Durant la guerre de libération nationale, l’engagement de la femme Algérienne mobilisa l’opinion publique nationale et internationale. Les femmes acquises à la cause nationale bien avant le déclenchement de la guerre, ont joué un rôle prépondérant dans la sensibilisation de la femme analphabète, vouée aux travaux de la terre au niveau des campagnes et au service quotidien de l’homme. Du point de vue sociologique, l’Algérien ne considérait pas la valeur du militantisme de la femme. Il ne l’a facilité ni dans les textes ni dans les actes. Il a canalisé l’acte de la femme dans le strict respect des conditions environnementales et religieuses. Elle était confinée dans un statut social subalterne qui exigeait son absence dans le monde extérieur. Pendant la colonisation, quand les besoins l’exigeaient, elle assumait le travail peu valorisant et très mal rémunéré. Dans ce cas précis, le contact avec le monde extérieur n’était pas le désir pour une plénitude ou une éclosion de mérite, mais exclusivement pour un besoin de survie.
En 1954, la population algérienne comptait environ 92% d’analphabètes. A peu près 4,5% de femmes étaient plus ou moins alphabétisées, et qui ont fréquenté dans leur majorité la médersa , école privée qui dispensait un enseignement primaire en arabe. Cette dernière, était fondée par des associations culturelles à caractère religieuse. Malheureusement, la fille abandonnait la médersa dès sa puberté pour se préparer au mariage. Dans ces établissements privés, le programme consistait à l’apprentissage du coran, de la grammaire, de la géographie et de l’histoire de l’islam uniquement. L’enseignement de l’histoire de l’Algérie n’était pas permis par l’administration coloniale. Ecrire et lire l’arabe permettaient déjà l’appréciation de l’identité Algérienne dans le concept colonial établi. L’autorité coloniale quantifia l’incidence de la médersa sur le sentiment nationale pour entamer sa fermeture au début de la guerre . Rares, sont les filles qui ont accédées à l’enseignement secondaire. Le peu, appartenaient à des familles dont le rang social était presque au niveau des européens. Aussi, les filles dont les parents ont servi dans l’armée française , ou ont siégé au niveau des assemblées élues.
La jeune femme Algérienne, sensibilisée à travers sa marginalisation à l’accès du savoir par rapport à l’Européenne, accusait une double exclusion de la vie politique au début des années trente, d’une part par l’autorité coloniale et d’autre part les partis politiques engagés dans l’opposition. Le PPA/MTLD( Parti du peuple Algérien/ Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), et le PCA (Parti communiste Algérien) étaient les deux seuls partis d’opposition où la femme Algérienne pouvait partiellement s’exprimer. Son rôle était restreint à l’activité sociale d’ordre humanitaire.
Lors du meeting organisé par le congrès musulman Algérien le 02 août 1936 , Messali Hadj au cours de son discours distingua la présence de la femme dans la foule : « Mes frères et mes sœurs, car j’ai remarqué que, dans ce meeting, il y avait aussi des femmes venues pour entendre la voix du peuple . »
En 1954, dix huit ans après, à la veille de la tenue du congrès d’Hornu(1), Messali Hadj adressa un message au bureau politique du MTLD : « Le problème de la femme sera également étudié avec soin. La femme algérienne doit effectivement participer, d’une manière active, à la lutte pour la libération du pays. Etant donné la délicatesse et la fragilité de ce problème, il importe de l’aborder avec beaucoup de prudence et de précaution, car le passé de l’AFMA( Association des Femmes Musulmanes Algériennes) est suffisamment vivant dans la pensée du parti pour nous inciter à lui accorder toute la considération voulue. » Entre les deux discours, on sent l’empreinte des militantes du PPA/MTLD, peu nombreuses, mais très efficaces. Elles ont su, et ce malgré les tabous, à s’imposer pour ériger une association féminine au sein du parti pour se libérer de l’influence masculine. Bien avant la mise en place de l’association, des cellules féminines ont été créées au sein du PPA, constituées sur le même modèle que celles des hommes. Elles étaient composées de cinq militantes qui se réunissaient clandestinement. Fin 1946, Alger comptait cinq cellules du PPA. Ces femmes, dont la plus part sont issues de familles nationalistes étaient d’un bon niveau d’instruction ( enseignantes de médersa, lycéennes ou étudiantes). Leur but était de transmettre leur prise de conscience politique aux femmes algériennes.
