Cette fraction des lundis de l’Histoire, s’inscrit elle aussi dans la continuité d’une étude longue et permanente sur la connaissance du passé de cette ville coloniale qu’est Sidi-Bel-Abbès. En 1843, la redoute a été le premier composant d’une grande stratégie militaire coloniale, qui a fait que cette ville pénètre doucement de l’extérieur à l’intérieur de l’Histoire contemporaine de l’Algérie. Il est donc évident qu’on s’y intéresse. Du moins, d’un point de vue historique. La colonisation et la guerre marchaient vraiment ensemble. On ne le répétera jamais assez. D’un coté, le général Lamoricière qui multipliait ses sorties en bivouac pour scruter tout le territoire de l’Oranie. De l’autre coté, les forces de l’Emir Abdelkader bâtaient de l’aile. Il faut bien le reconnaitre. L’Émir, avec son projet bien né, au traité de la Tafna le 30 avril 1837, ne pouvait continuer à garantir la protection du territoire des Beni-Ameur.
Du haut de leur observatoire, les officiers du service du génie militaire préméditaient déjà, les calculs topographiques pour obtenir des résultats chiffrés et installer ainsi une redoute principale et « capitale » pour ainsi dire au cœur de la région de la Mekerra
Donc, une première question s’impose. Quel était l’endroit exact de cette redoute ? On sait, que le choix dans l’ensemble avait plusieurs paramètres. Mais cette question nous renvoie directement au réel d’un espace qui est le notre (Patrimoine). Mais, en répondant à cette question, on comprendra mieux pourquoi Sidi-Bel-Abbès est devenue une grande ville. La deuxième question est beaucoup plus difficile qu’on le pense. Elle s’intéresse à la toponymie. En effet, cette redoute a pris le nom de Sidi-Bel-Abbès. De ce fait, donner un caractère durable et permanent à un projet, n’est certainement pas un cas de simpliste. Puisque les premiers documents attestent que le premier nom de cette redoute à un détail près, était bel et bien Sidi-Bel-Abbès.
Depuis le début de l’invasion française en 1830. Les militaires français n’ont fait qu’appliquer la stratégie d’une expansion par étapes, mais aussi à trois niveaux : Est, centre et ouest. En Oranie, voici venu, le tour de la seconde ligne d’occupation. Cette tâche, a été confiée d’abord au maréchal Clauzel, venu tout droit des Etats-Unis d’Amérique. Ensuite, vint le général Bugeaud avec sa politique de terre brulée, va ainsi créer des gîtes d’étapes sur les pistes de routes déjà existantes. C’est Lamoricière commandant de la division d’Oran qui va poursuivre cette stratégie en traçant des camps de reconnaissances et d’observatoires à travers l’axe routier Est-Ouest et nord-sud. La création de la redoute s’inscrit dans cette logique qui sert en même temps pour surveiller la population locale.
Mais, à partir de 1843, c’est l’occupation totale qui devient la ligne de conduite de l’armée coloniale. Par conséquent, la mission du Cdt Bedeau était beaucoup plus hasardeuse puisqu’elle consistait à installer une redoute dans un gite déjà existant, mais dangereux à quelques mètre de la rive droite de la Mekerra. Le site ou fut élevé l’emplacement de cette redoute était déjà choisi, étant un terrain de bivouac. A cet endroit bien précis la Mekerra serpente un grand virage à droite, elle ralentit sa course. Le site, se trouvait dans la rive droite de la Mekerra, donc à la portée d’une offensive de la résistance de la population locale venue de l’Ouest ou surtout le sud. Apparemment, c’était le plus important camp militaire jamais réalisé parmi les gites établis dans le trajet nord-sud jusqu’à Sidi-Ali Benyoub à tel point que selon certains généraux ce camp était appelé à une haute destinée. Un projet, on le sait contré par Bugeaud.
Pour bien situer et comprendre les enjeux stratégiques de cet événement, il faudrait bien évidemment observer les documents d’archives de cette époque surtout les plans topographiques. Si pour la majorité des lecteurs, une carte et un plan désignent le même document, les cartographes font effectivement une distinction. Une carte est un document à petite échelle. C’est-à-dire lorsque les objets sur la carte sont petits, comme c’est le cas de notre redoute. Les objets sur le plan sont ainsi grands et très détaillés, ils se rapprochent plus de l’échelle originale. Le relief des cartes topographiques est représenté par un système de courbes de niveau et même dans certaines circonstances par des ombrages Cette configuration, nous permet d’apprécier rapidement la pente du terrain. Notons aussi, qu’avec l’échelle de la représentation à laquelle la carte est dessinée, on peut même mesurer la distance entre les points qui nous intéressent.
L’installation consistait non seulement à construire à la hâte une redoute, mais surtout un pont sur la Mekerra. Cette redoute ne s’est pas construite sur le modèle de l’époque. C’est-à-dire une fortification en quadrilatère avec quatre angles. Cette redoute était en forme d’un triangle équilatérale avec trois angles saillants. Son angle du nord, a plusieurs particularités. D’abord, il nous cache la porte de la redoute dans une courbe au tournant gauche. L’interprétation ne peut pas prêter à la confusion. C’est évident la force de la redoute vient du nord. C’est-à-dire Oran. Il est évident que le choix de la rive est un choix « tactique ». La redoute qui était censé être un espace de défense, fut pourtant construite dans une zone base. Ces plans nous donne pratiquement tout les détails (…) même ceux concernant le parc des Chevaux, bœufs et autres éléments en dehors du camp. Notons, que cette redoute sera détruite six années plus tard. Parce qu’il fallait construire les casernes définitives. Les trois quart au moins de sa superficie, seront enfermés dans les murailles de la futur ville.
