L’anniversaire de la Moubayaâ doit être aussi un évènement pour étaler les vérités.
Dr Driss REFFAS
« Tout homme dévoué à son pays doit payer à sa patrie son tribut de patriotisme en lui disant tout ce qu’il croit, en sa conscience, être la vérité ».(Sully).
Alexandre Dumas écrivit : « On peut violer l’histoire, à condition de lui faire de beaux enfants ». Cette réflexion résume l’état d’esprit avec lequel le romancier peut enrichir un évènement historique pour une meilleure édition destinée à la consommation littéraire. Pour mieux cadrer la notion de l’écriture de l’histoire, je cite les frères Goncout qui résumaient : « L’histoire est un roman qui a été, le roman est une histoire qui aurait pu être ». J’ajoute, en l’absence de faits qui contiennent une actualité avérée dans le passé, le roman historique fertilise un évènement en lui préservant son âme. De là, se dégage les particularités de l’être humain qu’est l’historien dans l’écriture de l’histoire. Je considère l’écriture de l’histoire comme étant un serment, une affirmation solennelle en vue d’attester la vérité d’un fait quelque soit sa retombée, soit-elle négative sur le cheminement de la société.
En consultant les différents écrits sur l’épopée de l’Émir Abdelkader, je me suis égaré en fin de parcours. chez beaucoup d’auteurs et historiens, j’ai senti un manque d’objectivisme qui aboutit à l’échec de la vérité. L’historien, son rôle est de retrouver des informations à travers multitudes sources , et d’essayer d’étaler la vérité autour d’une analyse dénuée de tout sentiment subjectif. Ainsi, l’histoire est la production de la vérité.L’histoire se veut un discours obéissant à une recherche objective.L’histoire ne se limite pas à la narration du passé, mais plutôt la connaissance du passé avec la méthode rigoureuse, c’est à dire scientifique. Souvent, on constate que l’historien met en exergue un évènement historique dans le présent. Un passé raconté par un individu qui vit dans le présent. L’environnement du présent, politique, économique, social, influe sur l’historien, ce qui le pousse à flirter avec le subjectivisme qui dénature le réel au profit du sentiment.
L’Émir Abdelkader, est une partie intégrante de l’histoire de l’Algérie contemporaine.Un soulèvement qui garantit la continuité du refus ancestral du numide face à la présence étrangère. Parfois, le héros négocie son histoire au
détriment de son engagement initial. Certains paramètres inattendus fragilisent ses desseins patriotiques , jusqu’à négocier l’arrêt de son combat. Il se soumet à son ennemi d’hier pour devenir son protecteur pour le reste de son vivant.
Syphax, Massina, Yugurtha, L’évêque Donat, l’évêque Saint Augustin, Kahina, Koceyla… l’Émir Abdelkader, Cheikh Bouamama, Fatma N’soumer, Messali Hadj, Larbi Ben M’hidi, Ahmed Zabana, Zighout Youcef, Abbane Ramadane,
quantifient la résistance de l’Algérien face à l’indu occupant. Chaque résistance, limitée dans le temps, son passage est inscrit dans l’histoire de la nation. Seule la vérité peut mettre de l’ordre.
Le 27 décembre 1847, L’Émir Abdelkader trahi par ses siens, a pris une importante décision. Une décision d’un guerrier abattu, démoralisé, désavoué par ses propres tribus, chassé de son territoire par le colonisateur et du
territoire de l’ami et frère de sang le sultan Moulay Abderahmane. Ce dernier, après sa sanglante défaite dans la bataille d’Isly, a approuvé et signé le traité de Tanger rédigé par Bugeaud qui n’a jamais eu l’honneur de capturer ou de défaire l’Émir Abdelkader. Moulay Abderahmane, pour la survie de son sultanat a lâché l’Émir Abdelkader et fermé ses frontières. Le traité de Tanger demeure une honte pour le Royaume du Maroc. Un fait qui laisse une trace indélébile dans l’histoire du royaume et de ses relations avec son pays voisin.
L’Émir Abdelkader, après quinze années de résistance au cours desquelles il a défait un nombre conséquent de généraux issus de grandes écoles de guerre, a négocié sa reddition pour effacer d’un revers de main son passé de guerrier. Il n’a pas supporté les trahisons, surtout celles venues des tribus qui ont combattu à ses côtés, de son khalifa du Sebaou Sid Ahmed Bensalem en février 1847, du sultan du Maroc et enfin les plus dures à accepter , celles de ses proches immédiats au cours de la dernière bataille livrée face aux troupes du sultan du maroc, et enfin
de ses deux frères aînés la veille de sa reddition. Dans ce cas précis, c’est à dire celle de ses deux frères, sa mère Fatma Zohra n’a –t-elle pas été complice ? Une question qui mérite réflexion de la part des historiens en empruntant
sérieusement et sans précipitation les conditions dans lesquelles se trouvait son environnement pendant son séjour au Maroc, et le refus des tribus Algériennes de poursuivre le combat. La Deira était coupée du reste du monde, encerclée par les troupes du Sultan et ceux du général De Lamoricière.
