Le 5 août 2014, était annoncé le décès du Cheïkh Touab Mehadji, Imam de la Mosquée En-Nour dite «de Bouzekoura». Cette nouvelle tombait comme un couperet. Originaire des M’hadja de Mcid, il était né dans les environs de Mostefa Ben Brahim et disparut à quelque 80 ans après en avoir passé une bonne partie à la tête de la Mosquée précitée. Il avait étudié auprès du vénérable Cheïkh Moulay Maazouz qui habitait à Montplaisir. Avec son œuvre, toute imprégnée de piété, gravée dans les cœurs de ses fidèles, il laissa des souvenirs impérissables à ceux qui l’ont approché. Des témoignages poignants, tout à son honneur, surtout pour la manière dont il a exercé son ministère, ont été rapportés par divers témoins.
Nous nous proposons de narrer aujourd’hui l’avènement de la Mosquée du quartier «Abbou» qui était d’une certaine manière, son avant – dernière demeure avant celle qui sera éternelle.
A l’époque coloniale, vécurent deux hommes, arabes et musulmans, très liés par une amitié exemplaire. Fort aisés, ils étaient convaincus que leur richesse appartenait au Seul Maître du monde et se sentaient toujours honorés d’en être des dépositaires « élus ». Cette sensation s’inscrit, faut-il le rappeler avec une particulière insistance, en droite ligne avec les préceptes divins qui explicitent le vrai sens de la fortune honnêtement acquise et son usage à bon escient.
L’un d’eux possédait des terres dans les environs de Baudens – aujourd’hui Kaïd Bélarbi – et des biens immobiliers à la Cité Montplaisir. Le second était versé dans l’activité ovine à Oued Imbert – l’actuelle Aïn El-Berd. Ils étaient unis en Dieu dans une telle harmonie que l’un d’eux remit son troisième fils bien-aimé à l’autre pour l’élever parce que son ami n’a pas connu la joie d’en procréer lui – même.
Pour l’anecdote, ce fils adoptif qui s’appelait Djelloul et Abdelkader Alloula (né à Ghazaouet), firent leurs études primaires à Aïn El Berd et, habitant à 10 mètres l’un de l’autre, furent très liés. Ils eurent cette particularité d’être pratiquement les deux seuls « indigènes » à posséder de vrais vélos neufs (avec freins, phare, garde-boue etc.) alors que leurs frères n’avaient, pour l’écrasante majorité d’entre eux, que des deux-roues. De même, ils seront les premiers jeunes à posséder des voitures neuves.
Quand la Guerre de Libération éclata, le soutien à la cause nationale des deux amis dont nous voulons narrer quelques facettes de leur itinéraire, fut sans faille. L’un d’eux, découvert par les services secrets français fut arrêté, torturé et emprisonné.
Ils étaient les bienfaiteurs attitrés – mais néanmoins très discrets – pour leurs voisins, les nécessiteux, les pauvres, les personnes de passage et leurs familles.
Que de béliers furent distribués à l’occasion de la commémoration du sacrifice de Sidna Ibrahim Al – Khalil et que les chaînes étaient longues devant leurs domiciles le jour de l’Achoura d’où les bénéficiaires de la Zakat repartaient, tous, les visages radieux.
Le temps passant, les deux amis contractèrent, pratiquement au même moment, une même maladie : le diabète.
L’un était Bendida Bouzekkoura, M’hadji, né en 1899 à El-Mabtouh et l’autre était Mokhtar Tayeb ould Ahmed El Maaïchi, né en 1908 à Oued Imbert (Aïn El Berd).
A l’Indépendance, les discours enflammés de Ben Bella contre ses compatriotes – surtout ceux destinés aux nantis parmi eux – les intriguèrent et les inquiétèrent. Les Algériens connaissaient la fonte des neiges, le nouveau Zaïm allait leur appliquer la fonte de la graisse. Et le vent siffla et souffla du mauvais côté pour ce très beau pays dont le peuple allait être mis en coupe réglée pendant une longue nuit qui ne semble pas devoir laisser place à un lever de jour radieux tel qu’ y aspirait la Déclaration de Novembre.
Ainsi, en pleine euphorie de cet événement historique que fut L`Indépendance, ils décidèrent de partir en voiture en Espagne pour des soins, accompagnés par un chauffeur et, joignant l’utile à l’agréable, visiter les vestiges de la civilisation musulmane de l’Andalousie à Grenade et Cordoue notamment.
A l`issue de cette virée ibérique et plus précisément au mois d’août 1962, ils se retrouvaient au Maroc étape de leur retour.
Et c’est dans ce pays où remontent leurs origines idrissides qu’une généreuse intention les saisit : construire, tous les deux, la deuxième mosquée de Sidi – Bel – Abbès : la première de l’Indépendance et 100% algérienne.
Comment l’idée a germé.
Au cours d’un arrêt dans une des villes marocaines, ils se rendirent dans une Mosquée pour s’acquitter d’une prière et furent subjugués par l’architecture de ce lieu de culte. A leur sortie, ils se dirigèrent vers un café où ils s’attablèrent. Ils demandèrent au tenancier si cette mosquée avait été construite par l’Etat ou par une quelconque association de fidèles. La réponse du cafetier les désarçonna. Il leur répondit qu’elle avait été entièrement réalisée par un épicier qui vendait du petit-lait (l’ben) ! Ils prirent sur place la décision d’entamer la construction d’un lieu de culte dès leur retour à Sidi – Bel – Abbès.
Hadj Baghdad, Allah yarhmou, propriétaire d’un bain sur l’avenue Pasteur, leur vendit le terrain d’assiette pour leur projet.
LA CONSTRUCTION DE LA MOSQUÉE « EN-NOUR ».