Bref, le plus important se passait en dehors de cette redoute. En effet, en observant bien les différents plans de l’installation et la réalisation de cette redoute en 1843.On peut relever beaucoup de détails qui font l’Histoire de cette redoute. D’abord, le pont à quelques mètres de la redoute. Ce pont à été construit trois fois en un intervalle de 40 ans. Apparemment ce pont était l’ancêtre de celui qui se trouve aujourd’hui à la cité Perrin. Donc, juste à la rentrée de ce que les Bel-Abbésiens appellent «Trig el-Lefaâ» .Ensuite, il y a cette fontaine à quelques dizaines de mètres. Juste pour bien comprendre que dans une situation militaire comme celle-ci, un point d’eau fait partie du système de défense mis en place par le général en chef. Même s’il est vrai que l’eau potable ne manquait pas dans la vallée, puisque de nombreuses sources existaient sur plusieurs kilomètres tout au long de la Mekerra. Mais, la plus proche selon Bastide se trouvait à un kilomètre de la redoute. Mais, en observant les plans, la fontaine se trouvait à une centaine de mètres.
Cette fontaine est-elle ce que la légende locale appelait «Ain-Ba-Daho» ? (Voir nos articles sur Djenane el-Beylik et Le puits in Marabout des Assoiffés par Al-Mecherfi). Ce choix géographique d’installer une redoute avait ses motifs et ses mesures militaires mais aussi ses buts économiques puisque, on remarquera aussi un long tracé de route appelé : Route de Mascara. Cette route passait justement dans son point le plus bas en altitude entre la rive droite de la Mekerra et la redoute. Et enfin, la kouba de Sidi-Bel-Abbès. Un peu loin sur la gauche, mais dans l’autre rive. Cette kouba était suffisamment visible en hauteur pour être remarquée parmi les autres repères que je viens de citer. Mais, on serait dans l’erreur dogmatique de croire à ce que certains pensent que la «baraka» du el-wali salih est une donnée constituant une réponse pour expliquer la toponymie de la ville de Sidi-Bel-Abbès. Les officiers du génie militaire qui ont baptisé la redoute par le nom du marabout local, d’abord ne croyaient quasiment pas à sa baraka. Mais d’un autre coté, ils appréciaient sa qualité d’intercesseur auprès de la population locale. Cette «état d’esprit» était malheureusement bien ancré dans l’inconscient populaire. Voilà pourquoi, un énorme travail historique reste à faire. A juste titre, Léon Adoué avait bien noté qu’il s’agissait d’une légende en signalant dans son livre le sanctuaire d’El-Bouzidi.
Si les premiers documents attestent que le premier nom de cette redoute à un détail près, était bel et bien Sidi-Bel-Abbès. L’on peut se demander si cette affaire de toponymie n’a pas un lien avec les «idées» d’officiers saint-simoniens apparut quelques années plus tard. Mais, Au delà de la séduction du thème, ce n’est là qu’une hypothèse. Nous sommes là, aux racines de l’histoire d’une ville coloniale par excellence. Cette redoute nous parait à la jonction d’une politique coloniale en Afrique du nord. Faut- il occulter ce sujet ? Certainement pas. Mais il faudra néanmoins faire un certain nombre de constats sur la société algérienne de l’époque. Trop éprouvée, il est vrai par plusieurs siècles de dépérissement et de décadence.
Lamoricière, promu général de division en 1843, avait déjà dirigé le service du bureau des affaires arabes en raison de sa connaissance de l’arabe dialectal. C’est un poste de première importance. il était chargé d’entretenir des relations avec les autochtones. La ville est un témoin d’une époque. La politique coloniale par l’ «association» officiellement imaginée (Par Enfantin en 1843- Pellissier l’officier arabisant, Urbain, Jourdan, Carette, Deneveu, et Berbrugger … et autres continuateurs), prévoyait déjà l’idée que les colons européens devraient se consacrer aux activités industrielles laissant aux «Indigènes» l’agriculture et l’élevage. Autrement dit, répondre à l’éternelle question : Que faire de la population locale qu’il n’était pas question d’exterminer comme cela avait été fait en Amérique, ni de refouler vers le sud ?
Les tristes évènements qui ont frappé les Béni-Ameurs deux années après, d’abord par les représailles de la journée sanglante du 30 janvier et bien évidemment l’exode collectif vers le Maroc et le sud, ont certainement bouleversé toute la région.
La redoute de SIDI BEL ABBES était l’appellation d’origine du camp militaire sur les documents avant d’être celui d’une ville. Voilà pourquoi cette question toponymique et d’abord une question militaire. Et comme le toponyme devait sémantiquement s’écrire avec un Bel à la place d’un Ben ou Ibn ainsi qu’avec un «A» à la place de « Ain » en arabe puisque cette lettre n’existe pas en français. Il fallait assurément, attendre la promulgation du décret officiel de la fondation de la ville le 5 janvier 1849 pour authentifier la conformité de la transcription officielle du nom de la ville.
AL-MECHERFI.