel pouvoir en matière pénale, que les exigences à son égard doivent être maximales. Alors, il est exigé de lui des attitudes professionnelles de haut niveau. Si le droit de commenter une décision de justice est d’actualité de par le monde, cela tient vraisemblablement au fait que les décisions rendues ne correspondent, ni en droit ni en fait, aux attentes légitimes des justiciables, conscients que leurs droits n’ont pas été respectés, soit les jugements prononcés, mêmes justifiés au regard des lois en vigueur, n’ont pas reçu l’adhésion des populations concernées pour la simple raison qu’ils ne correspondent pas à l’idée de justice, en tant que représentation sociale d’une nation évolutive.
Les indicateurs d’une décision de qualité sont connus, et de fait, le justiciable attend des magistrats, un jugement ponctuel dans ses délais, clair dans sa motivation, juste, prévisible et sûr dans sa solution, précis, adapté et exécutable dans son dispositif. En conclusion, il est utile de soulever une partie du discours du chancelier d’Aguesseau(2) prononcé en 1708 aux juges du parlement de Paris: « Vouloir paraître juste sans l’être en effet, c’est le comble de l’injustice ; et c’est en même temps le dernier degré de l’illusion. Il est des impostures qui éblouissent d’abord, mais il n’en est point qui réussissent longtemps ; et l’expérience de tous les siècles nous apprend que pour paraître homme de bien, il faut l’être véritablement» « …. espérez moins encore que le reste des hommes, de surprendre le Jugement du Public. Élevés au-dessus des Peuples qui environnent votre Tribunal, vous n’en êtes que plus exposés à leurs regards. Vous jugez leurs différends, mais ils jugent votre justice. Le public vous voit à découvert au grand jour que votre Dignité semble répandre autour de vous ; et tel est le bonheur ou le malheur de votre condition, que vous ne sauriez cacher ni vos vertus ni vos défauts».
La recherche de la qualité des décisions de justice est nécessaire, car c’est un élément de confiance des citoyens dans le fonctionnement de la justice, et une composante du droit au procès équitable consacré par la constitution et la convention des droits de l’homme.
En dehors de la justice divine où tout commentaire est banni, la justice instaurée par l’homme, appartient à toute une nation qui la guide pour prévenir tout dérapage entraînant des conséquences souvent irrémédiables. La qualité d’une décision de justice peut déduire de l’ultime conviction du magistrat, à condition que ce dernier ne se limite pas aux auditions établies par les services de la police ou de la gendarmerie, et des conclusions du juge d’instruction. Pour le magistrat de qualité, l’audience est une deuxième instruction. Ainsi, l’erreur peut être évitée pour une décision de justice de qualité. L’épanouissement social, culturel et politique d’une nation est fortement lié à une justice de qualité.

(1): Président du conseil régional de l’ordre des chirurgiens dentistes, conseiller national
Notes:
– «En quoi consiste la faute d’un magistrat» – Michel Huyette- (Magistrat-Conseiller à la cour d’appel de Toulouse)
-« L’arme de doit »- J.M. Sauvé-(Vice Président du conseil d’état- France-)
– «Pourquoi on peut commenter une décision de justice»- Maître Eolas- (Barreau de Paris)
– «La qualité des décisions de justice-Etudes réunies»- P.Mbongo- (Professeur à la faculté de droit de Poitiers- France-)
– Code Pénal Algérien.
– Code pénal Français.
(2)- Procureur général au parlement de Paris (1700), il soutint les parlementaires dans leur lutte contre Louis XIV lors de la réception en France de la bulle Unigenitus (1715). Nommé chancelier par le Régent (1717), il rédigea des grandes ordonnances sur les donations (1731), les testaments (1735) et les substitutions (1747), dont certaines dispositions sont passées dans le Code civil. Privé des sceaux de 1718 à 1720 et de 1722 à 1737 pour s’être opposé à Law puis à Dubois, il démissionna en 1750. (source : Larousse)