Pour conforter mon analyse sur les difficultés rencontrées par l’Émir, je vous livre l’entretien de Jacques Frémaux(1), professeur d’histoire à l’Université Paris-IV Sorbonne, accordé au Quotidien d’Oran le 29 août 2016. Il précise :
« Les officiers(Français) ont senti, très tôt, l’intérêt d’avoir à leurs côtés des hommes du pays, parlant ses langues, connaissant à fond son relief, ses chemins, les terrains de parcours des tribus nomades, ou les villages des montagnards, rompus à une guerre de surprise et de coups de mains. Il apparaît vite qu’il n’est pas possible de mobiliser et d’entraîner selon le système français de tels hommes, qui répugnent profondément à la vie de caserne, comme à l’idée de se lier par un contrat de longue durée qu’ils jugent attentatoire à leur liberté. En revanche, nombre de ces hommes, attirés par le métier des armes ou l’attrait du butin, sont prêts à se mettre aux ordres de chefs français pour des opérations définies.
Quelques tribus, anciennement au service des Turcs, et menacées à ce titre de perdre leurs privilèges par l’entreprise d’Abdelkader, s’allient très vite aux nouveaux conquérants, la plus célèbre étant celle des Douaïr et Sméla des environs d’Oran, dont le chef, Mustapha ben Ismaël, reçoit même le titre de général de brigade à titre étranger. Par ailleurs, les officiers des bureaux arabes savent admirablement user de leur familiarité avec les traditions locales pour attirer dans leur sillage nombre de guerriers, des chefs ralliés ou leurs fils, chargés d’opérer à la tête des cavaliers de leurs tribus (goums), et des personnages plus humbles, qui constituent leur garde permanente.
Ainsi se constituent des corps dits de « partisans », qui forment le « maghzen », un terme qui, à l’époque turque, désignait les tribus attachées à ce service. Très tôt aussi, les commandants en chef français ont cherché à lever en Algérie des unités régulières. Les zouaves qui, comme on le sait, tirent leur nom de la confédération kabyle des Zouaoua, dans laquelle les gouverneurs français avaient souhaité, à l’instar des beys tunisiens, tirer des soldats, sont vite devenus une troupe à recrutement exclusivement français, troupe d’élite du reste. En revanche, des bataillons de tirailleurs et des escadrons de spahis ont pu être assez rapidement organisés, d’abord avec un statut de supplétifs, puis, dès 1841, avec un statut régulier. Au départ, cependant, ces troupes indigènes ont peu de prestige. Selon le futur général Ducrot, le bataillon d’Alger est un «fléau», et ses hommes ne se distinguent, quand ils ne désertent pas, que par leur penchant aux rixes et aux vols. Il déclare même : « Il est honteux pour nous de faire entrer dans notre armée le rebut de la population indigène». Les campagnes de Crimée et d’Italie commencent à rehausser le prestige des «Turcos», qui sera définitivement consacré par leur conduite à Wissembourg et surtout à
Frœschwiller,en1870.
Quoiqu’il en soit, l’appoint des forces indigènes n’est pas du tout négligeable. L’effectif des réguliers, environ 3 500 hommes en 1841, s’élève à près de 10 000 en 1843, pour revenir à 7 000 en 1847. Il sera de 12 000 hommes pendant la campagne de Kabylie. Le nombre des guerriers non inscrits dans des formations régulières est également important. Pour la seule province d’Alger vers 1850, une force permanente d’environ un millier d’hommes était à la disposition des autorités militaires. Pour les trois provinces, cela constituerait un minimum de 3 000 hommes, un maximum de 5 000. Ainsi, les indigènes représentent-ils, au total, bon an mal an, un chiffre approximatif de 10 000 hommes, soit à peu près le dixième des troupes françaises. Outre l’appui matériel, les chefs français attendent de cette participation un effet moral. « Il n’est pas, souligne un observateur, de tribu qui ne compte quelques-uns de ses enfants sous notre drapeau », ce qui constitue « une puissance considérable au service des idées que nous voulons propager dans la population arabe». Il faut ajouter que, à ces effectifs permanents peuvent s’ajouter les goums, c’est-à- dire les combattants des tribus réquisitionnés pour une mission précise, et commandés par leurs caïds ou leurs cheikhs, sous le contrôle des officiers de bureaux arabes.