La construction fut confiée à deux artisans marocains de Sidi – Bel – Abbès, Benjaalab et son fils qui étaient issus d’une famille de maçons sur plusieurs générations. C’est lui qui bâtit le bain maure du regretté Mami Abdeslam. Tous les matériaux furent acquis auprès du gentleman Charef Abdelkader qui activait dans le négoce des matériaux de construction et dont les dépôts étaient mitoyens au cinéma «l’Alhambra » exactement à l’emplacement de l’actuel marché aux tissus dit « Garguentah ».
Moins de deux ans après le début des travaux et plus exactement le dimanche 7 Rabi’e II 1384 – 15 août 1964, la Mosquée « En-Nour » vit les premiers fidèles affluer. Cette belle réalisation nécessita exactement 640 000,00 D.A soit 320 000,00 D.A pour chacun des deux amis.
A la même époque on pouvait acquérir une villa à la cité Montplaisir pour moins de 10 000,00 D.A !
Le 7 septembre 1964, les deux amis signaient à Alger, devant le Bach Adel, un acte par lequel ils en faisaient don en tant que « bien de mainmorte (Hbous) » au profit du Ministère des Habous, représenté pour l’occasion par Monsieur Hafnaoui Hali et ce, selon les strictes prescriptions du Rite Malékite. Cette réalisation ne pouvait d’aucune manière être détournée de sa vocation et ce tel que stipulé scrupuleusement dans l’acte qui précise explicitement jusqu’à ce que « Dieu hérite de la Terre et de tout ce qui s’y trouve) » comme cette expression est citée dans le Coran (إلى أن يَرِثَ اللهُ الأرضَ ومن عليها.)
L’INAUGURATION OFFICIELLE.
Elle fut organisée au siège de la Daïra de Sidi – Bel – Abbès sous les auspices du Cheïkh Ahmed Tewfik Al-Madani (1899 – 1983), alors Ministre des Habous. Seul Si Bouzekkoura s’y rendit. Le Ministre étant au courant que la mosquée avait été construite par deux citoyens demanda à Bouzekkoura où était son ami. L’irascible responsable du parti unique prit la parole et informe le Ministre que Hadj Mokhtar Tayeb a décidé de ne pas venir parce qu’il était contre la politique prônée par Ben Bella. Furieux, le Ministre ordonna qu’on le ramène de suite. Sitôt dit, sitôt fait. Des policiers se rendent à Oued Imbert où ils intiment au « Rebelle » de les suivre « manu militari » et, sans lui donner le temps de se changer, l’embarquent dans un véhicule noir de marque Peugeot 404.
La Mosquée fut officiellement, inaugurée et, moins de neuf mois plus tard, et plus exactement le samedi 19 juin, Ben Bella fut renversé comme il l’avait au préalable pressenti et déclaré par « son Ministre » de la défense : Boukharrouba Mohamed.
ÉPILOGUE.
Hadj Bouzekkoura rendit l’âme à Sidi – Bel – Abbès courant février 1968 et, fait surprenant qui a fait couler beaucoup de salive à l’époque, il fut enterré dans la Mosquée à laquelle il a participé au même titre que son ami. Qui est derrière une telle décision ? Un tel acte n’est-il pas en porte à faux avec les intimes convictions du défunt ?
Unis dans la vie pour le meilleur et pour le pire, son ami le suivra une semaine après et fut enterré lui au cimetière de Sidi Maachou à Aïn El-Berd.
Le bien légendaire qu’ils n’ont jamais cessé de prodiguer dans une symbiose et harmonie à toute épreuve, le travail licite qu’ils ont accompli leur vie durant pouvaient laisser entrevoir que le destin jouera son rôle pour qu’ils partent ensemble. Telle est la volonté de Dieu. Paix à leurs âmes maintenant qu’ils sont entre les mains du Seul Rétributeur.
Dans la Mosquée qu’ils ont intimement édifié est scellée une plaque commémorative, au-dessus de la porte d`entrée, qui rappelle aux oublieux que le mérite leur revient sans prédominance de quiconque sur l’autre. Nous vous donnons le texte (perfectible) écrit en arabe sans apporter la moindre modification :
حمدا لله وصلاة وسلاما على رسول الله وءاله وصحبه أما بعد فقد بنا هذا المسجد المحسنان الحاج بن ديدة بوزكورة والحاج المختار الطيب ولد أحمد من مالهما الخاص ابتغاء وجه الله والدار الآخرة والله لا يضـيع أجــر المحسنين وقـد وقـع افـتـتاحه بعــد إتمامه يـوم 7 ربيع الثاني 1384 هــجري الموافق 15 أوت 1964.
POSTFACE.
Nous avons signalé que Hadj Mokhtar Tayeb n’a pas eu d’enfants mais il en a élevé une petite kyrielle.
Rappelons enfin qu’à son enterrement beaucoup d’hommes inconnus à Aïn El – Berd sont venus l’accompagner à sa dernière demeure. Renseignements pris c’étaient des clients à qui il avait avancé du cheptel ou qu’il a soutenus pour réaliser leurs multiples projets.
Ayant vécu en seigneurs modestes ils sont partis en tant que tels.
Puisse Dieu les agréer en Sa sainte miséricorde et nous accorder la joie d’apprendre que de tels exemples subsistent toujours.
A ceux qui apprécieront ces modèles hors de pair, nous demandons à ceux qui parcourront ces lignes d’avoir de pieuses pensées à leur mémoire et à leur œuvre.
Fait à Aïn El – Berd, le 29 août 2014.
Mustapha MEKRI.
Bonjour monsieur Mekri
Je tiens à vous remercier pour ce rappel historique sur la mosquée EN-NOUR, aussi pour la qualité du texte.