En février 1947, le PPA en clandestinité a décidé de renforcer le mouvement légal à savoir le MTLD pour préparer les élections municipales d’octobre de la même année, tout en gardant son emprise sur l’aspect politique. De cette décision, les militantes du parti PPA/MTLD décidèrent de sortir de la clandestinité qui limitait leur action, et de créer en juillet 1947 l’Association des Femmes Musulmanes Algériennes(AFMA) présidée par Mamia Chentouf, et assistée par Nefissa Hamoud, étudiante en médecine.Elles étaient militantes de la première heure au sein du PPA. Le siège de l’AFMA était établi à la Casbah, 1 rue Marengo, lieu du cabinet de consultation de la présidente, sage-femme de profession. A ses débuts, l’association n’arrivait à s’implanter que dans trois villes(Alger, Oran, Tlemcen) où la femme algérienne avait la possibilité de côtoyer le monde du travail. La sensibilisation de proximité était l’arme secrète de l’association. A Tlemcen, et au cours du mariage de la militante Fatima Zekkal, responsable de la cellule PPA à El Biar, avec Abdelkrim Benosmane , quinze adhérentes furent recensées pour créer la section de l’AFMA.Les militantes, profitant de la légalité de l’association, intervenaient dans les fêtes familiales( mariages, fiançailles, circoncisions, anniversaires..) et fêtes religieuses pour sensibiliser les femmes autour de la question nationale à travers des discours politiques , et procéder en parallèle au recrutement des adhérentes. Au cours des campagnes de sensibilisation, les responsables de l’AFMA ont noué le contact avec les femmes militantes de l’UFA (l’Union des Femmes Algériennes) d’obédience communiste, déjà installée depuis 1944.Les femmes militantes du parti communiste algérien sont à l’origine de la naissance de l’UFA. C’est grâce à cette dernière que l’AFMA s’affilia en 1952 à la fédération internationale des femmes (FDI). Même après la dissolution de l’AFMA en novembre 1954, et durant toute la guerre, une délégation assistait aux congrès de la FDI. Contrairement à l’AFMA qui regroupait des militantes Algériennes arabo-musulmanes, l’UFA rassemblait les femmes algériennes de différentes races et religions. Aussi, les cellules étaient mixtes (hommes et femmes).Les rares communistes algériennes musulmanes qui ont adhéré au PCA venaient de l’université. Elles étaient attirées par le discours très développé sur le nationalisme qu’offraient les cadres du PCA. Malgré les différences remarquées au niveau social, religieux et d’instruction, la majorité des femmes algériennes des deux associations (AFMA-UFA) militaient pour un seul but, à savoir la sensibilisation de proximité autour du colonialisme. Le journal « Femmes d’Algérie » de l’UFA, relatait les activités de l’AFMA.D’ailleurs, les deux associations célébraient en commun la journée de la femme jusqu’à leur disparition de la scène politique.
En 1947 , l’UFA organise à l’Opéra d’Alger(TNA Mahiedine Bachtarzi actuellement), un meeting avec la participation de l’orchestre de Myriem Fekkaï(2). La salle était pleine à craquer de femmes Algériennes non Européennes. Le discours tenu était axé sur le droit de vote pour les algériennes. Au même instant, à Sidi Bel Abbès, un grand nombre ( un millier selon Lucette Hadj Ali(3), secrétaire de l’UFA) de femmes voilées algériennes organisèrent une marche silencieuse pour aller déposer une motion pour le droit de vote au niveau de la sous-préfecture. L’implantation du PCA à Sidi Bel Abbès était très forte. En 1958 , et devant la forte pression du militantisme de la femme algérienne, l’administration coloniale a mis en application l’article 4 (droit de vote de la femme algérienne) du statut de l’Algérie promulgué le 20 septembre 1947.
Il faut reconnaitre, que les deux associations féminines issues des deux différents partis d’opposition, ont été à l’avant-garde de la difficile sensibilisation de la femme algérienne autour du colonialisme. Oui, il faut aussi admettre le courage manifesté par ces militantes, malgré l’environnement social, culturel et économique défavorable à leur éclosion. Dès le déclenchement de la révolution, la femme algérienne déjà sensibilisée, a rejoins le maquis. On peut citer, Fatima Benosmane, arrêtée et torturée en février 1957. Nefissa Hamoud, premier médecin à rejoindre le maquis dès 1955, et bien d’autres femmes anonymes qui sont tombées au champ d’honneur. Les deux militantes suscitées ont occupé respectivement les postes de présidente et de secrétaire générale au sein de l’UNFA de 1965 à 1969.
Par : Dr Driss REFFAS
(+) : Résumé de la conférence présentée le 11décembre 2013 à la salle de conférence de la wilaya de Sidi Bel Abbès.
Notes :
-L’Etoile Nord Africaine, et le mouvement national Algérien-Actes du colloque tenu au centre culturel algérien de Paris du 27 février au 1mars 1987.Editions ANEP 2000
-L’Algérie des Algérien-Mahfoud Keddache-Edif 2000- Paris Méditerranée.
-Les mémoires de Messali Hadj 1898-1938.Ed J.C Lattès-Paris 1982
– Femmes au combat-D.D.Amrane Minne-Ed Rahma 1993
(1) Localité en Belgique
(2) Chanteuse de Hawzi et Andalous. Née en 1889, décédée en juillet 1961
(3) Epouse du camarade Bachir Hadj Ali, ex responsable du PCA et membre fondateur du PAGS(Parti de l’Avant-Garde Socialiste) en 1966.Lucette Hadj Ali était membre du CDL(Combattants de la Libération) au sein du PCA, et intégré au FLN en juillet 1956.