Utiles pour le service d’éclaireurs, ils sont d’une médiocre combativité, mais leur mobilisation aux côtés des colonnes françaises a du moins l’intérêt de les soustraire à la tentation de rejoindre le camp adverse. » et d’ajouter : « La défaite de L’Émir Abdelkader, s’explique surtout par le manque de moyens. Vu le caractère très récent de son pouvoir, l’Émir n’avait jamais eu d’autorité réelle que sur la partie centrale et occidentale de l’Algérie, à l’exception de toute la moitié orientale. Il n’a jamais pu mettre en ligne plus de 15 000 hommes, contre une armée de 80 000 hommes en moyenne. À l’exception d’un petit noyau de troupes régulières, dont ni l’armement, ni l’équipement, ni l’entraînement, ne pouvaient se comparer à celui des armées européennes. La majorité de ses combattants se composait de guerriers des tribus, d’une endurance et d’un courage à toute épreuve, mais très mal armés, dont les dispositions tactiques se résumaient à l’attaque par vagues, à cheval ou à pied, ou à la défense de positions naturelles, sans guère de capacité de manœuvres. L’appui de ces guerriers des tribus ne pouvait être d’une durée indéfinie, étant donné la vulnérabilité des paysans algériens, forcés de se soumettre sous peine de perdre leurs récoltes et leurs troupeaux, systématiquement détruits ou pillés par les colonnes françaises. À mesure que les opérations se prolongeaient, bien des notables choisirent de se soumettre à la France, soit par découragement, soit par ambition. Enfin, l’Émir n’a pas pu compter sur des appuis extérieurs.
Ni le Maroc, ni la Régence de Tunis, ni l’empire ottoman n’avaient les moyens de s’opposer à la France. » En plus de l’analyse de l’historien Jacques Frémaux, J’ajoute que la Smala était un véritable handicap dans la poursuite du combat. Repoussée vers le sud, la ville itinérante a été coupée de la logistique fournie par les tribus. Même ces
dernières, persécutées par Bugeaud ne répondaient plus à la demande de l’Émir. La constitution de la Smala après la chute de Mascara, a-t- elle été une décision réfléchie ? Le comportement de l’Emir et de sa cour ont –t-ils été toléré par la population de la smala ? Le traité de la Tafna, n’était-il pas une stratégie de Bugeaud pour contenir momentanément l’Émir Abdelkader afin de s’occuper des révoltes dans le constantinois, et aussi apprécier ses capacités militaires à travers les rapports du consul Daumas à Mascara ? Un questionnement qui mérite une profonde réflexion d’ordre scientifique. Les sentiments et les appartenances n’ont pas de place dans l’écriture de l’histoire.En quittant définitivement l’Algérie, L’Émir Abdelkader a tourné le dos à son passé de résistant face à l’empire Français.
Dr Driss Reffas
Bonjour si Abdelkader.
Vous dites un historien, un vrai.Je sais qu’il existe l’historien qui possèdent un diplôme universitaire.Maintenant, s’il est vrai ou autre chose, je ne peux pas vous répondre. En ce qui me concerne, je ne suis pas un historien. Je m’intéresse à l’histoire, et mes capacités intellectuelles moyennes soient-elles, me permettent de faire une analyse à travers mes différentes lectures. Y-a-t-il eu reddition? Il y eu moult interprétations de la part d’historiens, d’intellectuels et de fervents défenseurs de l’Emir.Si Abdelkader, s’il existe un autre terme qui peut remplacer le mot ‘reddition’ afin de ne pas écorcher les sentiments et replacer l’Emir Abdelkader dans un autre contexte historique « acceptable » pour les uns, et définitif pour les autres, il faut le remettre à l’académie française pour approbation,ainsi on pourra réaliser un long métrage cinématographique qui aura certainement la palme d’or du festival de Cannes.Ce qui est sûre, l’Emir Abdelkader en 1852 a participé au suffrage universel pour la réhabilitation de l’Empire qu’il a combattu.Napoléon III et l’Emir sont devenus de grands amis.Maintenant, reste aux « vrais » historiens de nous éclairer sur la reddition.Merci si Abdelkader.
lire: qui possède au lieu et place de qui « possèdent »
Bonjour Dr Reffas !
Encore une énième fois, on revient à cette fameuse moubayaa de l’Emir Abdelkader, alors y-at-il quelqu’un (je parle d’un historien, un vrai) qui peut nous éclairer sur ce qui s’est passé autour de cette réédition de l’Emir Abdelkader? D’ailleurs, y-a-t-il eu réédition?