Vous connaissez assurément, si vous aimez Shakespeare, ce cri célèbre sorti du fond du cœur enragé du roi Richard III qui, sur le champ de bataille, ayant perdu sa monture et voulant vaincre absolument son dernier ennemi, hurla de toutes ses forces: « un cheval, un cheval, mon royaume pour un cheval ».
Vous connaissez aussi, certainement, l’allégorie de la grenouille que je rappelle : si vous mettez un batracien dans un récipient rempli d’eau froid et que vous mettez le tout sur le feu, le batracien y restera jusqu’à ce que mort s’ensuive, alors que s’il est mis directement dans de l’eau chaude, le crapaud saute et sauve sa peau.
Il est évident que si d’aventure un homme se trouve perdu dans le désert, riche mais sans eau et menacé de mourir, il crierait du même cri que le roi Richard III: De l’eau, de l’eau, ma richesse, toute ma richesse, pour un peu d’eau? En effet, mort, à quoi lui servirait sa richesse ?
Il est trop exagéré de ma part de comparer l’eau à Internet et à ses applications. Je sais qu’on peut survivre biologiquement au second et qu’on ne survit pas plus de quelques jours à la seconde.
Mais n’empêche qu’il est devenu incontestable que notre dépendance à cette technologie exceptionnelle est totale et que ni les individus, ni les entreprises, ni les institutions, ni les États ne peuvent s’en passer et qu’une panne générale et universelle de quelques jours peut ramener l’homme à ses âges les plus reculés.
Il faut reconnaître qu’il y’a du batracien en chacun de nous. Nous aussi, tels des crapauds, nous nous sommes laissés prendre dans le piège de l’eau tiède qui, c’est vrai, nous a sauvé de la froideur glacée mais qui, en même temps, nous a mené par petit degré jusqu’à l’ébullition mortelle. Peut-être valait-il mieux pour nous sauter à temps du récipient comme ont su le faire quelques sages qui ont boudé les réseaux sociaux et minimiser l’usage du clavier pour préserver leur liberté. Je pense particulièrement à l’écrivain errant et amoureux de la nature plus que des hommes, Sylvain Tesson l’homme libre et heureux.
Nous voici pris dans la nasse. Nous voici aboutis à vivre une vie à moitié réelle et à moitié virtuelle. Une vie qui, de plus en plus, a tendance à se virtualiser à outrance. Une vie qui, petit a petit, est devenue tellement connectée qu’elle ne peut résister à une déconnexion définitive. Une vie dont les dieux se multiplient et se font les guerres. Une vie trop fragile ou les guerres cybernétiques sont aussi menaçante et aussi dévastatrices que les guerres conventionnelles.
Nous sommes dans le récipient d’eau chaude. Nous n’avons pas sauté à temps. Et si on nous prive d’internet et de nos réseaux, nous crierons nous aussi..comme des fous du roi : internet, internet, mon royaume pour internet.